LE DIABLE PAR LA QUEUE (1969)
SCENARIO ET DIALOGUES
Daniel BOULANGER & Philippe de BROCA
DECOUPAGE
CLAUDE SAUTET
AUTOROUTE - EXTERIEUR NUIT
Forte pluie. Circulation assez dense, mais fluide. Les phares des
voitures trouent la nuit pluvieuse.
CHATEAU - VUE GENERALE - EXTERIEUR NUIT
Bruit de tonnerre. Pluie battante. Au premier plan, on distingue,
à travers la pluie, une pancarte un peu défraîchie : « Hôtel du
Grand Siècle ».
CHATEAU - GRENIER - INTERIEUR NUIT
Georges monte lentement l'escalier qui mène au grenier, une
lanterne Camping-Gaz à la main. L'escalier craque. Il arrive sous
les toits du château. Martial le rejoint.
GEORGES
Encore un !
MARTIAL
Vous en faites pas, m'sieur le comte, j'suis là.
Le champ s'élargit et on découvre que le plancher du grenier est
couvert de pots de chambre. On entend l'eau, qui s'écoule des
fuites dans le toit du grenier, tomber dans les pots.
GEORGES
Martial... Poussez-moi donc celui-là un peu, sur la
gauche...
Martial, une canne à la main, obéit en marmonnant des paroles
incompréhensibles.
GEORGES
Ça pisse de partout !
Fondu au noir.
CHATEAU - CUISINES - INTERIEUR NUIT
Cuisines antiques, dont le plafond est supportés par de gros
piliers. Au premier plan, des bouteilles de vin recouvertes de
généreuses toiles d'araignées. Sur une vieille cuisinière à
charbon est posé un réchaud Camping-Gaz, et sur le réchaud une
casserole. Amélie, un torchon sous le bras, touille distraitement
le contenu de la casserole en lisant un roman de la Série Noire.
Martial, portant sa lampe de camping, entre en clopinant aidé de
sa canne. Une assiette plate est posée sur une table et surveillée
par un petit chien. Martial pose la lampe et s'assoit sur une
chaise devant l'assiette.
MARTIAL
A la soupe, madame la baronne.
Amélie verse une louche de soupe dans une assiette creuse, puis
elle pose cette assiette sur l'assiette plate qui est déjà posée
sur la table. Puis elle revient vers la cuisinière et prend un
plateau posé dessus.
DEBUT DU GENERIQUE
MUSIQUE : Thème du générique. C'est une musique inspirée des
musiques du Grand Siècle, de Lulli ou de Delalande.
Amélie sort de la cuisine avec son plateau dans une main, mais en
gardant son bouquin ouvert dans l'autre main.
CHATEAU - COULOIR - INTERIEUR NUIT
Couloir voûté en pierre. Amélie apparait au bout du couloir,
portant son plateau et son bouquin. Elle avance vers la caméra.
Elle danse et elle sautille. Elle fait tomber la croquette posée
sur une assiette sur le plateau, la ramasse, et la remet dans
l'assiette. Contrechamp : Amélie passe entre deux rangée de
bouteilles, et sort à l'autre extrémité du couloir.
CHATEAU - ESCALIER EN PIERRE - INTERIEUR NUIT
Un escalier en pierre, entre deux murs un peu délabrés. Amélie
monte allègrement l'escalier, tourne sur le palier et entame une
nouvelle volée de marches.
CHATEAU - SALLE CARRELEE - INTERIEUR NUIT
Amélie, vue en plongée d'une galerie en haut de la salle, traverse
la salle, en continuant à lire. Elle s'arrête un instant, et pose
le bouquin sur le plateau, pour tourner la page.
CHATEAU - ESCALIER ET PASSAGE EN BOIS - INTERIEUR NUIT
Un escalier en bois. Le décor est moins délabré que précédemment.
Amélie monte l'escalier, elle tient son livre à la main sans le
lire. Elle s'engage dans un étroit passage en bois.
CHATEAU - SALLE AU PLAFOND CAISSONNE - INTERIEUR NUIT
Par la porte de la salle, on aperçoit Amélie qui arrive, sort par
cette porte, et grimpe dans un escalier en colimaçon.
CHATEAU - PASSAGE ET ESCALIER EN BOIS - INTERIEUR NUIT
Assez semblable à celui traversé précédemment (Cela pourrait
d'ailleurs être le même décor ré-utilisé). Sauf qu'Amélie arrive
par le passage et redescend l'escalier.
CHATEAU - ESCALIER EN PIERRE - INTERIEUR NUIT
Décor, lui aussi, assez semblable à l'un des décors précédents
(encore une fois, cela pourrait être le même décor ré-utilisé).
Amélie monte l'escalier. En haut, sur la rambarde de pierre, une
bougie allumée est posée. Amélie qui a repris sa lecture passe
devant la bougie et s'engage dans un couloir.
FIN DU GENERIQUE ET DE LA MUSIQUE
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR NUIT
Amélie entre en ouvrant la porte du pied.
MUSIQUE . On entend un piano : Thème de Jeanne. C'est un thème
assez romantique, inspiré des grands compositeurs du XIX° siècle.
Toujours lisant, Amélie passe devant la Marquise, assise derrière
son bureau. Elle tient un face-à-main devant ses yeux pour s'aider
à lire.
AMELIE
Une croquette pour le dix !
LA MARQUISE
Une croquette, une !
Elle tape sur les touches d'une petite caisse enregistreuse.
CHATEAU - GRAND SALON - INTERIEUR NUIT
Amélie arrive avec son plateau. Jeanne est assise au clavier du
piano, et continue à jouer. Amélie s'appuie un instant sur le
piano pour écouter Jeanne. Les deux cousines échangent un sourire.
Amélie regarde au-delà du piano. Son visage redevient sérieux, et
elle s'éloigne. Elle arrive devant la table derrière laquelle M.
Patin est assis, son journal appuyé sur un bougeoir. Elle pose le
plateau, et prend la croquette avec une cuillère pour la déposer
dans l'assiette de M. Patin.
M. PATIN
Merci, mademoiselle Amélie.
AMELIE
Ne m'appelez pas toujours mademoiselle, c'est vexant quand
on a divorcé !
Amélie s'éloigne, appuie sa jambe sur le bord d'une chaise et
reprend sa lecture
M. PATIN
Divorcé à dix-neuf ans, c'est bien le monde d'aujourd'hui,
ça... Pauvre enfant !... Et bizarrement, je trouve les
curés responsables.
Georges entre dans le Salon, une cigarette au bec. Il s'assoit
dans le fauteuil situé en face de la chaise sur laquelle Amélie a
posé son pied.
GEORGES
`Soir, Amélie.
AMELIE
`Soir, papa.
GEORGES
Ahhhh... Où est ta mère ?
AMELIE
Travaille...
GEORGES
Et moi aussi, je travaille.
AMELIE
Moi aussi, je travaille.
GEORGES
Nous travaillons tous, pendant que le bourgeois se goberge
et s'empiffre !
FIN DE LA MUSIQUE. Fin du Thème de Jeanne.
AMELIE
Tiens, il a fini sa croquette. Papa, tu veux pas desservir,
je finis mon chapitre.
Elle tend son torchon à son père, qui se lève lentement de son
fauteuil.
GEORGES
Oh, la-la-la-la-la...
Il pose son torchon sur son bras gauche, façon loufiat, et
s'approche de la table de M. Patin.
GEORGES
Une veille de quinze août, et j'en suis à mon cent-dixième
pot...
M. PATIN
Pot de quoi ?
Georges débarrasse l'assiette de M. Patin.
GEORGES
De chambre, monsieur Patin... Cent-dix pots de chambre...
pour protéger mon ciel !
On voit le plafond du salon, décoré d'une fresque bucolique du
XVIII° siècle avec des anges.
MUSIQUE . Début du Thème du château. Thème romantique joué par un
orchestre de chambre à cordes.
M. PATIN
Il lève les yeux vers le plafond.
Mon Dieu !... Encore un ange qui a perdu une fesse !
GEORGES
Il suit le regarde de M. Patin et se crispe un peu.
Amélie !... Où est ta mère ?
CHATEAU - UNE CHAMBRE - INTERIEUR NUIT
Diane est en train d'observer attentivement un drap avant de faire
un lit. Elle mord dans le drap, et goûte avec satisfaction. La
porte s'ouvre. Elle sourit aux nouveaux arrivants, sa fille et son
mari. Georges s'assoit dans un fauteuil.
GEORGES
Et je fais leur lit...
DIANE
Oh... Georges, mon ami, j'en ferais cinquante avec joie,
mais nous n'avons qu'un seul client depuis six mois.
Diane commence à faire le lit.
AMELIE
J'te donne un coup de main, maman ?
Chacune d'un côté du lit, les deux femmes tirent sur le drap. Plus
forte, Amélie entraîne sa mère, qui s'écroule sur le matelas.
Amélie tombe à son tour sur le lit, et nous montre sa culotte.
FIN DE LA MUSIQUE. Fin du Thème du château.
GEORGES
Oh, ne m'excitez pas : c'est pas le moment.
Les deux femmes, enlacées, rigolent en le regardant.
AMELIE
Oh... écoute, papa !
DIANE
Devant ta fille !
Georges se lève du fauteuil, l'air soudain grave.
GEORGES
Diane, où est ta mère ?
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR NUIT
MUSIQUE . Thème de Jeanne. Le piano est peu audible, un peu
lointain par-dessus les voix de la conversation. Il ne deviendra
plus audible qu'un peu plus tard.
La marquise, toujours assise derrière son bureau, lit le journal
« L'équipe » à l'aide de son face-à-main. A l'arrivée de son
gendre, elle pose son journal et son face-à-main.
GEORGES
Bonjour, ma mère, j'ai à vous parler. Je vois que je ne
dérange pas vos comptes.
La marquise se lève.
LA MARQUISE
Parlons-en de nos comptes : nous tirons le diable par la
queue !
Elle se dirige vers le salon, suivi de Georges.
GEORGES
Vendez vos bijoux.
LA MARQUISE
Quels bijoux ?
Georges touche l'une des boucles d'oreille de sa belle-mère.
Le piano devient nettement plus audible.
GEORGES
Rien qu'une boucle d'oreille comme celle-là nous répare le
toit de la chapelle.
LA MARQUISE
Et vous me voyez sortir avec une seule boucle d'oreille !
Vous êtes d'une mauvaise foi, mon gendre !
GEORGES
Ne parlons plus de bijoux et cessons de nous plaindre.
CHATEAU - GRAND SALON - INTERIEUR NUIT
LA MARQUISE
Depuis six mois, nous avons un single-breakfast par week-
end... Un seul !
Ils sont arrivés au niveau de la table de M. Patin, toujours
occupé à manger.
GEORGES
Plus les repas.
La musique est très nette maintenant.
LA MARQUISE
Oh... des repas sans drinks ! Ben, vous l'avez vu, là,
votre client, c'est toujours le même. Un hôtel, mon ami, ne
fonctionne qu'avec des pochards et des couples. Vous
imaginez, hein, des couples... Hein ?... Love et wine !
GEORGES
Et chacun sa conception : la mienne est de fumer ma
cigarette tranquillement dans un deux-pièces sur cour, la
votre est de garder le château et d'en faire une auberge.
LA MARQUISE
Mais il y a une clientèle pour des lits comme les miens...
Pouvez pas comprendre...
GEORGES
La vérité, c'est que je vous vois mal diriger une maison
de...
Diane et Amélie entrent en se tenant par la main. Elles se
rapprochent de la marquise.
DIANE
Tu veux dire un bordel ?
AMELIE
Oh, mais il y a bordel et bordel, maman ! Hein, grand-
mère ?
Les trois femmes sont arrivées près du piano, sur lequel Jeanne
continue à jouer. Elles s'assoient à côté du piano.
LA MARQUISE
Absolument ! Mais... ne parle pas comme ça devant ta
cousine... c'est une demoiselle. Mais cela dit, pour sauver
mon toit, moi, je tolérerais un claque. Avec une clientèle
huppée, bien entendu.
Georges désigne M. Patin de la main.
GEORGES
A la place de ce vieux machin, vous voudriez peut-être le
Duc de Windsor ou l'Aga Khan.
LA MARQUISE, DIANE ET AMELIE
Ensemble.
Et pourquoi pas ?
M. Patin se lève un peu brusquement et sort de la pièce.
GEORGES
Vous rêvez... je vais desservir. Comme d'habitude, tout me
retombe sur les épaules.
Georges ramasse la vaisselle et sort derrière M. Patin.
LA MARQUISE
Mais nous ne rêvons pas. Mon idée est excellente : elle
n'est pas exploitée, c'est tout. Notre plan est au point :
Welcome... Love... et Kopeck ! Alors, toi, Amélie, tu
attires la clientèle, et toi, Diane, tu la retiens.
AMELIE
Et Jeanne ? Comme toujours, elle fait rien !
LA MARQUISE
Elle sait faire que ça !
AMELIE
C'est vrai. Et comment j'attire la clientèle ?
LA MARQUISE
Ben, ton petit garagiste.
AMELIE
Charlie ? Je lui en ai déjà parlé. Il n'a pas l'air chaud.
LA MARQUISE
Et bien, réchauffe-le.
AMELIE
Oui.
Amélie se lève et sort de la pièce. Diane et sa mère reste assise,
main dans la main, à écouter Jeanne.
GARAGE - STATION-SERVICE - EXTERIEUR NUIT
FIN DE LA MUSIQUE
Amélie, en ciré jaune, et tenant un parapluie d'une main, arrive à
bicyclette dans la station-service sous une pluie battante. Elle
jette le vélo par terre, derrière les pompes, et se dirige vers
l'intérieur du bâtiment.
GARAGE - ATELIER DE MECANIQUE - INTERIEUR NUIT
Charlie, debout à califourchon sur une voiture, est en train de
souder au chalumeau. Amélie entre, son parapluie toujours ouvert à
la main. Elle essaie de lui parler, mais le son de sa voix est
couvert par le bruit du chalumeau. Elle lui donne une claque sur
les fesses, et Charlie retombe lourdement assis sur le capot de la
voiture. Il éteint son chalumeau.
CHARLIE
Primo, tu m'emmerdes, deuxio, je travaille !
Il pose son chalumeau. Amélie pose son parapluie par terre.
AMELIE
Troisio, je te manque ! Et tu me vois pas assez.
CHARLIE
Oh, depuis que tu es haute comme ça que je te voie, alors
ça suffit : tu rentres à ton château et tu me laisses
bosser tranquille.
AMELIE
Et bien, bosse !
Elle s'éloigne légèrement. Charlie enjambe sa voiture et la
rattrape par l'épaule. Il la serre tendrement.
CHARLIE
Qu'est-ce que tu voulais ?
AMELIE
Que tu me parles gentiment.
CHARLIE
Ah oui ?
AMELIE
Oui... j'ai besoin de toi.
Il s'éloigne légèrement d'elle.
CHARLIE
On y vient : dans les coups durs, Charlie, toujours
Charlie. Quand tes types te plaquent, tu rappliques,
hein...
AMELIE
Oh, mes types !
CHARLIE
Oh, je sais ce que tu vas me dire : quand tu les vois, tu
ne penses qu'à moi !
AMELIE
C'est vrai !
CHARLIE
C'est pour ça que t'en as épousé un autre !
AMELIE
J'ai divorcé. Tu t'imagines, un divorce dans la famille !
CHARLIE
Ohhh... ta famille, stop, tu veux, stop ! Qu'est-ce que
vous êtes ? Qu'est-ce que vous faites ? Qu'est-ce que ça va
devenir, tout ça ? Parce que, pour la limonade, faut des
dons, pas un poil dans la main !
AMELIE
Faut des clients, surtout ! Tu n'as qu'à nous en envoyer.
CHARLIE
Et j'aurais un pourcentage, je sais : quel genre ?...
Amélie est adossée au mur : Charlie pose ses deux bras de part et
d'autre d'elle. Elle rapproche son visage du sien et l'embrasse
tendrement. Charlie radoucit le ton.
CHARLIE
Bon... ben, si j't'envoie personne, c'est que personne ne
passe.
AMELIE
Menteur ! C'est si facile si tu voulais.
Elle l'embrasse de nouveau.
AMELIE
Alors, tu m'envoies des clients ?
CHARLIE
Non.
Charlie s'éloigne légèrement.
AMELIE
Enfin, c'est ton intérêt.
CHARLIE
Mais, si je me fais prendre, moi ?
AMELIE
Tu diras rien : t'avoueras pas.
CHARLIE
Ah, c'est merveilleux ! Tu penses qu'à toi, vous pensez
vraiment qu'à vous, les femmes, hein !
AMELIE
Faut bien. (La fin de la phrase est incompréhensible)
Charlie la reprend tendrement par l'épaule.
CHARLIE
Dis-moi... J'te vois ce soir ?
AMELIE
Ça dépend de toi.
Elle s'en va. Charlie la regarde s'éloigner, un sourire un peu
béat aux lèvres.
AUTOROUTE - BRETELLE DE SORTIE - EXTERIEUR NUIT
Toujours la même circulation assez dense sous la pluie. Une Jaguar
de type « E » s'engage sur la bretelle et quitte l'autoroute.
UN VILLAGE - UNE RUE - EXTERIEUR NUIT
La Jaguar traverse le village.
JAGUAR - EXTERIEUR NUIT
L'habitacle vu en plan rapproché à travers le pare-brise. Jean-
Jacques, des lunettes aux verres teintées en jaune sur le nez,
conduit. Cookie, portant des lunettes noires, regarde la route
d'un air ennuyé et blasé. Les essuie-glace balaient le pare-brise.
JEAN-JACQUES
Vous portez toujours des lunettes noires ?
COOKIE
Ouais.
JEAN-JACQUES
Vous ne devez rien voir ?
COOKIE
Pourquoi j'y verrais ? Pour regarder quoi : vos
raccourcis ?
JEAN-JACQUES
Je cherche de l'essence.
COOKIE
Moi, je cherche le soleil.
JEAN-JACQUES
Et bien, en attendant, guettez les pompes.
COOKIE
Ce que j'en ai marre ! J'vous préviens : je reviendrai en
avion.
JEAN-JACQUES
Oh non, mais dites-moi, hein ! Je ne vous ai pas sifflée.
Cookie enlève ses lunettes.
COOKIE
Parce que vous croyez que c'est pour votre charme que je
suis là !
Elle remet ses lunettes.
JEAN-JACQUES
Je le suppose.
COOKIE
Pauvre type ! Y en a des tas qui m'auraient descendue dans
le midi.
JEAN-JACQUES
Alors, pourquoi moi ?
COOKIE
Vous ou un autre... Ça finit toujours pareil, alors...
Ajoutez que je m'en fous.
JEAN-JACQUES
Oh !... Une pompe !
Il braque son volant vers la pompe.
COOKIE
Tout de même !
GARAGE - STATION-SERVICE - EXTERIEUR NUIT
Charlie attend près de ses pompes, un parapluie à la main. La
Jaguar entre dans la station et s'arrête devant les pompes.
Charlie décroche le pistolet de la pompe, et tenant toujours son
parapluie d'une main, s'approche du réservoir de la voiture.
CHARLIE
Le plein ?
Jean-Jacques sort brusquement de la voiture.
JEAN-JACQUES
Super !... Dites-moi où sont les... ?
CHARLIE
Au fond de la cour, à droite !
Jean-Jacques s'éloigne vivement vers le fond de la station.
Charlie laisse le pistolet coincé dans le trou de remplissage du
réservoir, et s'approche de la portière.
CHARLIE
L'huile et l'eau... S'il vous plait, ouvrez le capot.
COOKIE
Faut savoir où c'est.
CHARLIE
Charlie revient d'un pas en arrière, jette un oeil dans
l'habitacle...
Je vois le genre...
Il glisse la main dans l'intérieur de l'habitacle, débloque le
capot et se dirige vers l'avant de la voiture. Il bascule le capot
vers l'avant et se penche vers le moteur. Gros plan sur ses mains
qui, armées d'un petit ciseau, coupent des fils au hasard. Il
referme le capot, puis retourne vers l'arrière du véhicule pour
vérifier le remplissage du réservoir. Jean-Jacques revient en
courant vers la voiture. Charlie vient de raccrocher le pistolet.
Jean-Jacques s'approche de lui.
CHARLIE
Cinq mille, monsieur...
Jean-Jacques lui donne une poignée de billets, puis court vers sa
portière.
JEAN-JACQUES
Ça roule, petit !
Il pénètre dans sa voiture. Charlie s'approche de lui.
CHARLIE
Dites donc, ça doit grimper, ça, hein !
JEAN-JACQUES
Ah ! Faut savoir la retenir, c'est tout !
CHARLIE
Ah, ouais, ouais !
Jean-Jacques tente de démarrer sans succès.
JEAN-JACQUES
Ah ben, c'est bien la première fois !
Charlie murmure quelques mots incompréhensibles
COOKIE
Quelle chiotte !
Jean-Jacques continue de tenter de démarrer la voiture.
CHARLIE
Bougez pas, vous noyez tout, là !
Charlie ouvre le capot et regarde dans le moteur. Il retourne vers
Jean-Jacques, une lueur d'inquiétude dans le regard.
CHARLIE
Et comment vous avez fait pour venir jusqu'ici ?
JEAN-JACQUES
L'autoroute, la déviation... avec les travaux !
CHARLIE
C'est pas ça que je vous demande : vos vis platinées sont
mortes !
JEAN-JACQUES
Mortes !
COOKIE
Mortes ! Et bien, réparez !
CHARLIE
Vous avez entendu le vilebrequin : ça faisait pas tic-tic,
tic-tic ?
COOKIE
Oui... plein !
JEAN-JACQUES
Tic-tic... tic-tic-tic-tic ! Le vilebrequin, bien allez-y !
CHARLIE
Quoi ! Démonter le moteur à cette heure-ci ! Vous y pensez
pas : j'en ai au moins pour quatre jours !
Avec un petit clin d'oeil entendu, Jean-Jacques sort quelques gros
billets.
JEAN-JACQUES
Même pour moi ?
CHARLIE
Même pour vous.
COOKIE
Et bien, appelez un taxi !
CHARLIE
J'suis désolé, mademoiselle, mais ici, il n'y a pas de
taxi : on est loin de tout, vous savez.
COOKIE
Et vous n'imaginez tout de même pas que je vais passer la
nuit ici, non ?
CHARLIE
Ah, je vais pas vous laisser comme ça, va !
Charlie tapote la joue de Jean-Jacques
CHARLIE
Y a pas trente-six solutions : avec moi !
Il s'éloigne de la voiture.
VILLAGE - UNE RUE - EXTERIEUR NUIT
On voit passer la 2 CV de Charlie sous la pluie.
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR NUIT
La 2 CV arrive devant le château. Elle s'arrête, les portes
s'ouvrent : Jean-Jacques et Cookie descendent en portant des
valises.
CHARLIE
Bon, allez-y, moi, je file, hein, je veux pas laisser le
garage sans personne.
COOKIE
Ouais !
Ils courent vers la porte d'entrée du château. Arrivés à la porte,
Jean-Jacques tire le cordon de la sonnette.
JEAN-JACQUES
Ça a quand même une sacrée allure, ces vieilles demeures,
hein ? Oh, ben, c'est amusant, ces contretemps, non ?
COOKIE
Nien-nien-nien !
La porte s'entr'ouvre. Jean-Jacques tape au carreau. Amélie ouvre
un peu plus la porte.
JEAN-JACQUES
Avez-vous une chambre, mon petit ?
COOKIE
Deux chambres !
AMELIE
Ah, parce que vous n'êtes pas... euh... ensemble ?
JEAN-JACQUES
Mais si !
COOKIE
Mais non !
JEAN-JACQUES
Ohhh !
AMELIE
Je peux vous offrir une chambre dans l'aile gauche, et une
autre dans l'aile droite.
COOKIE
On peut discuter au sec, non !
JEAN-JACQUES
Allez !
Il ramasse les valises et suit Cookie qui vient d'entrer.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR NUIT
JEAN-JACQUES
Oh, la vache !
Cookie émet un petit sifflement admiratif et fait quelques pas à
l'intérieur d'un salon, suivie par Jean-Jacques.
COOKIE
Oh, ben dis donc, c'que c'est chouette !
JEAN-JACQUES
Ohhh !
Amélie se précipite à leur suite et les ramène dans le hall.
AMELIE
Hé ! Hé ! Dites donc, faites attention ! C'est un parquet
Louis XIV !
JEAN-JACQUES
Oh ! pardon, je suis navré, mon petit.
AMELIE
Arrêtez de m'appeler « mon petit ».
JEAN-JACQUES
Et comment dois-je dire, mon enfant ?
AMELIE
Je suis la baronne Amélie de Coustine.
JEAN-JACQUES
Ah ?
AMELIE
Mais oui.
La marquise descend le grand escalier, et se dirige vers son
bureau.
LA MARQUISE
Veuillez passer par ici. Présentez vos papiers. Chambre
avec bain, je suppose ?
JEAN-JACQUES
Euh...
COOKIE
La mienne, en tous cas.
JEAN-JACQUES
Ah !
LA MARQUISE
Donc, deux chambres... Voyons, voyons, voyons...
Jean-Jacques lève les yeux, et aperçoit, au-dessus de la tête de
la marquise, un tableau ancien représentant une femme complètement
nue dans une pose assez lascive. La marquise répond à son regard
intrigué par un petit sourire entendu.
LA MARQUISE
Voyons, voyons... Il me reste à dix-huit et vingt milles
francs.
JEAN-JACQUES
Oh ?
LA MARQUISE
Meublées d'époque !
JEAN-JACQUES
Ah !
LA MARQUISE
On règle d'avance en liquide. Nous disons donc la chambre
du Maréchal et celle de la Pompadour. Georges !
Elle appelle vers le haut de l'escalier. Georges descend quelques
marches en robe de chambre, et s'arrête. Il se penche par la
balustrade.
GEORGES
Ma mère ?
LA MARQUISE
Les bagages !
LA MARQUISE
Vous n'avez pas dîné ?
JEAN-JACQUES
Mon Dieu...
COOKIE
Non, et j'ai faim !
Alors que Cookie commence à monter, Georges est arrivé au bas de
l'escalier. Il se penche pour ramasser les bagages.
JEAN-JACQUES
Dites-moi, mon ami, la pension est comprise dans le prix
des chambres ?
Georges monte quelques marches, et s'arrête à côté de Cookie.
GEORGES
Ma mère, et pour les repas ?
LA MARQUISE
Nous n'avons que le dîner gastronomique, prix fixe ou à la
carte.
Jean-Jacques a rejoint Georges et Cookie sur les marches.
JEAN-JACQUES
Fi-fixe !
Cookie hoche la tête d'un air désabusé. Ils commencent tous les
trois à gravir l'escalier.
LA MARQUISE
Diane !... Diane, mon enfant ! Le Maréchal et la Pompadour.
Diane vient d'apparaître sur le palier intermédiaire. Les trois
autres arrivent à sa hauteur. Ils montent tous les quatre
ensemble. Ils arrivent à l'étage.
CHATEAU - PALIER DU PREMIER ETAGE - INTERIEUR NUIT
DIANE
Par ici, s'il vous plait...
COOKIE
Où c'est, ma chambre ?
DIANE
Vous n'êtes pas ensemble ?
JEAN-JACQUES
Mais si !
COOKIE
Mais non !
Diane se rapproche de Jean-Jacques, et lui chuchote d'un air
COQUIN :
DIANE
Tant mieux !
Jean-Jacques sourit béatement.
DIANE
Georges, mon chéri, accompagnez mademoiselle dans la
chambre voisine.
Elle s'éloigne et Jean-Jacques semble intrigué. Il murmure :
JEAN-JACQUES
Georges, mon chéri ?...
Il rattrape Diane.
JEAN-JACQUES
Dites-moi, ma belle, vous n'êtes pas la petite amie du
bagagiste ?
DIANE
Non, du tout, c'est mon mari. Oh, je ne vous ai pas
présenté. Georges ! Monsieur ?...
JEAN-JACQUES
Jean-Jacques Leroy-Martin.
DIANE
Le Comte de Coustine.
Georges revient en arrière, pose la valise qu'ils portaient et les
deux hommes se serrent la main.
JEAN-JACQUES
Enchanté.
Comme Diane se penche pour ramasser la valise que Jean-Jacques
avait posée pour serrer la main de Georges, Jean-Jacques prévient
son geste.
JEAN-JACQUES
Non, non, madame, je vous en prie. Non. Laissez... après
vous... J'ai connu un Coustine à Coetquidan.
Il pénètre dans sa chambre à la suite de Diane.
CHATEAU - CHAMBRE DE JEAN-JACQUES - INTERIEUR NUIT
Diane ouvre la porte.
DIANE
Ah, c'est curieux, mon mari est le dernier mâle du nom.
Jean-Jacques entre à son tour.
JEAN-JACQUES
Ah, vous avez raison. C'était un Loustine... ou Roussi...
Il frappe ses mains l'une contre l'autre.
Plombac !... Un garçon très brillant, d'ailleurs.
Diane rit et s'assoit sur lit.
DIANE
Je pense que vous serez bien.
Elle prend un oreiller, et le porte à son visage.
DIANE
Ce sont des oreillers qui ont leur histoire.
Elle s'allonge sur le lit.
DIANE
La Pompadour a couché là.
Elle se redresse pour allumer la lampe.
DIANE
Et si vous aimez lire, vous avez la lumière ici.
Elle se lève du lit et revient vers Jean-Jacques.
DIANE
Je peux vous offrir... la lecture.
Elle prend un petit livre ancien posé sur une commode. Elle
l'ouvre et le tend à Jean-Jacques.
DIANE
Ce sont des ouvrages un peu libertins. Malheureusement, je
n'aime que ça.
Jean-Jacques vient de voir la page que lui a choisie Diane, et il
affiche une mimique de surprise un peu effaré.
DIANE
Ça va pas ?
Il se tourne vers Diane, et se retrouve nez à nez avec elle.
JEAN-JACQUES
Si, si... si, si... Non, non... Au contraire...
Il essaie de reprendre une contenance, mais n'y arrive pas et se
dirige vers le lit.
JEAN-JACQUES
La tête me tourne !...
Il s'assoit sur le lit, e prend machinalement un tout petit livre
posé sur la table de nuit. Il l'ouvre au hasard, et prend un air
encore plus effaré que précédemment.
JEAN-JACQUES
Ooohhh !!!...
Il rit en secouant la main.
DIANE
Nous vous attendons dans la salle à manger : c'est à deux
pas. Au bout du couloir, le grand escalier, à gauche, et
tout de suite après la salle de musique et le fumoir. Oh,
j'oubliais, votre compagne est de mauvaise humeur... Ce
sont les voyages qui fatiguent. Elle va prendre un bain
chaud, un bon Porto... Je vous signale que les boissons ne
sont pas comprises... et vous allez la retrouver en forme.
Nous sommes toutes les mêmes.
Elle ouvre les deux portes du sas qui mène vers la chambre de
Cookie, et on entend un rire de femme.
DIANE
Vous voyez... déjà !
Elle sort en fermant la porte derrière elle
CHATEAU - CHAMBRE DE COOKIE - INTERIEUR NUIT
Cookie se sèche les cheveux avec une serviette. Elle a gardé ses
grosses lunettes noires. Georges rit. Diane s'approche, et passe
le bras autour de la taille de Cookie.
DIANE
Il est amusant, n'est-ce pas ? Je vous laisse...
Elle sort vers le couloir.
COOKIE
Alors, vous êtes comte, et vous faites le garçon d'étage.
GEORGES
Ah, faire ça ou se trimballer en Jaguar avec un
scaphandrier.
COOKIE
Quoi ?
Cookie continue à se frotter les cheveux. Georges s'approche
d'elle, et lui retire ses lunettes.
GEORGES
Regardez...
Il met les lunettes sur son nez, et prend l'air un peu ahuri.
Cookie rit, et Georges lui rend ses lunettes, que Cookie garde à
la main.
GEORGES
Ah, vous êtes de drôle d'oiseaux ! Les jeunes, les
vieilles, une autre race, vraiment...
Tout en parlant, Georges est arrivé au bord de la baignoire.
GEORGES
Au début, ça vous étonne, et puis on s'habitue... comme le
reste.
Il prend une éponge et commence à frotter le fond de la baignoire.
COOKIE
Ah... les femmes ne vous intéressent pas !
GEORGES
Boof !
COOKIE
C'est comme moi, les hommes. On en a vite fait le tour.
Georges se relève et Cookie apparait derrière lui : elle a remis
ses lunettes.
GEORGES
Sûrement. Voilà, c'est propre.
Il pose l'éponge et tourne un robinet. On entend un gargouillis,
mais l'eau ne vient pas.
GEORGES
Dommage qu'il y ait pas d'eau. Et c'est normal, hein, ces
vieilles baraques... Le meilleur robinet, ici, c'est le
toit. Et je voudrais bien voir notre bobine dans 387 ans.
COOKIE
387 ans ?
GEORGES
En 1581, ici, c'était la pleine forêt. Mon aïeul,
Maximilien, chassait le merle, il tombe de cheval, et se
brise la colonne. On pouvait plus le bouger. On a bâti
autour. Et voila.
COOKIE
C'est vrai ?
GEORGES
Non... Mais nous avons toujours eu le goût d'embellir. Et
c'est ça que je reproche à vos lunettes.
Cookie ne répond rien et prend un air un peu ahuri. Comme Georges
se dirige vers la porte, elle enlève ses lunettes pour mieux le
suivre des yeux.
CHATEAU - PALIER DU PREMIER ETAGE - INTERIEUR NUIT
Georges sort de la chambre de Cookie. Il referme la porte derrière
lui. A son tour, Diane sort de la chambre de Jean-Jacques, et
referme la porte, avec un petit sourire aux lèvres. Georges arrive
derrière elle.
GEORGES
Diane ! Je vous trouve bien belle tout à coup.
Il la prend dans ses bras.
DIANE
Vous voyez bien, Georges, qu'il nous faut du passage.
Ils se serrent l'un contre l'autre, et se caresse voluptueusement.
Diane embrasse légèrement Georges sur les lèvres et ils
s'éloignent tous les deux vers l'escalier.
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR NUIT
La 2 CV de Charlie arrive devant le perron. Plusieurs personnes,
portant capuches et sac à dos, sortent du véhicule.
CHARLIE
Bon... Sonnez, moi je file, je veux pas laisser le garage
sans personne.
Les touristes suédois grimpe le perron et sonnent.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR NUIT
Au coup de sonnette, Amélie ouvre la porte à deux battants. Les
suédois, toujours encapuchonnés, entrent dans le château, en
regardant autour d'eux, l'air intrigué. Derrière son bureau, la
marquise s'incline légèrement.
LA MARQUISE
Bienvenue, mes frères !
AMELIE
C'est pas des moines, grand-mère !
Les touristes suédois enlèvent leurs capuches et sourient à
Amélie.
LA MARQUISE
Tant mieux, ces gens-là ne paient jamais ! Voilà...
Bonjour !
Un touriste dit une phrase de bienvenue en suédois à la marquise
et lui tend la main. Elle lui serre la main, puis serre celles de
tous les autres touristes. Ils lui disent des mots de bienvenue en
suédois.
LA MARQUISE
Voilà, voilà... Pardon, please... Make love, not war !...
Ils approuvent tous , d'un hochement de tête, ce dicton en
anglais.
LA MARQUISE
Parlez pas français, hein ?... Parfait, parfait... La
chambre du Roi avec champagne obligatoire !...
AMELIE
Par là...
Amélie, qui a monté deux ou trois marches, fait signe aux
touristes, qui lui emboitent le pas et grimpent l'escalier
LA MARQUISE
Bravo, Amélie... Je retrouve ton garagiste !
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR NUIT
La 2 CV de Charlie arrive et s'arrête devant le perron du château.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR NUIT
La marquise, toujours assise derrière son bureau, entend le bruit
des freins de la voiture et prend immédiatement une posture
« commerciale ».
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR NUIT
Une famille - papa, maman, grand-père et quatre enfants -
descendent de la 2CV.
CHARLIE
Bon, sonnez, moi je file, je veux pas laisser le garage
sans personne.
La voiture repart pendant que la famille escalade prestement le
perron et sonne la cloche.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR NUIT
La porte, ouverte par Amélie, laisse pénétrer la famille. Les
enfants, bob ou casquette sur la tête, tiennent dans leur mains
des petits voiliers jouets. Mme Passereau, leur mère, bob sur la
tête, s'approche du bureau de la marquise, l'air affolé.
MME PASSEREAU
Ah ! madame... je suis madame Passereau... mes enfants, mon
père, mon mari. Nous avons eu une panne de voiture. Une
voiture qui n'a pas cinq milles kilomètres. J't'avais dit
de ne pas en changer ! De grâce, auriez-vous une chambre,
ou n'importe quoi ?
LA MARQUISE
Il me reste des chambres à vingt milles francs.
M. Passereau a un sursaut effaré
M. PASSEREAU
Ohhh !
MME PASSEREAU
Oh, j't'en prie, hein ! Moi, je ne couche pas dehors ! Et
ce temps ! Les enfants ! Un rhume, une congestion,
l'hôpital, peut-être...
AMELIE
Par ici.
MME PASSEREAU
C'est curieux comme les hommes ne pensent qu'à eux ! ......
La nuit est là. Ils tombent et ils sont las qu'ils n'en
peuvent plus. Je suis épuisée, je trouve plus mes mots...
La famille grimpe l'escalier, dépassant même Amélie qui les
regarde, un peu interloquée.
VILLAGE - UNE RUE - EXTERIEUR NUIT
La 2 CV de Charlie traversent le village sombre et endormi,
toujours sous la pluie.
GARAGE - STATION SERVICE - EXTERIEUR NUIT
Une grosse voiture américaine noire attend devant les pompes.
Charlie gare sa voiture derrière les pompes. Côté conducteur de la
grosse voiture, Schwarz, habillé de noir, et portant chapeau, a
ouvert la porte et, debout à côté de la voiture, klaxonne avec
vigueur. Charlie sort en courant de sa voiture et vient vers lui.
CHARLIE
Voilà, voilà, voila... Le plein ?
On aperçoit César assis à l'arrière de l'américaine, chapeau noir,
très élégant et portant un parapluie à manche en bambou. Schwarz
se penche vers César, qui acquiesce de la tête.
SCHWARTZ
Ouais, super.
CHARLIE
Super.
Charlie se précipite vers ses pompes.
SCHWARTZ
C'est Max qu'a oublié de faire le plein.
Accord orchestral un peu angoissant. César, l'air grave, se tourne
vers Max, assis à l'avant sur le siège passager. Il se contente de
hocher la tête, ce qui suffit à inciter Max à se cacher, l'air
penaud, derrière le dossier de son siège. Fin de l'accord
orchestral.
Charlie laisse son pistolet en place sur l'orifice de remplissage,
et repasse devant Schwarz.
CHARLIE
Bon, alors maintenant, on va vous vérifier l'huile, et puis
l'eau aussi.
Il arrive devant la voiture, ouvre le capot. On le voit tirer
quelque chose d'un coup sec, et on entend un bruit d'objet
métallique tombant par terre.
CHARLIE
Et ben voilà...
Il referme le capot et, jonglant avec son chiffon, il revient vers
les passagers. Entretemps, Schwarz s'est rassis derrière le
volant. Charlie se penche vers César.
CHARLIE
Euh... cent trente litres, ça fait quinze milles, monsieur.
César lui tend des billets par la vitre ouverte.
CHARLIE
Merci, monsieur. Bonne route, monsieur.
Charlie se dirige vers l'arrière du véhicule. Schwarz essaie de
démarrer le moteur, mais n'y arrive pas. Après une deuxième
tentative, il se tourne vers César
SCHWARTZ
J'comprends pas.
César lui fait signe d'aller chercher Charlie. Max sort de la
voiture, se dirige d'un pas décidé vers Charlie, qui était en
train d'astiquer une voiture, l'agrippe par le col et le ramène
vers l'américaine. Schwarz ouvre le capot.
MAX
Allez, répare ! Et en vitesse !
SCHWARTZ
Répare !... Mais répare !
César, qui est resté dans la voiture, les interpelle.
CESAR
Restez correct, pas de scandale.
Charlie contourne la voiture et s'approche de César. On entend un
chien aboyer.
CHARLIE
Me... Merci, monsieur. Merci bien. Je m'excuse, j'y connais
rien dans ces voitures-là.
CESAR
Sorti de son trou, c'est pas la lumière, hein ! Bon,
appelez-moi un taxi.
CHARLIE
J'ai pas le téléphone.
CESAR
Mais où je suis tombé, moi ! Dans quelle peuplade !
CHARLIE
Ah oui, mais y a le téléphone chez Madame la Marquise.
CESAR
La Marquise ?
Charlie ouvre la porte arrière, et César sort de la voiture.
CESAR
Téléphone... quelle marquise ?
CHARLIE
Ben, la-haut, au château. Et puis j'ai ma voiture, si vous
voulez.
César tient une mallette à la main. Il fait signe à ses deux
comparses de le suivre. Max se précipite pour ouvrir la porte
arrière de la 2 CV à César, qui monte dans le véhicule. Max
refermer la porte. Charlie démarre. Schwarz s'installe à côté de
Charlie, et Max vient s'assoir à côté de Schwarz. Max a un peu de
mal à fermer la porte. La 2 CV démarre en marche arrière
CHATEAU - VUE GENERALE - EXTERIEUR NUIT
MUSIQUE . On entend jouer le piano. Thème du dîner. C'est une
musique assez joyeuse bien rythmée.
CHATEAU - SALLE A MANGER - INTERIEUR NUIT
Jeanne joue du piano, pendant qu'Amélie et son père servent les
convives. La marquise apparaît à l'entrée de la salle, vêtue d'une
somptueuse robe du soir. Elle a sorti ses bijoux et s'est coiffé
d'un petit chapeau d'où dépasse une immense plume.
AMELIE
Fruits ?... Pâtisseries ?...
Amélie s'approche de la table des Passereau. Même les petits
voiliers sont à table.
FILLE PASSEREAU
Y a pas de glaces, maman ?
FILS PASSEREAU
(Un ou deux mots incompréhensibles, puis), maman, j'ai
faim.
A côté à la table de Jean-Jacques et Cookie, Georges débouche une
bouteille de vin et la goûte. Georges est en smoking, Jean-Jaques
a mis un blazer bleu pétrole, et Cookie une perruque rose.
FILLE PASSEREAU
Moi aussi !
CHATEAU - PALIER ET GRAND ESCALIER - INTERIEUR NUIT
M. Patin, en pyjama et épaisse robe de chambre nouée à la diable,
béret et lunettes sur le front, descend l'escalier d'un pas
précipité. Il arrive tout près de la marquise, toujours postée à
l'entrée de la salle, et qui fume une cigarette.
M. PATIN
Alors, j'écris tranquillement mon éditorial, comme toutes
les semaines, et voilà du piano au milieu de la nuit !
LA MARQUISE
Voulez-vous me dire qui lit l'éditorial du Petit Beaujolais
Libéré ! Mais qu'est-ce que c'est que cette tenue ? Vous
voilà à moitié nu, là, dans mon salon ! Vous vous croyez
chez vous.
Machinalement, M. Patin réajuste sa robe de chambre.
M. PATIN
Ben, je le pensais, madame. Mais ce monde ?...
LA MARQUISE
C'est le week-end, monsieur Patin.
M. PATIN
Ah oui, week-end, loisirs, vacances... Ils ne foutent plus
rien et se reproduisent comme des lapins !
LA MARQUISE
C'est la vie qui roule, monsieur Patin.
M. Patin hausse le ton :
M. PATIN
Elle roule vers l'abîme, oui !
CHATEAU - SALLE A MANGER - INTERIEUR NUIT
M. Passereau, qui écoute le piano avec beaucoup d'attention, met
un doigt sur sa bouche.
M. PASSEREAU
Chhht !
Mme Passereau le regarde en hochant la tête.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR NUIT
La porte d'entrée s'ouvre brutalement. Schwarz et Max entrent
précipitamment, une main glissé à l'intérieur de leur veste. César
les suit, tenant toujours sa mallette et son parapluie.
CESAR
Personne ?...
Il s'approche de quelques pas, et crie :
CESAR
Y a quelqu'un ?
CHATEAU - PALIER ET GRAND ESCALIER - INTERIEUR NUIT
La marquise, du haut de la balustrade du palier, se penche vers le
hall d'entrée.
LA MARQUISE
Qu'est-ce ?...
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR NUIT
César tend son parapluie à Schwarz et sa mallette à Max. Il enlève
son chapeau et le remet en forme. Max et Schwarz ont toujours la
main glissée à l'intérieur de leur veste. Tous regardent vers le
haut de l'escalier.
CHATEAU - PALIER ET GRAND ESCALIER - INTERIEUR NUIT
César montent prestement l'escalier, suivi de ses deux comparses.
Il s'arrête brutalement à mi-parcours pour remettre son chapeau,
et les deux comparses manquent lui rentrer dedans. César arrive
sur le palier, mais ne voit pas la marquise, masquée par un
pilier.
CESAR
Ah ! Téléphone !
Il décroche le téléphone, que Schwarz actionne avec vigueur.
CESAR
Allo ! Appelez-moi un taxi, vite !...
CHATEAU - SALLE A MANGER - INTERIEUR NUIT
CESAR
... Comment ? Pas de taxi !
Amélie, Georges et tous les convives regardent, d'un air
interloqué, vers le palier. M. Patin est debout derrière Jeanne.
Jeanne a arrêté brutalement de jouer du piano.
FIN DE LA MUSIQUE
CHATEAU - PALIER ET GRAND ESCALIER - INTERIEUR NUIT
La marquise sort de derrière le pilier, et passe devant Max, qui
regarde, l'air ahuri, la plume de son chapeau.
LA MARQUISE
Mais qu'est-ce que c'est que cet ostrogoth !
Elle se rapproche de César, toujours au téléphone.
CESAR
Bon, alors, passez-moi Turin, le 222-2-2-2-2... Comment,
dans un heure ? Mais enfin, c'est tout de même
invraisemblable ! Oui bon, ben j'attends.
Il raccroche. La marquise lui tape sur l'épaule.
LA MARQUISE
Non, mais pardon, monsieur... Qui que vous soyez - j'ai
l'impression que vous n'êtes pas grand chose - je tiens une
maison calme. Si vous arrivez ici pour briser ma porte, le
téléphone, et mes oreilles, j'appelle la gendarmerie.
Elle s'assoit sur un banc près de la rambarde de l'escalier.
CESAR
Ohhh ! La gendarmerie ! Dans une demeure aussi charmante.
Mais je comprends, je ne me suis pas encore présenté.
Baron... baron César Anselme de Maricorne, consul
général...
Il enlève son chapeau, qu'il fait tournoyer entre ses doigts
gantés.
CESAR
... chargé des relations culturelles auprès des offices
maritimes de l'Union Latino-Américaine... entre autres.
La Marquise, toujours assis lui tend la main, pour qu'il la baise.
LA MARQUISE
Mais je suis ravie, excellence.
César se contente de lui serrer distraitement le bout des doigts.
CESAR
Enchanté !
La marquise se lève. César tend son chapeau à Max.
LA MARQUISE
Nous avons des chambres à dix-huit et vingt milles francs,
toutes historiques.
Comme la marquise se tourne légèrement vers la salle à manger,
César a un petit mouvement de recul pour éviter la plume du
chapeau.
CESAR
Bon... mettez m'en une.
LA MARQUISE
Bien, et pour ces messieurs ?
CESAR
Oh... deux lits de camp... deux lits de camp. Je les garde
auprès de moi. Ils sont perdus sans ça.
César dépose ses gants dans le chapeau que tient Max et lui tapote
la joue.
LA MARQUISE
Alors, par ici... par ici, messieurs... Par ici...
La marquise tend le bras pour désigner le chemin. Schwarz, puis
Max, se dirigent vers l'escalier qui monte vers les étages
supérieurs. Max rend sa mallette à César. Au passage, Max
subtilise très adroitement et discrètement le lourd bracelet d'or
sur le bras tendu de la marquise.
LA MARQUISE
C'est tout ce que vous avez, comme bagages ?
CESAR
Oui... pour une nuit... enfin pour une heure... Hé, dites-
moi... Ayez l'obligeance de me passer la communication, dés
qu'on m'appellera. Charmante...
Max et Schwarz sont déjà sur les premières marches de l'escalier
d'où ils suivent la conversation, l'air un peu ahuri. César les
dépasse, mais ils reste figés sur place. César les regarde.
CESAR
Oh, les poètes !
Les deux comparses redescendent sur terre, et se remettent en
marche dans l'escalier, et passant devant César, resté immobile.
LA MARQUISE
Jeanne, mon petit...
MUSIQUE. Jeanne se met à jouer "Rêve d'Amour" de Liszt.
Alors que les deux comparses continuent à grimper l'escalier à
vive allure, César s'arrête sur le palier intermédiaire et claque
des doigts. Les deux comparses redescendent. César fait un signe
muet à Max, qui fouille dans sa poche, et tend le bracelet de la
marquise à César. Celui-ci redescend prestement vers le palier de
la salle à manger, pendant que les deux comparses restent sur le
palier intermédiaire.
CESAR
Dites-moi, jolie marquise... Je voulais vous dire... Pour
la communication, ben, n'est-ce pas, vous la mettrez à mon
compte, c'est pas la peine de...
César termine sa phrase dans un bafouillage incompréhensible,
mais, très adroitement, et très discrètement, il remet le bracelet
au poignet de la marquise. Il sourit et regarde vers la salle à
manger, et plus précisément vers le piano.
CESAR
Oh... "Raque-mane-ninoffe"... (Il s'agit de Rachmaninoff,
prononcé avec l'accent du midi)
CHATEAU - SALLE A MANGER - INTERIEUR NUIT
Jeanne, assise derrière son piano, continue à jouer Liszt. César
s'approche du piano, et s'accoude dessus, après avoir posé sa
mallette sur le couvercle du piano.
CESAR
Superbe... Divin ...
JEANNE
Vous aimez ?
CESAR
Et comment ?... J'aime... j'adore la musique...
JEANNE
Vous aimez la musique ?
CESAR
Je l'aime pas... je vis la musique !
La marquise s'est approché, et fait un signe à Georges.
LA MARQUISE
Georges... les bagages...
Georges, un verre à la main, vient prendre la mallette. César lui
prend vivement le bras.
CESAR
Ma valise !
Il reprend sa mallette, pendant que Georges termine son verre.
LA MARQUISE
Je vous ai donné la chambre treize... La chambre de
Casanova !
CESAR
Ca-Casanova ? Il a vécu dans ces murs ? Oh, le coquin !
Diane apparaît à l'entrée de la salle à manger, vêtue d'une très
belle robe du soir en velours vert sombre.
DIANE
Deux jours... Il y a beaucoup aimé...
César détaille la belle Diane d'un air connaisseur. Il s'approche
de Diane.
CESAR
A qui ai-je l'honneur ?...
Il baise la main de Diane, et la garde dans la sienne.
CESAR
Madame, César Anselme de Maricorne ne dérange pas la beauté
pour la laisser languir...
Il se détache de Diane, et s'approche de Georges.
CESAR
Garçon, à boire pour tout le monde. Le temps d'attendre mon
coup de téléphone. Chère amie, une valse.
FIN DE LA MUSIQUE
Sur ses derniers mots, César s'est tourné vers Jeanne, qui
s'arrête de jouer Liszt, et tourne la page de sa partition.
M. PATIN
Vous n'allez pas jouer pour ce rastaquouère ?
MUSIQUE. Thème de valse.
César traverse la salle à manger, jusqu'à la porte qui donne sur
le palier. Il siffle vivement. Les deux comparses entrent
précipitamment, la main glissée dans l'échancrure de la veste.
César rajuste sa cravate, puis donne la mallette à Max.
CESAR
Chambre treize... Attendez-moi là-haut, je donne le change.
Air ahuri des deux comparses, qui semblent ne pas comprendre de
quoi parle leur patron. César les regarde un instant.
CESAR
Non, ça fait rien.
Il revient vers la salle à manger, et se trouve nez à nez avec
Diane. Il lui tend les bras. Ils commencent à valser.
CESAR
J'aime l'impromptu, la romance subite...
DIANE
Moi aussi... Il y a une heure, le château dormait. Vous
arrivez, et tout s'éveille.
CESAR
Oui, je sais, je sais, on me l'a déjà dit. Question de
tempérament. Coïncidence imprévisible...
Un orchestre se joint au piano, transformant la valse pour piano
en concerto pour piano.
Alors que les deux valseurs passent près de Georges, celui-ci fait
péter le bouchon d'une bouteille de Champagne. César se sépare
brutalement de sa cavalière, et porte la main à sa ceinture. On
aperçoit la crosse d'un revolver, glissé dans sa ceinture. Il voit
la bouteille, s'aperçoit de son erreur, et réajuste sa veste.
DIANE
Mon mari vous a fait peur ?
CESAR
Votre mari ?...
César reprend sa valse interrompue.
CESAR
J'aime pas les maris. Et vous ?
DIANE
Oh, vous savez, pour moi, tous les hommes sont des maris.
Il la serre brutalement contre elle.
CESAR
C'est vrai ?
DIANE
Vous me faites mal, excellence.
César se réajuste, changeant visiblement son revolver de place.
CESAR
Oh, pardon... Non, laissez tomber l'excellence. Appelez-moi
César.
Ils passent en valsant devant la table de Jean-Jacques et Cookie.
COOKIE
Parlez-moi d'un type qui sait s'amuser.
JEAN-JACQUES
Comment ? Je ne suis pas drôle ?
COOKIE
Ah - ah - ah - ah - ah !...
Les valseurs repassent devant la table.
DIANE
Vous faites des jaloux ! Il faut réparer. Allez, je vous
laisse...
Elle s'éloigne et rejoint son mari.
GEORGES
Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
DIANE
Un peu brutal... pas désagréable...
Diane et Georges s'éloignent. César tend la main vers Cookie.
CESAR
Permettez, mademoiselle, que ma joie se double du plaisir
de vous inviter.
Cookie prend la main de César et se lève. Jean-Jacques se lève
aussi et s'interpose. Cookie se rassoit.
JEAN-JACQUES
Vous désirez ?
CESAR
Comment ?
JEAN-JACQUES
Non... rien...
L'air penaud, Jean-Jacques se rassoit. Cookie se relève et César
l'entraîne dans une valse. Jean-Jacques se console en vidant son
verre.
Mme Passereau tape sur le bras de son mari.
MME PASSEREAU
Tu m'invites pas ?
M. PASSEREAU
Oh, oui.
Le couple Passereau se lève.
MME PASSEREAU
Papa, les enfants, allez vous coucher. Y a si longtemps
qu'on a pas dansé (Derniers mots un peu incompréhensibles).
Les couples dansent. Amélie s'approche de Jean-Jacques, une
bouteille de Champagne ouverte à la main.
AMELIE
Vous restez seul ?
JEAN-JACQUES
Oh oui... non... je vais me coucher, je crois...
Il se lève.
AMELIE
Seul ?
Il se rassoit.
JEAN-JACQUES
Oh, ça me changera... Plaire, plaire, toujours plaire... je
suis las de plaire...
Elle lui a passé le bras autour de la nuque, et lui caresse
l'oreille. Jean-Jacques bafouille quelques mots incompréhensibles.
AMELIE
Je ne vous crois pas !
JEAN-JACQUES
Mon petit, allons, montons cette bouteille !
Il se lève, un verre à la main et, de l'autre main, il prend la
bouteille que tenait Amélie. Amélie s'éloigne, et Jean-Jacques se
dirige vers la porte, la bouteille et le verre à la main. Il fait
deux pas, se retourne, et regarde les danseur, l'air un peu
éberlué.
Amélie tape sur l'épaule de César qui danse toujours avec Cookie.
CESAR
Pardon !
Amélie a un petit regard coquin vers Jean-Jacques. César quitte
Cookie et commence à danser avec Amélie. Cookie les regarde, l'air
un peu fâché. Jean-Jacques est resté debout, comme figé sur place,
toujours la bouteille et le verre à la main.
La sonnerie du téléphone retentit par-dessus la musique. La
marquise va décrocher.
CHATEAU - PALIER ET GRAND ESCALIER - INTERIEUR NUIT
La marquise écoute deux secondes, puis se tourne vers la salle à
manger.
LA MARQUISE
Excellence ! Vous avez Turin en PCV.
CHATEAU - SALLE A MANGER - INTERIEUR NUIT
César travers la salle à manger en courant.
CESAR
Voila !...
CHATEAU - PALIER ET GRAND ESCALIER - INTERIEUR NUIT
César prend le téléphone des mains de la marquise.
CESAR
Ah, merci. Vous avez pas de cabine ?
LA MARQUISE
Non, mais je vais vous faire donner le silence.
Elle se tourne vers la salle à manger.
Jeanne, arrête ! Silence, vous tous ! J'ai l'étranger au
bout du fil !
FIN DE LA MUSIQUE. La musique s'arrête.
CESAR
Non, non, non, continuez, continuez !
Il met le combiné à son oreille, et se dirige dans un recoin du
palier.
CESAR
Allo ! Louvanski ?...
VOIX DE LOUVANSKI
Oui, Louvanski : c'est toi, César ?
La marquise décroche l'écouteur et le porte à son oreille.
CESAR
Oui, impossible, ce soir. Non. (Paroles un peu
INCOMPRÉHENSIBLES)
VOIX DE LOUVANSKI
Non ?
CESAR
Non, je peux pas être à la frontière.
VOIX DE LOUVANSKI
Pourquoi ?
Petit à petit, les convives se rapprochent de l'entrée de la salle
à manger.
CESAR
Impossible, je te te dis : la voiture est tombée en panne.
VOIX DE LOUVANSKI
L'avion, il est parti.
CESAR
Quoi ? L'avion peut pas attendre ?
VOIX DE LOUVANSKI
Mais non, je te dis, je ne peux pas... Je ne peux pas...
Ecoute...
CESAR
Bon, d'accord, à demain. Allez, tchao !
VOIX DE LOUVANSKI
Tchao, oui.
César baisse le combiné, mais le garde à la main. Il se retourne,
et regarde, un peu surpris, la marquise qui raccroche son
écouteur.
CESAR
Vous avez entendu ?
LA MARQUISE
On entend mieux l'étranger que l'épicier du coin.
Elle prend le combiné des mains de César et le raccroche.
LA MARQUISE
Mais, dites donc, ce Louvanski, là, m'a paru bien léger,
hein. Les pannes, ça arrive à tout le monde. Il aurait pu
vous attendre.
Elle a pris César par le bras, et ils se rapprochent du milieu du
palier.
CESAR
Vous avez entendu ? Bon, voilà, vous avez tout compris,
quoi.
LA MARQUISE
Ah !
CESAR
Oui, vous avez compris... qu'après vingt-neuf ans passés
au-delà des frontières...
Tous les convives, massés à l'entrée de la salle à manger, écoute
César avec beaucoup d'attention. Au premier rang, les femmes, de
gauche à droite, Mme Passereau, Cookie, Jeanne, Diane, Amélie.
Derrière, un touriste suédois, M. Patin, Georges, et derrière
encore, Jean-Jacques.
CESAR
... au fin fond des Amériques, au milieu de ce peuple si
peu familial, à qui... à qui j'apporte dans nos bagages
culturels l'oxygène qu'il réclame à pleins poumons, il est
dur, dis-je, de tomber en panne dans le berceau même de
notre patrimoine, dont je vois ici le plus charmant
fleuron. Il faudrait que j'en parle au prochain congrès,
d'ailleurs. Qu'est-ce que je disais ?
LA MARQUISE
Votre avion...
César se dirige vers l'escalier. Il monte deux marches et s'arrête
pour terminer son monologue.
CESAR
En panne ! Le ministre attendra ! Bref, nous sommes dans
les mains du Seigneur, et j'ai besoin de repos. Belles
dames, je vous souhaite la bonne nuit.
Il monte, sous l'oeil charmé des dames de l'assistance
MME PASSEREAU, DIANE, COOKIE, AMELIE, JEANNE
Il est... si... charmant
GEORGES
Il est sympathique.
CHATEAU - CHAMBRE DE CESAR - INTERIEUR NUIT
Les deux comparses dorment, chacun assis sur une chaise. César
entre, enlève sa veste, qu'il pose sur le lit. Il pose son
revolver sur la table à côté de la mallette. Il ouvre la mallette,
qui est pleine de liasses de billets de banque. Il compte les
liasse d'un doigt rapide. Il regarde ses deux acolytes, toujours
endormis. Il revérifie son comptage des billets, puis il se dirige
vers la chaise de Schwarz, dans laquelle il donne un coup de pied.
Les deux comparses se lèvent brusquement. César montre la
mallette, toujours ouverte sur la table.
CESAR
Il manque une liasse...
Les deux comparses prennent l'air ahuri, et se penchent vers
l'intérieur de la mallette.
CESAR
Lequel des deux saligauds ?...
L'air penaud, les deux comparses glissent la main à l'intérieur de
leur veste. César porte la main au deuxième revolver, qu'il porte
dans un holster sous son aisselle. Max fait un signe de dénégation
de la tête, pour le rassurer sur leurs intentions, et ils
extraient, chacun, de l'intérieur de leur veste, la moitié de la
liasse manquante. Il tendent les billets à César, qui les recompte
rapidement. Il soupire.
CESAR
J'avais confiance en vous.
D'un geste rapide, et avant que Schwarz ait pu prévenir son geste,
il donne une paire de baffes à Schwarz. Machinalement, Max met les
mains sur ses joues, mais César lui donne une grande claque sur le
front. Max s'écroule et se retient à la table. Il se relève en se
tenant le front. César remet la liasse dans la mallette.
CESAR
J'ai toujours confiance. Allez, faites vos lits !
MUSIQUE. Thème de César. Un air d'accordéon rappelant les bals
populaires parisiens.
Max et Schwarz se précipitent vers les deux lits de camp disposés
de part et d'autre du grand lit central. César referme la
mallette. Les deux comparses commencent à déplier leurs draps,
avec des mouvements brusques et agités. Lentement, César s'assoit
sur son lit.
CHATEAU - FAÇADE EXTÉRIEURE - EXTERIEUR NUIT
On aperçoit plusieurs fenêtres allumées.
MUSIQUE. Fin du Thème de César, et début du Thème du château.
Une fenêtre s'éteint. On se rapproche du château, et plus
particulièrement vers une fenêtre encore allumée.
CHATEAU - CHAMBRE DE LA MARQUISE - INTERIEUR NUIT
La marquise est au lit, en robe de chambre, avec une charlotte sur
la tête. Diane est assise à sa gauche, Jeanne à sa droite, toute
deux en chemise de nuit. Amélie est debout, appuyée sur le poste
de radio, vêtue d'une liquette, qui lui arrive à mi-cuisse.
LA MARQUISE
Cet homme est un monument ! Qu'en pensez-vous, mes chéries,
ai-je tort ?
DIANE
Oh, oui, je suis bien de ton avis...
Amélie tourne le bouton du poste de radio.
VOIX DU JOURNALISTE DE LA RADIO
RTL dernière. Hold-up sensationnel dans une banque de
Mâcon. Cent millions de butin. Barrages dressés dans tout
le département.
La marquise a dressé l'oreille pendant toute l'annonce. Amélie
ferme la radio et vient s'asseoir sur le lit.
LA MARQUISE
Quelle époque ! Hé oui... Qu'est-ce que nous disions, là ?
Ah oui, ah oui... Avez-vous vu ses... ses yeux, ses dents,
ses... ses mains...
DIANE
Ses narines...
LA MARQUISE
Ah, j'en ai connu un, tiens, comme ça autrefois... Un
napolitain...
DIANE
Quelle voix !
AMELIE
Peut-être un peu bavard...
JEANNE
Je ne trouve pas...
LA MARQUISE
Ta cousine est une enfant... Allez, va dormir. Va, chérie.
Jeanne embrasse la marquise, puis elle se penche pour embrasser
Diane. Elle envoie, du bout des doigts, un baiser à Amélie, qui le
lui rend. Elle se lève et sort de la chambre. Amélie vient prendre
sa place, et nous offre - une fois de plus ! - une vue sur sa
petite culotte !
LA MARQUISE
Bien sûr que c'est un bavard. Mais tant mieux. Si ces
hommes-la parlent d'amour, n'arrêtent pas d'en parler, ben,
ils le font aussi, va, crois-moi. Et ils le font
admirablement. C'est bien simple, tu t'en aperçois
qu'après !
AMELIE
Mais pendant ?
LA MARQUISE
Le ciel, mon petit. Ben, quand tu es au ciel, tu te poses
pas de question !
Diane prend l'air effaré.
DIANE
Maman ! Je pense que je vais tromper Georges.
LA MARQUISE
Mais je le sais, mon chéri, je le sens. Mais ta mère est
là. Euh... dis donc, Amélie, va vite dire à Charlie de
ramener la voiture de ce diable, hein... Qu'il s'en aille !
DIANE
Quel dommage, hein !
LA MARQUISE
Ah ben, faut te faire une raison ! Allez, file, file !...
Avant que ta mère ne devienne inconsolable !
Amélie se lève et sort de la chambre. La marquise serre sa fille
dans ses bras.
FIN DE LA MUSIQUE. Fin du Thème du château.
GARAGE - STATION-SERVICE - EXTERIEUR NUIT
Amélie, vêtue de son ciré jaune, arrive sur sa bicyclette. Elle
pose la bicyclette près du bâtiment d'habitation. Un chien aboie.
GARAGE - CHAMBRE DE CHARLIE - INTERIEUR NUIT
Charlie dort, torse nu. Il serre son oreiller. Il rêve et appelle
« Amélie » dans son sommeil. Amélie entre et allume la lumière.
CHARLIE
Amélie !... Amélie !...
AMELIE
Oui, oui, je suis là !
Elle ramasse, par terre, les chaussettes et la combinaison de
Charlie. Charlie émerge difficilement.
CHARLIE
Hein ?...
Amélie s'approche du lit.
AMELIE
Oh, je ne supporte pas que tu dormes quand je suis debout.
Elle rabat les draps. Charlie est en slip. Il s'assoit sur le bord
du lit.
CHARLIE
Oh... Oh, ma biche !
Il attire Amélie vers lui. Elle s'assoit sur le bord du lit.
AMELIE
Dépêche-toi...
Elle lui enfile une chaussette.
CHARLIE
Oh oui, t'es gentille ! Viens !
Il tente de la basculer sur le lit, mais elle résiste.
AMELIE
Après...
CHARLIE
Après quoi ?...
AMELIE
On va passer ses chaussettes... On va passer sa
combinaison...
Elle ne lui a enfilé qu'une seule chaussette, mais elle commence
néanmoins à lui enfiler sa combinaison par le bas.
CHARLIE
Qu'est-ce que tu fais ?
AMELIE
Je t'habille.
CHARLIE
Hein ? Quelle heure il est ?
AMELIE
Ohhh ! Tu vas te réveiller, dis !
Elle lui prend le visage dans les mains et le secoue.
CHARLIE
T'es où ?
AMELIE
Un peu d'eau sur le nez...
Elle se lève et se dirige vers le lavabo. Elle prend de l'eau dans
le creux de ses mains. Entretemps, Charlie a enfilé le haut de la
combinaison sans la refermer.
CHARLIE
C'est la première fois que tu viens dans ma chambre comme
ça...
Amélie lui balance une giclée d'eau froide sur la figure.
AMELIE
Tiens ! Faut réparer la grosse Américaine.
Elle s'assoit sur le lit et lui enfile ses savates. Il a
apparemment enfilé sa deuxième chaussette tout seul.
CHARLIE
Quoi ? Ça urge ?
AMELIE
Tu connais maman. Elle a peur que papa soit cocu.
CHARLIE
Encore !
AMELIE
Dépêche-toi ! Faut réparer.
Elle se lève du lit, et entraîne Charlie à se lever aussi.
CHARLIE
Oui, mais, mais j'en ai... j'y ai tout coupé, moi, à cette
voiture-là ! J'en ai pour toute la nuit.
Il met ses lunettes, qui étaient posées sur la table de nuit.
AMELIE
Et bien, justement. Allez, dépêche-toi...
Charlie sort par la fenêtre ouverte, et Amélie enlève son ciré.
En-dessous, elle porte sa liquette. Elle se glisse dans le lit.
Charlie réapparait à la fenêtre.
CHARLIE
Tu m'avais dit qu'on se verrait ce soir.
Amélie s'installe confortablement dans le lit.
AMELIE
Et bien... tu me vois !
CHARLIE
Ah oui, mais pas comme ça !
AMELIE
Après... J'arrive... Dépêche-toi
Charlie s'éloigne vers l'atelier, et Amélie se pelotonne contre
l'oreiller.
Fondu au noir.
MUSIQUE. Thème de Jeanne, joué sous forme de concerto pour piano.
CHATEAU - CHAMBRE DE JEANNE - INTERIEUR NUIT
Jeanne, en chemise de nuit, se regarde dans le miroir de sa
coiffeuse. Des bougies sont disposées de part et d'autre du
miroir. Elle se redresse la poitrine à travers le tissu de la
chemise de nuit. Elle se dirige vers la fenêtre qu'elle ouvre. On
aperçoit M. Patin, accoudée à une fenêtre voisine.
JEANNE
Vous n'avez pas sommeil ?
M. PATIN
Non. Je m'en étonne et je m'en inquiète.
CHATEAU - FAÇADE - FENETRE DE JEANNE - EXTERIEUR NUIT
JEANNE
Je sais bien qu'il fait nuit, mais pourquoi voyez-vous
toujours tout en noir ?
CHATEAU - FAÇADE - FENETRE DE M. PATIN - EXTERIEUR NUIT
M. PATIN
Ah... Je vois que le monde est plein d'extravagants, et
qu'on en trouve - regardez cette soirée - jusqu'au fond des
retraites les plus solitaires.
CHATEAU - FAÇADE - FENETRE DE JEANNE - EXTERIEUR NUIT
JEANNE
Cet homme est bien gentil. C'est comme vous : un artiste.
CHATEAU - FAÇADE - FENETRE DE M. PATIN - EXTERIEUR NUIT
M. PATIN
Pfff !... Outrecuidant, presque bestial.
CHATEAU - FAÇADE - FENETRE DE JEANNE - EXTERIEUR NUIT
JEANNE
Non : expansif. Pourquoi vous retenez-vous toujours ?
CHATEAU - FAÇADE - FENETRE DE M. PATIN - EXTERIEUR NUIT
M. PATIN
Je place le respect au-dessus de tout.
CHATEAU - FAÇADE - FENETRE DE JEANNE - EXTERIEUR NUIT
JEANNE
Mais, monsieur Patin, est-ce que le respect ne... vous
coupe pas...
Elle mime, avec deux de ses doigts, un ciseau qui coupe quelque
chose.
CHATEAU - FAÇADE - FENETRE DE M. PATIN - EXTERIEUR NUIT
M. PATIN
Vous coupe quoi, mon petit ?
CHATEAU - FAÇADE - FENETRE DE JEANNE - EXTERIEUR NUIT
JEANNE
Moi, il me semble que ça vous coupe l'élan.
CHATEAU - FAÇADE - FENETRE DE M. PATIN - EXTERIEUR NUIT
M. Patin se redresse légèrement.
M. PATIN
Je me méfie des élans.
CHATEAU - CHAMBRE DE JEANNE - INTERIEUR NUIT
Jeanne est toujours à sa fenêtre, et on aperçoit M. Patin à la
sienne.
JEANNE
Comme vous avez peur. Moi pas.
Elle commence à fermer sa fenêtre.
CHATEAU - FAÇADE - EXTERIEUR NUIT
On voit, dans le même plan, les deux fenêtres, de Jeanne et de M.
Patin.
Jeanne finit de fermer sa fenêtre.
JEANNE
Bonne nuit, monsieur Patin.
M. Patin rentre lentement dans sa chambre, sans fermer sa fenêtre.
La caméra monte, le long de la façade, vers une autre fenêtre.
Cookie y est accoudée. Elle rentre dans sa chambre.
FIN DE LA MUSIQUE
CHATEAU - CHAMBRE DE COOKIE - INTERIEUR NUIT
Cookie, en nuisette vaporeuse et petite culotte, quitte sa
fenêtre, et se dirige vers le sas de communication entre les deux
chambres. Elle ouvre la porte de son côté du sas, et frappe sur
l'autre porte.
COOKIE
Sois pas con !
CHATEAU - CHAMBRE DE JEAN-JACQUES - INTERIEUR NUIT
On voit remuer la porte sur laquelle Cookie est en train de
frapper, mais elle ne s'ouvre pas.
COOKIE
Ouvre !
Cookie continue à frapper. Jean-Jacques, en robe de chambre
chamarrée, est assis sur son lit, une tête de modiste en plastique
blanc entre les jambes. Il enlève sa perruque et la pose sur la
tête de modiste.
JEAN-JACQUES
Laissez-moi, voulez-vous.
Il commence à peigner la perruque.
COOKIE
Qu'est-ce que vous faites ?
La voix se fait plus tendre :
COOKIE
Qu'est-ce que tu fais ?
JEAN-JACQUES
Je lis.
CHATEAU - CHAMBRE DE COOKIE - INTERIEUR NUIT
Cookie est toujours dans le sas, l'oreille collée contre la porte
de Jean-Jacques.
COOKIE
T'es toujours en train de lire.
CHATEAU - CHAMBRE DE JEAN-JACQUES - INTERIEUR NUIT
Il continue à coiffer sa perruque.
JEAN-JACQUES
Ah, ah !! Bien sûr, ce n'est pas vous qui pouvez
comprendre !
COOKIE
Ouvre enfin !
Il commence à se lever.
JEAN-JACQUES
A quoi bon ?
Il se dirige, à pas feutrés, vers sa coiffeuse.
COOKIE
C'que tu peux être emmerdant ! C'est pas à cause de tout à
l'heure. Je m'en fous de ce type.
Il s'est assis, et a placé la perruque sur sa tête. Il se coiffe.
JEAN-JACQUES
De qui parlez-vous ?
CHATEAU - CHAMBRE DE COOKIE - INTERIEUR NUIT
Elle est toujours dans le sas.
COOKIE
Tu sais bien. Allez, ouvre !
CHATEAU - CHAMBRE DE JEAN-JACQUES - INTERIEUR NUIT
Le peigne à la main, il finit d'ajuster sa perruque.
JEAN-JACQUES
Mon petit, je n'aime pas donner de leçon, mais je ne suis
pas le genre d'homme qu'on siffle, et qui fait le beau.
Il mouille son doigt et se lisse les sourcils.
CHATEAU - CHAMBRE DE COOKIE - INTERIEUR NUIT
Elle sourit.
COOKIE
T'es vexé ?
CHATEAU - CHAMBRE DE JEAN-JACQUES - INTERIEUR NUIT
Il se vaporise de l'eau de toilette sous les aisselles, puis s'en
asperge toute la tête.
JEAN-JACQUES
Oh, oh !! Je suis au-dessus de ça !
CHATEAU - CHAMBRE DE COOKIE - INTERIEUR NUIT
Elle reprend l'air sérieux.
COOKIE
Très bien. Salut !
Elle ferme la porte de son côté du sas.
CHATEAU - CHAMBRE DE JEAN-JACQUES - INTERIEUR NUIT
En entendant le bruit de la porte qui se ferme, il se lève
brusquement, et se précipite vers la porte, la main posée sur sa
perruque.
CHATEAU - CHAMBRE DE COOKIE - INTERIEUR NUIT
Cookie a entrebâillé la porte de son côté du sas. Elle surveille
attentivement les mouvements dans le sas.
CHATEAU - CHAMBRE DE JEAN-JACQUES - INTERIEUR NUIT
Il prend l'air viril et mâle, et pose sa main sur la poignée de la
porte.
JEAN-JACQUES
Alors, c'est bon... Viens !
Il ouvre sa porte d'un air décidé. L'autre porte se claque sous
son nez. De rage, il enlève sa perruque d'un geste nerveux. Une
longue mèche en désordre lui pend devant sur le front, lui donnant
l'air ridicule.
CHATEAU - CHAMBRE DE COOKIE - INTERIEUR NUIT
Elle ouvre sa porte.
CHATEAU - CHAMBRE DE JEAN-JACQUES - INTERIEUR NUIT
Cookie entre dans la chambre et découvre le spectacle, assez
désopilant, de Jean-Jacques, la perruque à la main et la mèche en
bataille. Elle le regarde d'un air ahuri.
COOKIE
Merde ! Tes cheveux !
Jean-Jacques sourit piteusement.
MUSIQUE. Thème du château. Le thème est annoncé par un un accord
de violoncelle.
CHATEAU - FAÇADE - EXTERIEUR NUIT
On voit les deux fenêtres des chambres de Cookie et Jean-Jacques.
On entend une porte claquer. Puis une autre, et les lumières
s'éteignent. La caméra redescend vers une autre chambre.
L'accord de violoncelle évolue vers le Thème du château.
Zoom sur une autre fenêtre.
CHATEAU - CHAMBRE DE GEORGES ET DIANE - INTERIEUR NUIT
Dans la pénombre, on distingue un lit sur lequel sont couchés deux
corps enlacés. Georges se dégage lentement de son épouse.
GEORGES
Bien... Ahhhh !!...
Diane, l'air béat, émet un petit gémissement de plaisir. Elle
caresse tendrement les cheveux de Georges.
DIANE
Mmmmmm !!
GEORGES
Ouah !... Le baron César !!...
Georges fait un bras d'honneur.
CHATEAU - CHAMBRE DE CESAR - INTERIEUR NUIT
Les trois hommes sont couchés tout habillés. Les deux comparses
dorment, mais César se redresse sur son lit, l'air inquiet, comme
s'il venait d'entendre la dernière réplique de Georges. Son
parapluie est en fait une canne-épée, dont il tire la lame. Puis,
semblant rassuré, il la remet dans son fourreau, et se rallonge.
CHATEAU - FAÇADE - PLAN ASSEZ LARGE - EXTERIEUR NUIT
FIN DE LA MUSIQUE. Fin du Thème du château.
VILLAGE - VUE GENERALE - EXTERIEUR JOUR
Le jour s'est levé et on entend un coq chanter.
GARAGE - STATION-SERVICE - EXTERIEUR JOUR
La grosse américaine est toujours garée devant les pompes. Le
capot est ouvert. Charlie est allongé sous la voiture. Il
s'extirpe lentement et ramasse ses outils. Il se lève et se
dirige, en traînant les pieds, vers le bâtiment d'habitation. Sur
le parking, sont disséminées les autres voitures des « clients »
du château. Charlie est tellement épuisé qu'il fait tomber ses
outils par terre, et ne les ramasse pas. Il arrive au niveau de la
fenêtre de sa chambre.
GARAGE - CHAMBRE DE CHARLIE - INTERIEUR JOUR
Charlie enjambe le rebord de la fenêtre. Il retombe lourdement sur
le lit, dans lequel Amélie est endormie. Charlie s'assoit sur le
rebord du lit et enlève ses lunettes. Amélie se réveille. Charlie
pose ses lunettes par terre, et s'allonge sur le dos à côté
d'Amélie, tout habillé et couvert de graisse.
AMELIE
T'as fini ?...
CHARLIE
Ouais !
Amélie s'étire.
AMELIE
C'est gentil. T'as bien travaillé. Ça mérite sa récompense,
ça, madame !...
Amélie se penche vers Charlie pour l'embrasser. Charlie baille à
s'en décrocher la mâchoire. Amélie se redresse légèrement
AMELIE
On n'y arrivera jamais !
Amélie se lève, et se dirige vers le tableau noir accroché au mur.
Elle ramasse la craie pendue au bout d'une ficelle et écrit :
"Repose-toi. Je t'attends dans ma chambre pendant la messe !"
Pendant qu'elle écrit, on voit Charlie, le visage couvert de
graisse, qui continue à dormir. Après avoir fini d'écrire, Amélie
enfile son ciré et sort de la chambre.
CHATEAU - CAMPAGNE ENVIRONNANTE - EXTERIEUR JOUR
MUSIQUE. Thème du château, auquel a été adjoint un piano.
Des vaches dans un champ. Panoramique, qui nous permet de voir le
château derrière le champ.
CHATEAU - VUE GENERALE - EXTERIEUR JOUR
CHATEAU - TOIT - EXTERIEUR JOUR
Un pigeon, en s'envolant, détache une tuile.
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
Martial passe, marchant avec sa canne. La tuile tombe à ses pieds.
Il s'arrête un instant pour la regarder, puis reprend sa marche.
La porte du château s'ouvre, pour laisser le passage aux touristes
suédois, vêtus de tenues sportives. Il s'éloigne du château au pas
de gymnastique. L'un deux rythme la cadence par des "Pop-pop-
popop..." Ils descendent l'escalier du perron. En contrebas, ils
passent devant la voiture américaine qui arrive. Amélie est au
volant. Après s'être arrêtée, elle klaxonne vigoureusement.
FIN DE LA MUSIQUE.
CHATEAU - FAÇADE - EXTERIEUR JOUR
Une fenêtre s'ouvre : César, en manches de chemise, mais chapeau
sur le crâne, apparaît. Il lève son chapeau, et joue avec.
CESAR
Mademoiselle Amélie ! Petite nymphe lumineuse !
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
Amélie sort de la voiture et claque la porte. Elle a une fleur
entre les dents
CESAR
Mais qu'est-ce que je vois ?
CHATEAU - FAÇADE - EXTERIEUR JOUR
Gros plan sur la fenêtre de César. Tenant toujours son chapeau à
la main, il fait des gestes en direction de sa voiture.
CESAR
Non, non, cachez-moi cette voiture ! Enlevez-moi ce
catafalque !
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
Amélie est toujours appuyées sur la voiture, une fleur entre les
dents.
CESAR
Je ne veux pas quitter ce paradis.
CHATEAU - FAÇADE - EXTERIEUR JOUR
CESAR
Paradiiis !!
CHATEAU - CHAMBRE DE CESAR - INTERIEUR JOUR
César rentre dans sa chambre, chantant, et tenant son chapeau à
bout de bras.
CESAR
La-di-hooo !!
Les deux comparses, assis en manches de chemise, regarde leur
patron chanter en souriant. Schwarz s'évente avec son chapeau.
César remet son chapeau sur la tête et redevient brutalement
sérieux.
CESAR
Debout, les connards, on met les voiles !
Il enfile sa veste. Les deux autres se lèvent et en font autant.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
César descend l'escalier, suivi de ses deux comparses. Il s'arrête
brusquement, et une fois de plus, les deux autres manquent lui
rentrer dedans.
CESAR
Oh... la charmante marquise ! Et notre petite Amélie.
César enlève son chapeau, et se dirige vers le bureau. La marquise
est assise à sa place, et Amélie, toujours en liquette et ciré,
est assise sur le bureau. La marquise tend sa note à César.
CESAR
Ah ! La petite note.
LA MARQUISE
J'ai mis tout ensemble : 347 mille 812 francs 25 centimes.
César regarde distraitement la note. Max sort de l'argent de sa
poche.
CESAR
Tout est compris ?
César donne la note à Max, qui compte ses billets.
LA MARQUISE
Ouiii... J'retire les 25 centimes.
CESAR
Voilà, voilà, voila... Et bien, je ne suis pas prêt
d'oublier cette maison. Chère madame, mademoiselle.
Max garde la note et pose l'argent sur le bureau. Les deux
comparses sortent en portant un doigt à leur chapeau en guise de
salut. La Marquise compte les billets.
LA MARQUISE
Et dire que les bons clients ne reviennent jamais.
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
Les trois hommes montent dans la grosse américaine, Schwarz
toujours au volant. Il démarre, et César, de la fenêtre arrière,
regarde le château. Appuyée sur le chambranle de la porte ouverte
du château, Jeanne regarde la voiture s'éloigner. Elle fait un
signe de la main. César ne la quitte pas du regard. Il a l'air
songeur. La voiture passe sous la voute d'entrée du château.
CHATEAU - PARC - UNE ALLEE - EXTERIEUR JOUR
La voiture roule dans le parc du château, et s'engage sur l'allée
principale.
CAMPAGNE - UNE ROUTE - EXTERIEUR JOUR
La voiture roule sur une route. Devant elle, un barrage de
gendarmerie. Elle freine brutalement. Les gendarmes se retournent.
Un coup de sifflet retentit. Un gendarme fait signe au véhicule de
se ranger sur le bas-côté de la route.
Dans la voiture, Max se penche à la fenêtre vers son patron.
MAX
Allez ! On leur rentre dedans !
CESAR
Ah non, non, non, non, non...
César sort du véhicule.
CESAR
Demi-tour... Allez, demi-tour... Demi-tour, innocemment...
Innocemment...
Il referme la portière, et se dirige vers le bas-côté de la route.
CESAR
Ohhhh !... Ohh !... Les petites fleurettes que je vois !...
Il se penche et cueille des fleurs. Il tourne la tête vers la
voiture.
CESAR
Demi-tour... Innocent... Innocent... Demi-tour...
Comme ses comparses ne semblent pas comprendre sa ruse, il hausse
LE TON :
CESAR
Demi-tour, imbécile !
La voiture amorce un demi-tour. Avec une démarche un peu
précieuse, César revient vers le bas-côté
CESAR
Ohhh... Ohh !... Les petites fleurettes... Que je vois...
Les gendarmes sont figés sur place par la surprise.
CESAR
Mmmm ! Que c'est joli...
Il respire l'odeur des fleurs. Entretemps, la voiture a terminé
son demi-tour, et César saute dedans.
CESAR
Allez, fonce, imbécile, maintenant ! Mais fonce ! Vas-y,
vas-y, vas-y !
La voiture redémarre en trombe. Les gendarmes sont toujours figés
sur place.
VILLAGE - ENTREE DU VILLAGE ET ETANG - EXTERIEUR JOUR
Derrière un virage masqué par un mur, les gangsters découvre un
autre barrage de gendarmerie. La voiture pile. César a l'air très
soucieux. Un gendarme lève un bras et se dirige vers la voiture.
LE GENDARME
Halte !
INTERIEUR VOITURE CESAR - EXTERIEUR JOUR
Plan rapproché sur Schwarz au volant.
CESAR
Recule, vite ! Toujours innocent, mais recule !
Un sifflet retentit. Schwarz, la tête tournée vers l'arrière du
véhicule, commence à faire reculer la voiture.
LE GENDARME
Halte, ou je tire !
Plan rapproché sur César assis à l'arrière.
CESAR
Tire, tire, mais recule, toi !
Max se retourne vers César.
MAX
Allez, patron, je le descends !
CESAR
Descend pas, recule !
VILLAGE - ENTREE DU VILLAGE ET ETANG - EXTERIEUR JOUR
La voiture recule et les gendarmes lui courent après.
LE GENDARME
Arrêtez, mais arrêtez !
INTERIEUR VOITURE CESAR - EXTERIEUR JOUR
CESAR
Stop ! Fais demi-tour, je te protège !
VILLAGE - ENTREE DU VILLAGE ET ETANG - EXTERIEUR JOUR
César sort du véhicule. Il a dégainé son arme, mais tient sa
mallette de l'autre main. Il se cache derrière un mur en béton, et
commence à tirer. Les gendarmes se mettent à l'abri.
UN GENDARME
Gare à vous !
Échange de coups de feu. La voiture, porte arrière ouverte, recule
toujours. La portière se ferme.
César, hors de la vue des gendarmes, se cache derrière un mur,
près d'un engin de chantier. On entend la voix de Max provenant de
la voiture.
MAX
En avant !... Mais en avant !... (plusieurs mots
INCOMPRÉHENSIBLES)
La voiture recule vers l'étang
INTERIEUR VOITURE CESAR - EXTERIEUR JOUR
Schwarz manoeuvre désespérément le levier de vitesses.
SCHWARTZ
Elle passe pas, cette putain !
VILLAGE - ENTREE DU VILLAGE ET ETANG - EXTERIEUR JOUR
La voiture recule toujours vers l'étang. On entend les voix à
l'intérieur.
MAX
Fais quelque chose !
SCHWARTZ
Mais qu'est-ce que je fais, là ?
La voiture, toujours en marche arrière, pénètre dans l'étang.
MAX
C'est pas vrai, quoi !
SCHWARZ
Et bien, je fais...
Le reste de la conversation se perd, étouffée par l'eau. La
voiture s'enfonce lentement. César a un geste d'impatience. Caché
derrière le mur, il voit revenir les gendarmes, et comprend que
ceux-ci croient que la voiture a repris la route car ils ne l'ont
pas vue disparaître dans l'étang. César se cache derrière le
véhicule de chantier. Il entend démarrer les véhicules de
gendarmerie.
L'OFFICIER
Coupez la route de Fléchères... Allez-y... Je préviens la
brigade.
Coup de sifflet. Deux motards s'éloignent. Les autres gendarmes,
les armes à la main, avancent prudemment sur la route.
Tous les gendarmes s'en vont
La voiture, elle, s'enfonce toujours. On entend des glou-glou et
des mots incompréhensibles.
César sort de sa cachette et se dirige vers l'étang. Il voit
partir les derniers gendarmes. Il continue son chemin vers le bord
de l'étang. A la surface de l'eau, les derniers glou-glou de la
voiture qui a totalement disparue au fond de l'étang. César range
son arme et soulève son chapeau. Les yeux fermés, on a
l'impression qu'il effectue une courte prière sur les derniers
glou-glou. Puis il remet son chapeau, et regarde sa montre. Il
sort de la route et commence à marcher à travers champs
CHATEAU - DOUVES - EXTERIEUR JOUR
MUSIQUE. Thème du château.
Vue des douves et du pont enjambant ces douves.
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
Le vestibule est un large couloir, à côté du hall d'entrée, et qui
a, à chaque extrémité, une porte ouvrant sur l'avant et sur
l'arrière du château.
Diane, portant toilette du « dimanche » et chapeau, est en train
de se maquiller devant une glace. Amélie, habillée, elle, très
« décontractée », est assise sur un canapé à côté de la glace.
Elle passe un tube de rouge à lèvres à sa mère, et lui montre, par
signes, comment l'appliquer. Arrive la marquise, vêtue d'une
grande cape blanche, d'un chapeau style « perruque blanche
ébouriffée » et tenant une ombrelle blanche à la main. On découvre
Martial, à genoux devant Diane, en train d'astiquer ses souliers.
LA MARQUISE
Martial !
Martial se tourne vers la marquise dont il astique, à son tour,
les souliers. On voit Georges arriver dans le reflet d'une glace
accrochée au mur.
GEORGES
Ahh ! Quel tintouin !
Georges porte un costume blanc et un chapeau. Il donne une paire
de gants à sa belle-mère.
LA MARQUISE
Mais la messe va commencer, moi, je ne vois personne.
Georges, avez-vous réveillé tout le monde ?
GEORGES
Mais, ma mère, la clientèle n'a plus qu'une religion : la
grasse matinée. Elle a raison.
La marquise se tourne devant un miroir en pied. Elle porte une
robe rose, harmonisée avec la doublure de sa cape.
LA MARQUISE
Oui, et ben, que ça plaise ou non, quand on est sous mon
toit, on va à la messe le dimanche. Voilà. Sauf monsieur
Patin, naturellement. Il bouffe de la calotte : il l'écrit,
il en vit... on peut pas lui retirer le pain de la bouche !
Ah !
Provenant du hall d'entrée, arrivée de la famille Passereau, sauf
M. Passereau. Les enfants portent leurs éternels voiliers. Ils
sont suivi de Jeanne, toute habillée de blanc, un bandeau blanc
dans les cheveux.
FILS PASSEREAU
Je sais que c'est le mien !
FILLE PASSEREAU
Non, c'est pas moi !
La marquise et Jeanne s'embrassent.
LA MARQUISE
Mon chéri.
JEANNE
Bonjour, mamy.
LA MARQUISE
J'allais attendre.
Jeanne se dirige vers Martial
LA MARQUISE
Martial, les souliers !
La marquise salue Mme Passereau
LA MARQUISE
Bonjour, chère madame.
MME PASSEREAU
Bonjour, madame.
LA MARQUISE
Je ne vois pas votre mari.
MME PASSEREAU
Je le laisse dormir. Imaginez-vous que cette nuit, pour la
première fois depuis...
LA MARQUISE
J'imagine... Euh... Ah !...
Sortant du hall d'entrée, arrivée de Jean-Jacques, vêtu d'un
costume sombre, très ajusté près du corps.
JEAN-JACQUES
C'est tout de même insensé de disposer de cette manière de
l'âme d'autrui !
LA MARQUISE
Ben c'est comme ça !
JEAN-JACQUES
Je suis un libéral et un un libertin. Le libéral tolère
l'église, le libertin préfère son lit !
Pendant qu'il parlait, Cookie est entrée, vêtue d'une robe jaune
et d'un étrange chapeau conique rayé horizontalement de rose et de
vert. Elle hoche la tête en se tournant vers la marquise.
COOKIE
Son lit !
LA MARQUISE
Allez, les enfants, en route ! Et nous prenons le
raccourci, hein ! Amélie, tu ne crois toujours plus en
Dieu ?
Amélie est toujours installée sur son canapé.
AMELIE
Non.
LA MARQUISE
Bon. Alors, comme d'habitude, tu gardes la maison. Allez !
MUSIQUE. Le thème du château est insensiblement remplacé par un
Thème religieux, avec fond d'orgue, et voix chantant le Kyrie.
CHATEAU - PARC - EXTERIEUR JOUR
Procession dans le parc, tout près de la masse imposante du
château. En tête, la marquise, portant ombrelle ouverte, au bras
de Georges. Derrière, Diane, elle aussi portant ombrelle, avec
Jeanne. Derrière, Jean-Jacques et Cookie. Puis la famille
Passereau. Et fermant la marche, chacun leur canne à la main,
Martial et le grand-père Passereau.
CAMPAGNE - UN CHAMP - EXTERIEUR JOUR
La procession traverse un champ. Diane ramasse des fleurs,
bientôt, imitée par Jeanne, Cookie et les enfants Passereau. Mme
Passereau se retrouve avec tous les voiliers dans les bras.
CAMPAGNE - OREE DU VILLAGE - EXTERIEUR JOUR
On aperçoit l'église assez proche. La procession marche au bord
d'une route. Charlie passe à bicyclette sur cette route.
CHARLIE
Madame la comtesse... M'sieu-dames !
Mme Passereau et Cookie font un grand signe de la main à Charlie.
Charlie continue sa route en se recoiffant. Il porte blouson de
cuir et cravate.
MUSIQUE. La musique religieuse se transforme en Thème de César.
Derrière la procession, et Charlie qui s'éloigne sur la route, on
aperçoit, dans un champ, au milieu des vaches, César, toujours sa
mallette à la main, qui se cache derrière un arbre. Après un
temps, il reprend furtivement sa route à travers champs.
CHATEAU - PONT SUR LES DOUVES - EXTERIEUR JOUR
Vue du château, en contre-plongée, prise sous le pont des douves.
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Amélie est allongée, près du rebord de sa fenêtre, sur lequel elle
à posé un tapis à poils épais. Elle tient une paire de jumelles à
la main et observe la campagne alentours.
CHATEAU - PARC - ETANG - EXTERIEUR JOUR
Vu à travers les jumelles d'Amélie, on découvre l'étang, dans
lequel les touristes suédois se baignent et chahutent,
complètement nus. On entend leur rires.
CHATEAU - FAÇADE - EXTERIEUR JOUR
Fenêtre de la chambre d'Amélie, presque sous les toits. Elle est
toujours en train d'observer les suédois à la jumelle.
CHATEAU - PARC - ETANG - EXTERIEUR JOUR
Toujours vus à travers les jumelles d'Amélie, les suédois
continuent à chahuter dans l'eau.
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Charlie arrive derrière Amélie, qui ne bouge pas, et ne lâche pas
ses jumelles. Il commence à déboutonner son haut rouge. Il lui
embrasse le dos. S'il a gardé ses lunettes, il est par contre
torse nu. Il finit de défaire les bretelles du haut d'Amélie et
les passe par-dessus ses épaules. Amélie, sans changer sa
position, lâche enfin ses jumelles et se tourne légèrement, pour
permettre à Charlie de mieux la déshabiller. D'un seul coup, elle
sursaute.
AMELIE
Tiens !
CHATEAU - FAÇADE - EXTERIEUR JOUR
Fenêtre de la chambre d'Amélie. Elle reprend ses jumelles.
CHATEAU - PARC - BASSIN ROND - EXTERIEUR JOUR
Vu à travers les jumelles d'Amélie, un bassin rond, en pierre,
avec une fontaine - éteinte - au milieu. César tourne autour du
bassin en courant.
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Amélie se redresse, tenant son haut plaqué contre sa poitrine.
AMELIE
Minute, j'arrive !
Elle sort de sa chambre. Charlie reste assis au même endroit.
CHARLIE
Ben oui, mais on n'y arrivera jamais !
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
Porte donnant sur l'arrière du château. A côté de la porte, une
armure. Cette porte est grande ouverte.
Amélie entre dans le champ. Entendant du bruit, elle s'éloigne
rapidement. César entre par la porte ouverte, avec une démarche de
félin. Il regarde partout alentours, et se dirige vers le bureau.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
César ne voit pas Amélie allongée sur la large rampe de
l'escalier, car elle est masquée par un gros pilier. Il pose sa
mallette sur le bureau et décroche le téléphone.
FIN DE LA MUSIQUE
CESAR
Allo, mademoiselle, pouvez-vous me passer Turin, s'il vous
plait. Le 222-2-2-2-2... Oui, oui... Oui, j'attends, merci.
Il raccroche.
AMELIE
Alors, vous êtes revenu.
César se tourne et découvre Amélie
CESAR
Oh, petite Amélie ! Je vous le dis, je fais deux pas loin
d'ici, et j'ai mon coeur qui se serre. En plus, j'ai un coup
de fil à donner.
Le téléphone sonne
CESAR
Vous permettez ?... Allo ?... Louvanski ?... Oui... Ici,
César... Attends une seconde !...
Tout en parlant, César se dirige vers une porte située derrière le
bureau. Il entre et s'enferme, laissant néanmoins la porte
entr'ouverte.
CESAR
Je peux pas te rejoindre... Oui, un accident... Toutes les
routes sont bloquées... Mais toi tu viens par contre...
Oui, d'accord... Tu notes ?...
Amélie, l'oreille tendue, écoute la conversation
CESAR
Nationale Sept... Village de Fléchères... Y a un château.
Juste en face, il y a une grande prairie. Tu pourras
atterrir, tu verras, c'est très facile. T'inquiète pas, ce
sera balisé. Tu arrives ce soir ?... Bon, alors, vas-y
répète... Hein-hein...
César sort de sa « cachette ».
CESAR
Hein-hein...
Il baisse le combiné, car il vient d'apercevoir deux gendarmes par
la fenêtre ouverte.
CESAR
OK, OK, Tchao !
Il raccroche et repose le téléphone sur le bureau. Puis il
retourne s'enfermer dans la petite pièce derrière le bureau. Une
cloche retentit. Amélie se redresse, et descend de la rampe de
l'escalier. Elle va ouvrir aux gendarmes. Dans un premier temps,
ils restent sur le pas de la porte.
UN GENDARME
Bonjour, madame la baronne... Madame la marquise n'est pas
là ?
AMELIE
Non. Pourquoi ?
UN GENDARME
Ah, vous demandez pourquoi, vous ? Avec le hold-up de
Mâcon, des barrages partout, jusque dans le village, et
vous demandez pourquoi ! On ne sait jamais rien au château.
C'est vraiment le bout du monde, chez vous.
AMELIE
Un hold-up ?
UN GENDARME
On peut voir les registres ?
AMELIE
Bien sûr.
Amélie guide les gendarmes jusqu'au bureau. César pointe son nez
pas la porte entr'ouverte de sa cachette. A l'approche des
gendarmes, il se recache. Amélie donne les deux registres aux
gendarmes. Chaque gendarme prend un registre, et commence à le
consulter.
AMELIE
Voilà...
Pendant que les gendarmes feuillètent les registres, Amélie va
fermer la porte, devant l'oreille de César, qui cherchait à suivre
la conversation.
UN GENDARME
Oui... un hold-up, et soigné.
Amélie s'assoit sur le bureau
UN GENDARME
Cent millions. Trois individus : un gros blond, un petit
noir, et un grand brun, quarante-cinq ans.
AMELIE
Quarante-cinq ans, la tempe frisée, un oeillet à la
boutonnière, un bel homme.
UN GENDARME
Vous l'avez vu ?
AMELIE
Cent millions ! Mais c'est énorme !
UN GENDARME
Ben un peu !
AMELIE
J'veux dire, il faut des malles et des malles pour emporter
ça.
UN GENDARME
Ah, on voit que vous n'en avez pas vu souvent. En billets
lourds, ça tiendrait...
Il écarte les mains afin de déterminer la taille du contenant du
hold-up. Il avise la mallette posée sur le bureau.
UN GENDARME
Ben, là-dedans, tenez.
Il tape sur la mallette. Amélie entr'ouvre discrètement la
mallette et aperçoit les liasses de billets. Elle la referme
aussitôt.
UN GENDARME
Alors, vous l'avez vu, cet individu ?
AMELIE
Ah, pas du tout.
UN GENDARME
Enfin, ouvrez l'oeil. Au revoir, madame la baronne...
Le gendarme salue, et sort, imité par son collègue. Amélie
réfléchit un instant, puis part en courant. César sort
précautionneusement de sa cachette.
CHATEAU - PONT SUR LES DOUVES - EXTERIEUR JOUR
Vue plongeante. Amélie sort du château et appelle :
AMELIE
Charlie !... Charlie !...
La caméra pivote et découvre, dans le même plan qu'Amélie en bas
sur le pont, Charlie, toujours torse nu, penché à la fenêtre de la
chambre d'Amélie.
CHARLIE
Ben alors, tu montes ?...
AMELIE
Non, tu descends... vite !
Amélie rentre dans le château.
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
Amélie rentre en sautillant dans le château par la porte arrière.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
César est devant la porte principale, celle par laquelle viennent
de partir les gendarmes. Il a repris sa mallette.
CESAR
Qu'est-ce qu'ils voulaient ?
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
AMELIE
Comme tous les gendarmes, des voleurs !
Amélie sort du vestibule par une porte de côté.
CESAR
Mais qu'est-ce qu'ils ont dit ?
Elle revient, portant un chapeau rouge. Elle se plante devant la
glace pour le mettre sur sa tête.
AMELIE
Formidable !... Un hold-up !... Cent millions !...
CESAR
Non ?...
AMELIE
Il paraît qu'il y avait deux cent millions sous leur nez,
dans un tiroir qui était même pas fermé !
CESAR
Tiens donc !
AMELIE
C'est quand même malheureux !
CESAR
Pourquoi malheureux ?
AMELIE
J'trouve ça formidable, des gars comme ça !
CESAR
On les connaît ?
AMELIE
Quatre garçons : l'aîné n'a même pas dix-huit ans... Vous
savez, moi, je rencontrerais un homme comme ça... tout de
suite...
CESAR
Tout de suite quoi ?
AMELIE
Tout... j'lui donne tout. Moi ?... Tout...
Elle fait mine de s'éloigner. César la retient par le bras.
CESAR
Où allez-vous ?
AMELIE
A la messe.
Il la relâche. Elle se dirige vers la porte de devant. On aperçoit
Charlie, rhabillé, qui attend devant le perron, sa bicyclette à la
main. Avant de sortir, Amélie se retourne.
AMELIE
C'est vrai ce que je vous disais... vous savez...
César hoche la tête d'un air entendu.
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
Amélie, ses chaussures à la main, dévale les escaliers du perron.
Elle s'assoit sur la barre transversale du vélo de Charlie.
Charlie enfourche sa bicyclette.
AMELIE
Et toi, pédale, tu me poses à l'église.
Au loin on entend les cloches de l'église. Charlie commence à
pédaler vers la voute d'entrée du château.
VILLAGE - ENTREE DU VILLAGE ET ETANG - EXTERIEUR JOUR
Charlie et Amélie entrent dans le village, passe devant le garage
de Charlie, et se dirigent vers l'intérieur du village. Après leur
passage, une dépanneuse arrive par la gauche, tractant derrière
elle la grosse voiture américaine. Des gendarmes et des curieux
observent la scène. Dés que la voiture est sortie de l'eau, un
gendarme regarde à l'intérieur.
VILLAGE - PLACE DE L'EGLISE - EXTERIEUR JOUR
Devant le portail de l'église, sont alignés les petits voiliers
des enfants Passereau. Charlie et Amélie s'arrêtent devant le
portail. Amélie descend de vélo, et remet ses chaussures.
CHARLIE
J'te retrouve, dis ?
AMELIE
D'accord.
CHARLIE
Comment ?
AMELIE
Dans ma chambre, après le déjeuner.
Amélie se prépare à ouvrir la porte de l'église, puis elle se
ravise, redescend les marches et embrasse Charlie. Charlie
s'éloigne et Amélie entre dans l'église.
EGLISE - INTERIEUR JOUR
MUSIQUE. Des chants religieux, accompagnés à l'harmonium.
Au premier plan, Jean-Jacques et Cookie. Jean-Jacques semble en
transes, Cookie est plus distraite.
JEAN-JACQUES
Ahhhhh !!
La caméra avance vers le choeur, et on découvre Georges, assis
devant Jean-Jacques. Au fond, Amélie vient d'entrer. Georges se
tourne vers Jean-Jacques.
GEORGES
Ça ne va pas ?
JEAN-JACQUES
Que c'est beau ! Que c'est émouvant ! Quelle mise en
scène ! Quelles... pom... pompes !
GEORGES
Celles du curé ?
Georges pointe du doigt, et on découvre le curé de dos, habillé de
sa chasuble. La caméra descend, et nous montre que le curé a mis
une chaussure noire, et une chaussure marron.
Amélie s'avance vers le banc situé de l'autre côté de l'allée
centrale par rapport à Georges. Y sont assises la marquise et
Diane, chacune un missel dans les mains. Derrière elles, la
famille Passereau. Amélie pousse sa grand-mère, pour s'assoir à
côté d'elle. Les deux femmes se décalent, et on découvre Jeanne,
assise derrière la console de l'harmonium.
AMELIE
Vous savez la nouvelle ?
LA MARQUISE
Tu crois de nouveau en Dieu ?
AMELIE
On a volé la banque de Mâcon.
DIANE
On le sait : le curé a fait son sermon la-dessus.
AMELIE
Il vous a dit qu'il y a cent millions ?
LA MARQUISE
Cent millions ?
AMELIE
Et ils sont chez nous.
LA MARQUISE
Qu'est-ce que tu chantes ?
AMELIE
Dans une mallette.
LA MARQUISE
Répète !
Georges essaie d'écouter, intrigué, la conversation chuchotée de
ses femmes.
AMELIE
Les cent millions sont chez nous !
LA MARQUISE
J'aime pas les plaisanteries, Amélie.
AMELIE
J'te jure, c'est vrai. Et savez-vous qui a fait le coup ?
LA MARQUISE
J'y vois la marque de l'audace anglo-saxonne... le Glasgow-
Londres !
AMELIE
Non, pas du tout ! C'est l'excellence d'hier soir.
LA MARQUISE
L'excellence ?
AMELIE
Oui. Le baron César. Il est revenu. Et j'ai tout vu. Et il
ne sait pas que je sais.
LA MARQUISE
Un bandit sous mon toit, ça, c'est le comble ! Qu'on vole,
soit, mais qu'on aille faire ses saletés ailleurs ! Je vais
de ce pas à la gendarmerie.
La marquise se lève. Georges traverse l'allée, fait un signe de
croix, et vient se mettre à genoux à côté d'Amélie. La marquise
s'est rassise.
GEORGES
Qu'est-ce qu'il se passe ?
Diane se lève pour parler à son mari.
DIANE
Les cent millions de la banque de Mâcon sont au château
avec le baron César, qui a fait le coup.
La marquise pousse sa fille, qui se rassoit.
LA MARQUISE
J'ai réfléchi. C'est peut-être une épreuve que Dieu
m'envoie. Il est chez nous, tu es sûre ?
AMELIE
Je te l'ai dit.
La marquise crie :
LA MARQUISE
On garde le fric !
Le curé sursaute et se retourne. Diane et sa mère reprennent leur
missel, et miment une attitude très pieuse et concentrée.
GEORGES
Décidément, c'est de la folie !
LA MARQUISE
Je suis de plus en plus sûre que c'est un signe du ciel.
L'argent vient sous mon toit : je dois en profiter.
Georges, vous allez pouvoir commander l'entrepreneur.
GEORGES
Et vous croyez que César se laissera faire ?
LA MARQUISE
Ohhh ! Il me braque entre les yeux son arme, je le prends
de vitesse et... CRAC ! Ah ! Ah !
Elle a crié son « Crac ! », ce qui incite de nouveau le curé à se
retourner. Jeanne, aussi, semble intriguée par ses manifestations
vocales insolites de la marquise.
GEORGES
Quoi, crac ?
LA MARQUISE
Je le supprime !
AMELIE
Un homme comme lui !
LA MARQUISE
J'ai dit : crac !
DIANE
Mais, maman, mais en douceur alors !
LA MARQUISE
Évidemment... Poison, sabre, fusil de chasse... enfin, on a
le choix !
GEORGES
Un meurtre !
LA MARQUISE
Une légitime défense ! Ah, il me menace, et bien, il va
voir ! Allez, mes enfants, allez en route, et... et n'ayons
l'air de rien... Hein ?
LA MARQUISE, JEANNE, AMELIE, DIANE, GEORGES
Aaaaamen !...
Ils sortent tous les quatre de leur banc dans une attitude
faussement pieuse. Jeanne les regarde partit la bouche ouverte.
AMELIE
Et Jeanne ?
LA MARQUISE
Pas un mot à Jeanne : elle est trop sensible.
Les uns après les autres, il sortent du banc, font une légère
génuflexion, un signe de croix et s'éloignent vers la sortie. La
marquise fait un signe de la main à Jeanne.
LA MARQUISE
Non, non, non... reste, reste ! Continue ! Mais c'est
rien !
Jeanne hoche la tête et se remet à jouer de l'harmonium. Cookie
suit des yeux la marquise et sa famille qui sortent de l'église.
Elle donne une bourrage à Jean-Jacques.
COOKIE
Ils en ont marre ! Ils se tirent ! On en fait autant ?
JEAN-JACQUES
Ohhh ! Toutes les beautés t'échapperont, même celles du
culte ! Laisse-moi prier.
Les mains jointes, il s'agenouille sur son prie-Dieu. Cookie hoche
la tête.
La musique religieuse, que Jeanne joue à l'harmonium, continue à
se faire entendre au changement de scène suivant.
CHATEAU - PARC - EXTERIEUR JOUR
La marquise marche d'un pas rapide, suivie de sa famille.
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
La marquise et sa famille passe sous la voute d'entrée du château.
La petite troupe s'arrête net. La musique aussi.
FIN DE LA MUSIQUE
LA MARQUISE
Ça y est, mes enfants, on est refait !
On découvre, devant le perron du château, une camionnette de
gendarmerie, une DS noire, trois gendarmes et un policier en
civil. Un autre gendarme, et un autre policier en civil sont
positionnés de part et d'autre de la porte d'entrée du château.
LA MARQUISE
La police nous a grillés !
GEORGES
Ils ont parfois des antennes !
La marquise lance son ombrelle et la rattrape par le milieu.
LA MARQUISE
Allons-y !
Elle s'élance d'un pas décidé, suivie de sa famille.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
Le commissaire feuillète l'un des registres du château. Il jette
un regard furtif sur le tableau de la femme nue dans une pose
lascive.
On entend, au loin, la voix de la marquise.
LA MARQUISE
Où il est, ce commissaire ? Bonjour, bonjour ! Alors, c'est
maintenant que vous arrivez, quand mon château est envahi
par la pègre !
La marquise entre et se dirige vers le commissaire qui, en
entendant la voix de la marquise, a refermé le registre et s'est
retourné.
LA MARQUISE
Ah ! Monsieur le commissaire ! J'en étais sûre, cet homme
m'a toujours paru louche !
LE COMMISSAIRE
Qui ça, madame ?
LA MARQUISE
Ben, le hold-up, là, cette canaille... où est-il ?
LE COMMISSAIRE
J'allais vous poser la question.
LA MARQUISE
Ahhh ! Parce que vous ne l'avez pas épinglé ? Un moment, je
vous prie...
La marquise quitte le commissaire et se dirige vers le vestibule.
Georges et Diane sont assis sur le canapé, et Amélie est assise
sur leurs genoux, les fesses sur les genoux de Georges, et les
jambes sur ceux de Diane. Ils ont, tous les trois, une cigarette
au bec. La marquise passe devant eux, d'un pas rapide et décidé,
et se dirige vers la porte arrière du château.
CHATEAU - TERRASSE ARRIERE - EXTERIEUR JOUR
La marquise apparait sur la terrasse. Elle regarde alentours. Elle
aperçoit quelque chose qui l'incite à descendre l'escalier.
CHATEAU - PARC - BASSIN ROND - EXTERIEUR JOUR
Près du bassin en pierre, M. Patin et M. Passereau sont en train
de jouer à la pétanque.
M. PATIN
Même les boules de pétanque n'ont plus leur qualité
d'autrefois. Je n'ose plus plomber, j'en ai fendues deux en
six mois.
La marquise s'approche d'eux. Elle chuchote :
LA MARQUISE
Où est-il ?
M. PATIN
Qui ?
LA MARQUISE
Et bien, notre ami, le baron César.
M. PATIN
Hé, hé, oui ! Dés le matin, une fleur à la boutonnière ! A
ce propos, il en a volé une dans le massif.
LA MARQUISE
Oui, oui, bref, enfin... où est-il ? Moi, je ne vois rien.
M. PATIN
Là-bas...
LA MARQUISE
Mes jumelles...
La marquise se met le parapluie sous le bras et revient vers le
château.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
La marquise repasse devant le canapé sur lequel sont toujours
assis Diane, Georges et Amélie. Elle passe aussi devant le
commissaire, un peu éberlué.
LA MARQUISE
Excusez-moi... J'ai laissé quelque chose... sur le feu !
Elle prend une paire de jumelles sur une étagère.
LA MARQUISE
Pardon...
La marquise s'éloigne, ses jumelles à la main. Elle repasse devant
le canapé, où les trois personnes assises la regardent, eux aussi
un peu intrigués.
CHATEAU - TERRASSE ARRIÈRE - EXTERIEUR JOUR
La marquise arrive sur la terrasse, et porte les jumelles à ses
yeux. Elle cherche un peu, puis s'arrête net.
LA MARQUISE
Oh ! Le malheureux, il revient !
CHATEAU - PARC - UNE PRAIRIE - EXTERIEUR JOUR
Vu à travers les jumelles de la marquise. Dans une prairie
derrière le château, César marche à pas précautionneux, portant
toujours sa mallette.
MUSIQUE. Thème de César.
LA MARQUISE
Il se jette dans la gueule du loup.
CHATEAU - TERRASSE ARRIERE - EXTERIEUR JOUR
La marquise quitte ses jumelles, a un mouvement agacé, puis rentre
vivement dans le château.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
La marquise se plante entre ses enfants, toujours assis sur le
canapé, et le commissaire.
LA MARQUISE
Vous ne sentez pas le brûlé ?
Le commissaire renifle.
LE COMMISSAIRE
Non !
DIANE, GEORGES & AMELIE
Non !
La marquise tape du pied en regardant fixement ses enfants.
DIANE, GEORGES & AMELIE
Euh, euh... Si !
La marquise fait signe à Diane la suivre.
LA MARQUISE
Allez, viens !
Diane quitte le canapé, et portant toujours son ombrelle, suit sa
mère.
CHATEAU - TERRASSE ARRIERE - EXTERIEUR JOUR
La marquise et Diane arrive sur la terrasse. Diane a toujours sa
cigarette à la main.
Dans le Thème de César, une flûte se joint à l'accordéon.
LA MARQUISE
Retiens César par n'importe quel moyen.
DIANE
N'importe lequel ?
LA MARQUISE
Oui, oui, oui... Et ne crains rien : Georges veille.
Georges !
Diane écrase sa cigarette sur la terrasse, puis descend les
marches. On voit, derrière la marquise, Georges, la cigarette au
bec, qui se lève à son tour et se dirige vers la terrasse. La
marquise a repris ses jumelles. Lorsque Georges arrive à côté
d'elle, elle lui tend les jumelles.
LA MARQUISE
Ouvrez l'oeil !
Georges regarde autour de lui, avise un fauteuil de jardin à
l'autre bout de la terrasse, et va s'y asseoir. Puis il porte les
jumelles à ses yeux.
CHATEAU - PARC - UNE PRAIRIE - EXTERIEUR JOUR
Vu à travers les jumelles de Georges. Dans la prairie, on aperçoit
Diane qui trottine dans l'herbe, tenant le bord de son chapeau.
Plus loin, César qui marche à grandes enjambées. Diane se retourne
vers le château, et continue à trottiner vers César.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
La marquise s'approche du commissaire. Derrière elle, Amélie,
seule maintenant sur le canapé, continue à fumer, les jambes
posées sur l'un des accoudoirs du canapé.
LA MARQUISE
Alors ?... De quoi s'agit-il ?
LE COMMISSAIRE
Nous venons de retirer de la mare la voiture du hold-up,
avec deux cadavres à l'intérieur.
LA MARQUISE
A la bonne heure !
LE COMMISSAIRE
Comme vous dites. Hélas ! Il en manque un. Et un qui
compte. Un énergumène qui a déjà donné pas mal de fil à
retordre à la police.
Plan rapproché sur Amélie qui regarde vers la terrasse arrière.
CHATEAU - PARC - UNE PRAIRIE - EXTERIEUR JOUR
César marche, le chapeau à la main, à grandes enjambées vers le
tronc d'un gros arbre. Il passe derrière l'arbre. Derrière lui, on
aperçoit le château, Diane et un cheval blanc.
CESAR
Huit... neuf... dix... onze... douze...
Diane court vers César, et César sort du champ de la caméra. On
retrouve César qui se dirige vers un sous-bois.
CESAR
Treize... quatorze... quinze...
FIN DE LA MUSIQUE. On n'entend plus que le chant des oiseaux.
Diane arrive près de l'arbre que César vient de dépasser. Elle a
enlevé son chapeau, qu'elle pose par terre. Elle pose aussi son
ombrelle, et se met à genoux. Elle dégage un peu le haut de sa
robe et s'allonge dans un tas de paille éparpillée au pied du
tronc.
Retour sur César à l'orée du sous-bois.
CESAR
Et seize ! Alors, là, y a plus qu'à attendre ce soir.
Il se retourne.
DIANE
Tiens, vous êtes revenu ?
CESAR
Oh, par exemple... je venais de passer à l'instant. Vous
étiez là ?
César se rapproche de Diane.
DIANE
Oui. Je devais dormir.
CESAR
Ah, vous dormiez ?
DIANE
Oui, oui...
CESAR
Et bien continuez, alors... bonne sieste, hein !
Après s'être arrêté un instant devant Diane, toujours couchée,
César reprend sa marche vers le château. Diane pousse un cri
DIANE
Ahhh !
César se retourne brusquement.
CESAR
Quoi, qu'est-ce qu'il y a ?
DIANE
Une fourmi !
CESAR
Une fourmi ! Mais où ?
DIANE
Oui, là...
César revient vers Diane. Il pose sa mallette et son chapeau dans
l'herbe. Diane se retourne et se met à quatre pattes pour
présenter son dos - et sa croupe ! - à César. César se met à
genoux derrière elle. Il avance ses mains vers le dos de Diane.
CESAR
Une fourmi ? Dites donc, elle doit être énorme, cette
fourmi !
DIANE
Ça chatouille !
CESAR
Mais, mais où ça ?
DIANE
D'un ton décidé.
Plus bas.
César la regarde fixement.
CESAR
Plus bas ?
DIANE
Plus bas.
CESAR
Plus bas ?
DIANE
Plus bas.
César donne une grande claque sur les fesses de Diane.
CESAR
Oh la friponne petite fourmi ! Oh-oh !...
CHATEAU - TERRASSE ARRIERE - EXTERIEUR JOUR
Georges, toujours assis sur son fauteuil, observe la scène à la
jumelle. Il reste impassible.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
La marquise enlève son chapeau, et réajuste sa coiffure en se
regardant dans un miroir accroché au mur.
LE COMMISSAIRE
Et il est parti avec le montant du vol.
LA MARQUISE
Il faut le rattraper.
Elle tend son chapeau au commissaire, sans le regarder, et en
continuant à se regarder dans le miroir et à remettre sa coiffure
en place.
LE COMMISSAIRE
Mais ça ne saurait tarder : les routes sont bloquées. Il
est encore dans le canton.
La marquise se tourne vers le commissaire, et hausse les épaules.
LA MARQUISE
Ben, qu'est-ce que vous faites là ?
LE COMMISSAIRE
J'y arrive...
Il rend son chapeau à la marquise, et fouille dans sa poche.
LE COMMISSAIRE
Nous avons trouvé, dans le coffret à gants, cette
facture...
La marquise pose son chapeau sur un coffre près d'une fenêtre. Le
commissaire sort un papier de sa poche. Il le déplie.
LE COMMISSAIRE
... à votre en-tête, prouvant, d'une façon formelle, la
présence de cet individu dans votre hôtel la nuit dernière.
Plan moyen sur Amélie qui observe la scène d'un air intrigué.
Retour sur la marquise et le commissaire.
LA MARQUISE
Mais je me tue à vous le dire... Il portait ça sur sa
figure. Grêlé, le petit oeil, enfin mauvais genre.
Gros plan sur Amélie, sur le canapé dans le vestibule, qui sourit,
puis retour sur la marquise et le commissaire.
LE COMMISSAIRE
Alors pourquoi ne pas vous être tué, ce matin, à le dire à
nos gendarmes ?
Sourire d'Amélie.
LA MARQUISE
Pardon ?
LE COMMISSAIRE
Pourquoi avez-vous menti ce matin ?
LA MARQUISE
Moi ?!
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
Gros plan sur Amélie, l'air soudain alarmé. Un gendarme - celui
qui a parlé à Amélie quelque temps plus tôt - entre par la porte
ouverte.
UN GENDARME
Attendez, excusez-moi. C'est pas madame la marquise, c'est
madame la baronne.
Il désigne Amélie.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
La marquise prend l'air sévère et regarde d'Amélie.
LA MARQUISE
Amélie... Amélie vous a menti ? Amélie... Tu as menti à la
gendarmerie ?
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
AMELIE
Moi ?
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
LA MARQUISE
Oui, toi.
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
AMELIE
Non, grand-mère.
La marquise entre dans le vestibule.
LA MARQUISE
Amélie...
La marquise se rapproche de sa petite-fille.
UN GENDARME
Pourtant, madame la baronne, vous m'avez dit, y a pas deux
heures, que vous n'aviez pas vu trois individus, un gros
bedonnant, un petit noiraud, et un grand brun de quarante-
cinq ans.
Amélie prend l'air faussement paniqué.
LE COMMISSAIRE
C'est ce dernier qui nous manque.
AMELIE
Ahhh !...
LA MARQUISE
Viens ici.
Amélie se lève.
LA MARQUISE
Regarde-moi.
La marquise fait un clin d'oeil à Amélie, qui esquisse un sourire
furtif, puis reprend immédiatement son air grave et faussement
contrit.
LA MARQUISE
Ah, tu ne l'as pas vu ?... Petite grue, tu le caches,
hein ? Elle le cache, j'en suis sûre... Non, mais écoutez,
j'ai tout compris, monsieur le commissaire. Oh, je connais
ce genre de séducteur. Fleur à la boutonnière, moustache de
velours, et puis vous vous retrouvez à Caracas. On élève
trop les filles dans les principes. Alors elles gardent une
âme de communiante dans... dans un corps de Messaline,
quoi, enfin voyez vous-même...
En disant ces mots, la marquise dessine, des mains, les formes
harmonieuses d'Amélie, moulées dans son petit haut.
LA MARQUISE
Allez, avoue-le moi : où est-il ?
AMELIE
Je ne sais pas, je te le jure, mémé !
LA MARQUISE
Ah, m'appelle pas "mémé" ! Oh, c'est une tête de mule,
comme moi. Elle dira rien.
AMELIE
J'te l'jure ! Il est parti, alors j'ai rien dit parce qu'il
m'a demandé de ne rien dire. J'sais pas où il est, j'te
l'jure sur ta tête, mémé !
LA MARQUISE
Et bien, monte dans ta chambre, va, t'auras de mes
nouvelles.
Amélie s'éloigne. La marquise hausse les épaules.
LA MARQUISE
Mémé ! Euh... oui, voyons, qu'est-ce que nous disions
donc ? Ah oui, et bien cette canaille... Hé ben, allez,
allez, allez, faut la retrouver. Fouillez chambre par
chambre... Allez, allez, allez, allez !
Elle pousse le commissaire, le gendarme, et l'inspecteur en civil,
toujours planté devant la porte.
LE COMMISSAIRE
Oh, vous savez...
LA MARQUISE
Non, non, non, non, pas de satyre dans mes couloirs, non !
Les trois hommes débarrasse le coffre près de la fenêtre pour en
soulever le couvercle. La marquise s'éloigne.
CHATEAU - TERRASSE ARRIERE - EXTERIEUR JOUR
La marquise pénètre sur la terrasse, et se dirige, d'un pas
décidé, vers Georges, toujours assis sur son fauteuil. Il lui tend
les jumelles. Elle les prend et les porte à ses yeux.
MUSIQUE. Thème du château. Orchestre de chambre. Musique douce et
reposante.
CHATEAU - PARC - UNE PRAIRIE - EXTERIEUR JOUR
Vu à travers les jumelles de la marquise. On aperçoit, dans la
prairie, Diane et César en train de batifoler dans l'herbe.
CHATEAU - TERRASSE ARRIERE - EXTERIEUR JOUR
LA MARQUISE
La brave fille ! Georges, vous avez une femme épatante !
Elle lui rend les jumelles, et revient vers le château. Georges,
toujours aussi calme, reprend les jumelles, et continue son
observation.
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
La marquise raccompagne le commissaire.
LE COMMISSAIRE
En tous cas, chère madame, rassurez-vous, je renforce la
surveillance autour du château.
Ils marquent un temps d'arrêt devant la porte.
LA MARQUISE
Oh merci, à mon avis, il doit être loin. Mais je ne pensais
pas me faire un ami dans la mondaine.
LE COMMISSAIRE
Mes respects, chère madame.
Il baise la main de la marquise, qui se laisse faire, un petit
sourire aux lèvres.
Les policiers remontent dans leurs véhicules, qui se mettent en
marche. La marquise quitte son sourire de circonstances, et se
précipite à l'intérieur du château.
CHATEAU - TERRASSE ARRIERE - EXTERIEUR JOUR
La marquise court vers Georges.
LA MARQUISE
Alors ?
GEORGES
Trop tard, je pense.
Il lui passe les jumelles.
LA MARQUISE
Ciel !
Elle revient vers la porte du château, et tire vivement sur le
cordon de la cloche qui retentit.
CHATEAU - PARC - UNE PRAIRIE - EXTERIEUR JOUR
César et Diane sont toujours allongés dans l'herbe. Au son de la
cloche, Diane sursaute et se redresse. Elle est un tantinet
débraillée.
DIANE
La cloche !
FIN DE LA MUSIQUE
Elle se relève. César se met à genoux à côté d'elle.
CESAR
Quoi, qué cloche ? Qu'est-ce qu'il y a encore ?
DIANE
L'heure du déjeuner !
Diane est maintenant debout et réajuste sa robe. César se lève à
son tour.
CESAR
Mais quel déjeuner ?
DIANE
Aidez-moi... Aidez-moi... Aidez-moi... Aidez-moi !
Diane se penche pour ramasser son chapeau, et César tente,
maladroitement, de ragrafer sa robe.
CESAR
Mais écoutez, moi, les robes, d'habitude, je les dégrafe,
je les agrafe pas !
Une vache passe en trottinant entre eux et le château.
DIANE
Ohhh ! Un peu de patience, s'il vous plait !
CESAR
Patience... Patience ! Quand je bous au fond, que je
chancelle !
Il ramasse son chapeau et sa mallette. Diane part en courant vers
le château. Elle envoie un dernier baiser à César.
DIANE
Ce soir !
CESAR
Ce soir... ce soir ! Tu parles ! On était bien là ! Qué
« ce soir » !... Ce soir ! Toujours ce soir !
Il emboîte le pas à Diane, mais d'une démarche plus posée.
CHATEAU - TERRASSE - EXTERIEUR JOUR
La marquise observe la scène à la jumelle.
LA MARQUISE
Parfait ! Georges !
Georges s'approche de sa belle-mère.
LA MARQUISE
Les parasols, l'apéritif. Où sont les insecticides ?
GEORGES
Dans la serre, sous les tablettes... Pourquoi ?
LA MARQUISE
Ohh ! Vous le demandez ! La police peut repasser. César ne
tombera pas dans ses mains, ni lui, ni son magot. Nous
l'avons décidé à la messe !
La marquise s'éloigne en rasant le mur du château, suivi de
Georges, toujours sa cigarette au bec. Ils ont des airs de
conspirateurs de films de série B.
CHATEAU - SERRES - INTERIEUR JOUR
Gros plan sur les mains de la marquise. Une main tient une
saucière ancienne en cuivre, avec un fin bec verseur en col de
cygne, et l'autre, une cuillère. Avec la cuillère, elle verse,
dans la saucière, une poudre provenant d'une boîte que Georges
tient à la main.
LA MARQUISE
Vive le son, vive le son... Dansons la Carmagnole. Vive le
son du canon...
La caméra s'éloigne, découvrant la marquise et Georges en plan
moyen. Derrière eux, dans un décor un peu délabré, des pots de
fleur sur des étagères.
GEORGES
Faites attention ! C'est ce que nous avons de plus
dangereux.
LA MARQUISE
Et bien, tant mieux, tant mieux ! J'en mets quoi ?... Oh...
ben, douze cuillères !
GEORGES
Y a de quoi tuer un boeuf !
LA MARQUISE
Ahhh ! Il est costaud, hein ! Vous l'avez vu.
La marquise arrête de remplir la saucière, dépose la cuillère dans
la boîte, et se dirige vers la fenêtre. On aperçoit César et Diane
qui reviennent.
LA MARQUISE
Dans la croquette, il sentira rien ! Dans la croquette...
sentira rien... sentira rien...
Elle chantonne ces derniers mots sur l'aire de la Carmagnole.
CHATEAU - PARC - ABORD DES SERRES - EXTERIEUR JOUR
César, tenant son chapeau d'une main et sa mallette de l'autre,
arrive d'un pas rapide. Diane trottine à ses côtés en tenant son
chapeau d'une main. La marquise, sa saucière à la main, suivie de
Georges, sort de la réserve du jardinier.
LA MARQUISE
Ah ! Ah ! Le baron César et ma petite Diane. On a l'air de
s'entendre, à ce que je vois.
CESAR
Marquise, votre demeure est un dédale d'enchantements !
LA MARQUISE
Mais pourquoi traînez-vous toujours cette mallette ? Diane,
va donc porter ça dans sa chambre.
CESAR
Non, non, non, non... J'ai là-dedans des souvenirs plus
chers que l'existence. J'y tiens, vous savez.
LA MARQUISE
Mais j'ai un coffre.
CESAR
Qu'est-ce que j'entends ?
LA MARQUISE
Mais oui.
CESAR
Un coffre ?
LA MARQUISE
Mais oui, un coffre.
Ils s'éloignent tous les deux en prononçant des paroles
incompréhensibles (On reconnaît néanmoins le mot « coffre »). La
marquise tient sa saucière dans le dos.
Georges s'approche de Diane, l'air grave, et lui donne une petite
claque sur la joue. Diane semble au bord des larmes. Georges prend
Diane par les épaules et ils emboîtent le pas à César et à la
marquise, qui sont toujours en train de deviser. On entend la
marquise éclater de rire.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
César et la marquise arrivent du vestibule. La marquise, le bras
passé dans celui de César, est toujours en train de rire, mais
elle tient toujours aussi sa saucière derrière son dos.
LA MARQUISE
Ah ! Ce qu'il est drôle !
Diane et Georges apparaissent derrière le premier couple.
La marquise chuchote, en se tournant derrière elle :
LA MARQUISE
Georges !...
Georges se précipite et prend la saucière de la main de la
marquise, qui continue son chemin au bras de César.
LA MARQUISE
Oui, c'est par là.
Elle montre une porte derrière le bureau. On aperçoit, derrière
eux, Diane et Georges qui montent l'escalier.
CESAR
Ah, bon.
LA MARQUISE
Oui.
CHATEAU - UN BOUDOIR - INTERIEUR JOUR
Entrent César et la marquise. Ils se dirigent vers un coffre de la
taille d'une petite armoire. Sur le coffre, deux objets en étain,
un vase et une petite statuette montée sur un gros socle. La
marquise soulève la petite statuette, et extrait une clef cachée
sous le socle.
CESAR
Ah, ah !! Ah, ah !!
La marquise sourit.
LA MARQUISE
Mais... chhhut !
Elle met un doigt sur sa bouche.
CESAR
Oh, non, non.
LA MARQUISE
C'est un très beau coffre.
Elle se penche et met la clef dans la serrure.
LA MARQUISE
Mon défunt mari, le marquis, l'aimait beaucoup.
Elle ouvre la porte du coffre
LA MARQUISE
Là...
César place sa mallette dans le coffre.
CESAR
Voilà.
La marquise ajuste la mallette dans le coffre.
LA MARQUISE
Très bien.
Elle referme la porte du coffre
LA MARQUISE
Le pauvre, mon Dieu, qu'il a souffert ! Mais c'est un très
beau coffre.
Au moment où la marquise se relève, César lui prend la clef des
mains.
LA MARQUISE
Vous n'avez pas confiance ?
CESAR
Oh, madame...
Il renifle, tout en mettant la clef dans une petite poche de son
gilet.
CESAR
Ffff !... Oh, ça sent bon par là.
LA MARQUISE
Ah, vous trouvez ?
CHATEAU - CUISINES - INTERIEUR JOUR
Gros plan sur le dessus de la cuisinière, transformé en table. Des
biscuits dans des assiettes, une assiette en argent, de la salade
dans un bol, et au premier plan, un récipient de verre contenant
trois croquettes. Georges, en manche de chemise, place une
croquette sur une feuille de salade, au centre d'un grand plateau
ovale en argent. Il se prépare à verser le contenu de la fameuse
saucière en cuivre sur la croquette, lorsque la caméra s'éloigne,
et on découvre César qui vient d'entrer.
CESAR
Ohhh ! La mignonnette !
Georges repose la saucière, avec l'air d'un gamin pris en faute.
CESAR
Toute petite, hé !
Il met ses gants dans son chapeau et tend le tout à Georges
CESAR
Mais ça fait rien : tout est dans la présentation.
Il prend le plateau et s'éloigne avec.
CESAR
Éternel problème du fond et de la forme. Mais donnez-moi
deux minutes, vous allez voir.
Il pose le plateau sur une table, et prend une nappe en papier.
CESAR
Ah, ah, ah !
Il commence à déchirer la nappe en deux, en jette une moitié, et
commence à plier l'autre. Georges et la marquise le regardent,
l'air intrigué.
GEORGES
J'ai... j'ai l'impression que vous êtes un maître-queue.
César claque des mains. Il a déjà disposé les morceaux de la nappe
en papier, élégamment pliés, de part et d'autre du plateau.
CESAR
Les fourneaux, c'est mon berceau. J'ai débuté dans les
sauces. Je veux dire...
Il prend de la salade qu'il commence à disposer sur le plateau.
CESAR
... l'éducation anglaise : les travaux les plus rudes, et
les études les plus raffinées.
Il coupe des rondelles de concombre.
CESAR
Time is money !
On voit, en gros plan, les rondelles de concombre qui viennent se
disposer autour de la salade, avec une précision incroyable.
CESAR
Hé, hé... Time is money !
La marquise semble de plus en plus intriguée, Georges, lui, semble
résigné.
CESAR
La couronne de concombre.
César dispose deux tomates, découpées en forme de rose de chaque
côté du plateau.
CESAR
Et maintenant les deux pommes d'amour qui l'accompagnent.
Voilà. Voilà...
Il dispose quatre citron élégamment pelé autour de la salade.
CESAR
Regardez-moi ce trône. Quelle majesté !
Finalement, il place la croquette sur un feuilleté au milieu de la
pile centrale de salade. Il place délicatement la petite touche
finale, une olive sur la croquette. Puis il rapporte le plateau
vers la cuisinière.
CESAR
C'est pourquoi, la cuisine, c'est mon domaine.
Il prend, au passage, une bouteille de Cognac.
CESAR
Entre autres...
Il pose le plateau sur la table, entre la marquise et Georges, qui
tient toujours le chapeau de César.
CESAR
Et maintenant le glaçage flambé.
Il verse un peu de Cognac sur la croquette. Puis il craque une
allumette.
CESAR
Car je vais vous dire une bonne chose : tout est dans le
glaçage.
Il met le feu à la croquette, qui s'enflamme. Il pose la boîte
d'allumette et ramasse la saucière.
CESAR
Ce sont les épices ?
GEORGES
Oui... En quelque sorte...
LA MARQUISE
Oui, oui, oui... Parfaitement... C'est une recette à moi.
CESAR
Opération délicate.
Il verse lentement un peu du contenu de la saucière sur la
croquette, toujours en train de flamber. Une très légère explosion
se produit, le lit de salade s'écroule, et une épaisse fumée
s'échappe du plateau. Les trois personnages se penchent lentement
sur la croquette.
CESAR
Bon... ben j'ai perdu la main.
Il pose la saucière, prend son chapeau des mains de Georges, et
sort précipitamment de la cuisine, visiblement vexé. La marquise
le regarde partir, puis prend la saucière qu'elle agite
légèrement.
LA MARQUISE
Dieu soit loué, il en reste. On le mettra dans le café.
J'ai perdu une bataille, mais pas la guerre. Moral... et
tactique. Échec à la première offensive... je lance la
seconde, avec une préparation d'artillerie !
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Georges est assis par terre derrière une balustrade qui divise la
pièce en deux. Les mains gantées, il est en train de casser le
carrelage avec un burin et un marteau.
Le bassin rond, vu de la chambre d'Amélie.
A côté du bassin, cinq petites tables ont été dressées, abritées
par des parasols. La première est vide. Autour de la seconde, la
famille Passereau est rassemblée. César est seul à la troisième. A
la quatrième, Cookie et Jean-Jacques. Enfin, tout seul à la
cinquième, un peu éloignée des autres, Monsieur Patin. Les suédois
courent vers le bassin et plongent dedans.
La caméra fait un zoom arrière, et on entend les coups de marteau
de Georges. Puis on découvre la marquise qui regarde le spectacle
par la fenêtre. Elle s'éloigne de la fenêtre.
LA MARQUISE
Georges !
Elle s'accroupit devant un électrophone installé à côté de la
fenêtre.
LA MARQUISE
Que préférez-vous ? Richard Wagner ou les Beatles ?
Georges est en train de replacer ses outils entre ses main.
GEORGES
Oh ! J'ai assez de mal avec le dallage. Vous êtes sûre que
le poison ne suffit pas ?
LA MARQUISE
Deux précautions valent mieux qu'une.
La marquise longe la balustrade, et passe de l'autre côté, pour
venir à côté de Georges.
LA MARQUISE
Je récapitule. En bas, nous jouons au poker. ici, vous
faites tonner Wagner.
Elle s'assoit sur un canapé à côté de Georges. Canapé sur lequel
est déjà posé le chapeau de Georges.
LA MARQUISE
En bas, ça m'énerve. Je cogne avec un balai. Vous lâchez
immédiatement. Crac ! Allez, je descends, on répète.
Elle se lève et sort de la pièce. Georges recommence à taper.
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
La marquise entre, un balai d'une main, et un escabeau de bois de
l'autre. On entend distinctement les coups frappés par Georges. La
marquise installe son escabeau
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Georges, qui a disposé l'électrophone sur le canapé de son côté de
la balustrade, déplace le bras du tourne-disque.
MUSIQUE. Le thème des Walkyrie de Wagner retentit.
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
La marquise monte sur son escabeau, prend le balai par la brosse,
et, avec l'extrémité du manche, tape sur le plafond.
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Georges se penche sur le trou qu'il a commencé à creuser dans le
dallage.
GEORGES
J'entends, ma mère !
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
La marquise redescend de son escabeau, pose son balai à côté, et
s'approche de la table de bridge qui trône au milieu du salon.
Elle calcule l'impact de la pointe du lustre lorsqu'il tombera.
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
En mesure avec la musique de Wagner, Georges remet les gravats
dans le trou.
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
La marquise place une chaise pour qu'elle se trouve juste sous le
lustre.
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Georges continue à remettre les gravats dans le trou. Panoramique
vers l'entrée de la chambre. Charlie entre, son blouson sur
l'épaule. Il pose son blouson sur le lit, et commence à enlever
son jeans. On voit Georges à travers les montants de la
balustrade. Georges relève la tête.
GEORGES
Ah ! Charlie !
Charlie, qui a le pantalon en bas des pieds, se tourne vers
Georges.
CHARLIE
Oh, monsieur le comte...
Georges lui sourit.
GEORGES
Hé oui... On rebouche les trous.
Charlie commence à remonter son pantalon.
CHARLIE
C'est comme moi, j'ai un trou à mon pantalon. Je vais le
recoudre.
On entend la voix de la marquise par-dessus la musique de Wagner.
LA MARQUISE
Georges !
Georges se penche sur le trou.
GEORGES
J'entends, ma mère ! Mais c'est que j'ai à côté de moi
Charlie.
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
La marquise regarde vers le plafond. Elle a disposé des cartes en
éventail sur la table de bridge.
LA MARQUISE
Dans la chambre d'Amélie ?
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Georges est toujours penché sur le trou.
GEORGES
Oui, parce qu'il a quitté son pantalon.
Charlie finit de reboutonner son jeans.
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
LA MARQUISE
Et Amélie ?
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Charlie a fini de remettre son pantalon, et il ramasse son
blouson.
GEORGES
Une seconde... J'y vais.
Georges se relève, passe derrière Charlie médusé, et s'approche de
la fenêtre ouverte.
GEORGES
Amélie !... Viens recoudre immédiatement le pantalon de
Charlie !
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
Charlie descend quatre à quatre l'escalier, se cache derrière un
pilier, regarde à droite et à gauche, puis se dirige vers le
vestibule et ...
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
... et la porte arrière du château. Entre Amélie portant un
plateau chargé de vaisselle. Charlie se cache derrière l'armure.
CHARLIE
Ohhh ! J'les retiens, tes rendez-vous ! J'arrive dans ta
chambre, j'tombe sur ton père en chemise !
AMELIE
Papa est en chemise ?
CHARLIE
Non !... Moi !
La marquise entre dans le vestibule.
LA MARQUISE
Amélie... Amélie, cesse de harceler notre ami. Allez jouer
ailleurs tous les deux.
AMELIE
Viens, toi !
La marquise les regarde s'éloigner avec un petit sourire en mi-
teinte. Puis elle se dirige vers la porte ouverte, l'air songeur.
CHATEAU - PARC - BASSIN ROND - EXTERIEUR JOUR
Les tables sont vides. Un suédois fait des looping sur la barre
fixe plantée derrière le bassin. Panoramique qui nous fait
découvrir Monsieur Patin, Monsieur Passereau et Jean-Jacques en
train de jouer au croquet, puis un groupe de femmes autour de
César assis sur une chaise.
Plan moyen de Jeanne appuyée sur un gros vase de pierre, orné de
têtes de lion. Elle se déplace, et on découvre César assis sur son
fauteuil. Il est en train d'allumer un cigare. A ses pieds, sont
assises Mme Passereau et Cookie. Cookie suce distraitement une
très grande sucette. Jeanne passe derrière lui, puis s'arrête.
JEANNE
Et vous avez connu les femmes des îles ?
Il éteint son allumette avant de la jeter.
CESAR
Les anglaises sont admirables.
JEANNE
Non, je veux dire : les îles lointaines.
CESAR
Ahhh ! Les îles lointaines...
Jeanne s'éloigne de nouveau.
CESAR
Dés l'âge de trois ans, elles sont initiées à nous
distraire.
Jeanne s'appuie sur un autre vase de pierre.
CESAR
Elles ont une loi, une morale - appelez ça comme vous
voulez - c'est d'être au service de l'homme. Alors, à douze
ans, elles sont en pleine possession de leurs moyens, et...
nos corps chantent de toutes parts.
FIN DE LA MUSIQUE de Wagner.
MME PASSEREAU
Et quand elles ont notre âge ?
CESAR
C'est là où notre vieille Europe reprend le flambeau.
MME PASSEREAU
Vous trouvez donc qu'il n'est jamais trop tard ?
CESAR
Jamais...
MME PASSEREAU
Mais nos rides ?
CESAR
Mmmm... émouvantes. Ce sont les signes de vos peines et de
nos plaisirs. Ah... mesdames, mesdames, comme vous avez dû
vivre.
Dans le fond, les joueurs de croquet. Jeanne, elle, est toujours
appuyée, songeuse, sur son vase de pierre. Elle en dessine les
formes d'un doigt distrait. César se lève et se dirige vers
Jeanne.
Plan moyen sur les joueurs de croquet. Au premier plan, Jean-
Jacques, habillé d'un pantalon et d'un maillot blancs, une
casquette de golf rouge sur le crâne, regarde le groupe de femmes
autour de César d'un air intrigué.
M. PASSEREAU
A vous, monsieur Patin.
M. PATIN
Ben, vous voyez bien que je suis sous la cloche. Quand on
est sous la cloche, à ce jeu-là, on peut pas continuer.
Jean-Jacques, le maillet à la main, se rapproche des deux autres
joueurs, et plus précisément de M. Patin.
JEAN-JACQUES
Qu'est-ce qu'il peut bien leur raconter ?
Au fond, on voit César qui s'est rassis sur son fauteuil.
M. PATIN
Et que voulez-vous raconter avec un accent pareil ?
M. Patin remet ses lunettes dans la poche de poitrine de son
veston, et se met en devoir d'imiter l'accent de César, en faisant
des gestes un peu précieux
M. PATIN
La femme des îles... est un ukulélé... La femme d'ici est
une guitare.
Il prend le visage de Jean-Jacques dans sa main et se rapproche de
lui.
M. PATIN
Votre mystère, c'est la courbe.
Jeanne, toujours appuyée sur son vase, se tourne légèrement pour
regarder M. Patin.
M. PATIN
Vous êtes la modulation, l'instrument idéal.
M. Patin a un geste désabusé, et retourne vers sa partie de
croquet.
M. PATIN
Et les femmes écoutent ça ! Tiens, quelle honte ! Quelle
pitié !
Il donne un coup de maillet rageur dans sa boule.
JEAN-JACQUES
Mais pourquoi ? C'était très beau, très poétique. Vous
m'avez ému, Patin. Le mystère, c'est la courbe.
Il a posé son maillet, et se rapproche de M. Patin. Il dessiner
une courbe harmonieuse avec ses mains, puis tape sur la poitrine
de M. Patin.
JEAN-JACQUES
J'm'en resservirai !
Il s'éloigne et se tourne vers le château. Il crie :
JEAN-JACQUES
Et alors, le café, on nous oublie !
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
La marquise s'approche en courant de la fenêtre.
LA MARQUISE
Voilà !... voilà, voilà !
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
Diane entre en portant un plateau sur lequel sont disposées deux
tasses de café. Elle travers le vestibule, l'air tendu. Sa mère
sort du petit salon et vient vers elle.
LA MARQUISE
Alors, tu ne te trompes pas, hein ? C'est celle-ci ?
Elle désigne une tasse sur le plateau.
DIANE
Non... Celle-là !
Diane, qui tient toujours le plateau à deux mains, désigne l'autre
tasse d'un mouvement de la tête. La marquise renifle les deux
tasses tour à tour.
LA MARQUISE
Tu penses, ce que c'est énervant, tu sais, quand on n'a pas
l'habitude. Oui, tiens, c'est celle-là. Mais tremble pas,
voyons !
La marquise recoiffe sa fille et lui remet son chemisier en place.
DIANE
T'es sûre ? Ça lui fera pas de mal ?
LA MARQUISE
Mais non ! Il n'aura pas le temps : il sera assommé avant.
La marquise s'éloigne vers la terrasse arrière du château.
DIANE
Alors, à quoi ça sert ?
LA MARQUISE
J'assure mes arrières.
CHATEAU - PARC - BASSIN ROND - EXTERIEUR JOUR
La marquise apparait sur la terrasse arrière.
LA MARQUISE
Que penseriez-vous d'un petit poker ?
César, toujours assis sur son fauteuil, relève brusquement la
tête.
CESAR
Poker ?
Il se lève et prend un air un peu gauche et timide.
CESAR
Oh ! Vous savez, moi, le poker... Enfin, si ces dames me le
permettent...
COOKIE & MME PASSEREAU
Mais oui, voyons.
CESAR
Bien.
Il s'approche de Jeanne, toujours appuyée sur le vase.
CESAR
Mademoiselle Jeanne, vous joindrez-vous à nous ?
JEANNE
Je voudrais bien, mais je ne sais pas.
CESAR
Ahhh ! Même pour me faire plaisir.
JEANNE
Je connais rien à l'argent.
Il s'éloigne et crie à la cantonade :
CESAR
Bien. Alors, qui sont nos partenaires ?
Jean-Jacques s'approche de lui.
JEAN-JACQUES
Si vous ne craignez pas un jeu sec, je suis votre homme.
Il tape du poing dans sa main pour souligner son propos.
CESAR
Cher ami. Allons-y.
Il lui désigne le château du doigt. Ils s'éloignent ensemble. M.
Patin vient vers Jeanne, qui le regarde approcher, l'air
indifférent.
M. PATIN
Je vous tiens compagnie, mademoiselle Jeanne.
Il s'assoit sur le fauteuil libéré par César.
JEANNE
Vous ne jouez pas ?
M. PATIN
Jongler avec l'argent, non, très peu. Nous avons si peu de
temps déjà pour penser aux choses essentielles. Songez
que...
Alors qu'il fait visiblement très chaud, Jeanne se serre les
épaules comme s'il avait froid et s'éloigne vers le château.
JEANNE
Il commence à faire froid, je rentre.
M. Patin se lève légèrement, puis se rassoit.
La marquise est sur les dernières marches de la terrasse, et elle
regarde les deux joueurs s'approcher. Diane, toujours son plateau
à la main, descend les marches et vient vers elle. Le bruit des
tasses sur le plateau indique qu'elle tremble.
LA MARQUISE
Écoute, tu serviras le café au salon, hein ? Nous faisons
un petit poker.
Elle remonte, et César apparait, suivi de Jean-Jacques.
JEAN-JACQUES
Ahhh ! Le café !
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
La marquise entre, suivie de César, qui se fait doubler par Jean-
Jacques.
JEAN-JACQUES
Vous jouez stone ou pas ?
CESAR
Oh, moi, vous savez, le poker... je...
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
Les deux hommes s'approche de la table de bridge. Jean-Jacques,
qui vient d'enlever sa casquette, se cogne sur le lustre. Ils
s'assoient.
CESAR
Ah, ah !
La marquise s'aperçoit que c'est Jean-Jacques qui est assis sous
le lustre.
LA MARQUISE
Non, non, non-non, levez-vous, levez-vous, je suis très
superstitieuse !
Les deux hommes se lèvent.
LA MARQUISE
Alors, je tire les places, hein ! Un petit coquin n'a
besoin de rien qui va-t'à la chasse, et parle à sa bécasse.
Voilà ! Alors, vous ici, là, comme ça. Voilà...
Ils s'assoient tous les trois, mais c'est la marquise qui se
retrouve sous le lustre.
JEAN-JACQUES
Ahhh...
La marquise s'aperçoit de son erreur.
LA MARQUISE
Non ! Non-non, je me suis trompée, hein !
Ils se lèvent tous les trois, et la marquise recommence son petit
jeu.
LA MARQUISE
Non, je-je tire les places... Un petit coquin n'a besoin de
rien, parle à sa bécasse. Voilà, voilà... là, comme ça.
Cette fois-ci, c'est bien César qui est sous le lustre.
JEAN-JACQUES
Bon, moi, je...
LA MARQUISE
Non, non, non, bougez pas... là, bougez pas !
CESAR
Une partie de Titans !
Jean-Jacques sort quelques billets de sa poche.
JEAN-JACQUES
Et... bien entendu, on ne joue pas des haricots !
Il s'arrêtent net devant la grosse liasse de billets que César a
sorti. César commence à battre les cartes d'un geste très expert.
CESAR
La cave à combien ?
LA MARQUISE
Cinquante milles ?
CESAR
Cent ?
LA MARQUISE
Cent cinquante. Ah oui, je ferais un chèque. Là, j'ai mes
jetons.
Jean-Jacques commence à faire une drôle de tête.
JEAN-JACQUES
Ah-ah-ah ! Cent cinquante, c'est, c'est lourd...
Il prend un air faussement grave.
JEAN-JACQUES
Mais soit ! Mais c'est lourd !
César ouvre le jeu de cartes en éventail.
CESAR
Manque le sept de pique.
Il retire le sept de pique caché dans le maillot de Jean-Jacques,
derrière sa nuque, et le remet dans le jeu. Il ricane
CESAR
Hé-hé-hé-hé !
Jean-Jacques sifflote entre ses dents pour se donner une
contenance. La marquise regarde César battre les cartes
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Georges met le bras du tourne-disque sur le disque.
MUSIQUE. La musique de Wagner retentit : ce n'est plus seulement
le thème des Walkyrie, mais carrément une Walkyrie en train de
chanter.
Georges bat la mesure.
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
César jongle avec les cartes : c'est visiblement un joueur expert,
ce qui a l'air d'ennuyer Jean-Jacques de plus en plus. Il suit des
yeux les cartes qui montent et qui descendent entre les mains de
César. César fredonne la musique de Wagner tout en battant les
cartes. Il donne le jeu à couper à la marquise, puis il distribue
les cartes. La marquise regarde son jeu en le cachant d'une main,
d'un geste très amateur. César, lui, ouvre à peine son jeu, et il
sait tout de suite ce qu'il a en main. Jean-Jacques, lui, cache
son jeu des deux mains, en prenant des airs de conspirateur pour
le regarder.
LA MARQUISE
Ah ! Cette musique !
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Georges bat toujours la mesure, accroupi devant l'électrophone.
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
Diane s'approche du petit salon, en portant son plateau. Elle
jette un oeil dans la pièce, puis revient en arrière et se plaque
contre le mur. Elle fait tomber une cuillère
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
LA MARQUISE
Je relance de cinq.
Elle pose des jetons sur la table.
César prend un billet dans sa liasse et le pose sur le jeton de la
MARQUISE
CESAR
Je redonne de six.
La marquise lève les yeux au plafond.
LA MARQUISE
Ah ! Cette musique !
Elle a un sourire crispé. Jean-Jacques jette un oeil rapide vers le
plafond : il semble mal à son aise. Il sourit niaisement. Le seul
à être décontracté et à continuer à fredonner est César.
CESAR
Cartes !
Jean-Jacques regarde rapidement son jeu et en retire trois cartes.
JEAN-JACQUES
Trois cartes.
CESAR
Trois cartes.
Il le sert.
LA MARQUISE
Servie.
La marquise continue à masquer son jeu. César la regarde
BRIÈVEMENT
CESAR
Une carte. Po-po-po...
Il continue à fredonner, puis jette un oeil sur Jean-Jacques, qui
se met à fredonner, l'air faussement décontracté.
JEAN-JACQUES
Po-po-po...
Diane entre en portant son plateau de façon peu assurée. Elle
s'approche de la table. César se retourne.
CESAR
Ohh ! Que c'est gentil ! Pardon !
Il prend une tasse au hasard sur le plateau. Diane a une
expression effrayée.
DIANE
Maman !
LA MARQUISE
Ne trouble pas mon jeu, voyons.
César boit son café, repose la tasse sur la soucoupe, puis le tout
sur le plateau. Il prend l'autre tasse.
CESAR
Votre tasse.
Il pose la tasse à côté de Jean-Jacques, qui fait un petit geste
de refus de la main.
JEAN-JACQUES
Non, pas maintenant. Parole.
La marquise claque un jeton sur la table. Diane est comme figée
sur place, le visage défait.
LA MARQUISE
Allez ! Dix milles !
CESAR
Plus dix.
Il prend un billet dans sa liasse et le pose sur la table. Jean-
Jacques pose ses cartes sur la table, l'air abattu.
LA MARQUISE
Cinquante !
Elle pose un autre jeton.
CESAR
Je vois.
Il prend d'autre billets dans sa liasse et les pose sur la table.
Diane semble de plus en plus défaite.
LA MARQUISE
C'est moi qui ramasse.
Elle ramène les billets et les jetons vers elle. César arrête son
geste. Pendant ce temps, Diane, qui a déplacé son plateau pour le
tenir d'une seule main, tente de récupérer la tasse de Jean-
Jacques.
CESAR
Non, non, attendez, petite marquise, la galanterie et le
poker, c'est deux choses tout à fait différentes. Je peux
voir ?
La marquise jette ses cartes sur la table. Diane, qui n'a pas
réussi à prendre la tasse ramène sa main vers le plateau. César
regarde les cartes de la marquise.
CESAR
Hé oui ! Deux sept !
Il pose ses propres cartes sur la table.
CESAR
Deux paires !
Il prend la tasse de Jean-Jacques.
CESAR
Hé-hé-hé, c'est facile, c'est le jeu, le poker, c'est comme
ça !
Il porte la tasse à sa bouche. Diane se met à hurler :
DIANE
Nonnn !!!
César repose la tasse sur la soucoupe et se tourne vers Diane.
CESAR
Qu'est-ce qu'il y a ?
DIANE
Là ! Un rat !
Elle désigne un vague endroit dans la pièce. Machinalement, Jean-
Jacques redresse ses jambes, de façon à ce que ses pieds ne touche
plus terre.
CESAR
Un rat ? Où ça ?
César regarde autour de lui.
DIANE
Sous le lit.
Jean-Jacques a maintenant les pieds carrément posés sur son
fauteuil.
JEAN-JACQUES
Ah ! Si j'avais un bâton !
César commence à se lever. La marquise se lève à son tour et lui
appuie sur les épaules pour le forcer à se rassoir.
LA MARQUISE
Mais non, mais restez assis !
Elle a un regard rapide vers le lustre. Diane suit son regard,
l'air effrayé.
LA MARQUISE
Vous êtes très bien là où vous êtes, voyons !
Elle se dirige vers l'escabeau.
LA MARQUISE
Cette musique !
Elle commence à monter sur l'escabeau. César se lève.
CESAR
Mais, écoutez-moi, marquise, pas d'affolement !
Les bras écartés il se dirige vers le lit, situé dans un coin. La
marquise, qui a pris son balai, le suit du regard.
CESAR
Un rat... C'est gentil, c'est vivant, un rat ! C'est rien
du tout, un rat !
Il se met à quatre pattes et regarde sous le lit.
CESAR
Minou-Minou-Minou-Minou-Minou !
Il cogne avec ses doigts sur le parquet.
CHATEAU - CHAMBRE D'AMELIE - INTERIEUR JOUR
Georges entend les coups frappés par César, et croyant qu'il
s'agit du signal convenu par sa belle-mère, tire sur la barre à
mine, qui, glissée dans le trou dans le carrelage, maintenait le
lustre en place.
CHATEAU - UN PETIT SALON - INTERIEUR JOUR
On voit le lustre qui se détache du plafond, et tombe, dans un
nuage de plâtre, sur la table de bridge, sous l'oeil ahuri de Jean-
Jacques, qui bondit de son siège. César se relève. La marquise,
toujours sur son escabeau, le balai à la main, regarde la scène
d'un air désabusé. Jean-Jacques, qui est retombé sur son siège,
est couvert de poussière de plâtre. Il secoue la main.
JEAN-JACQUES
Oh-oh ! Oh, ben ça !
On voit Cookie arriver derrière Diane, qui a gardé son plateau en
mains.
JEAN-JACQUES
J'l'ai échappé belle !
Il ramasse la tasse à café restée sur la table et la porte à ses
lèvres. La marquise descend précipitamment de son escabeau. César,
toujours à genoux devant le lit, regarde la scène d'un air étonné.
Cookie, une main sur la hanche, regarde Jean-Jacques avec un air
méprisant. Diane pousse un cri.
DIANE
Ohh !
Jean-Jacques repose la tasse sur la soucoupe et recrache tout le
café qu'il a bu. Il tire la langue et passe un doigt dessus.
COOKIE
Toujours en train de faire l'intéressant !
Fondu enchaîné.
FIN DE LA MUSIQUE de Wagner
CHATEAU - LES ECURIES - INTERIEUR JOUR
Dans une stalle vide, un gros tas de paille qui bouge légèrement.
On entend des bruits de voix. La paille se soulève et Amélie
apparait. Elle se tourne vers un personnage toujours caché par la
paille.
AMELIE
Pé-ho !
La marquise apparait suivie de Diane et de Georges.
LA MARQUISE
Diane ! Georges ! Une scie, une échelle, des cordes, une
poulie !
La marquise passe derrière Amélie, pendant que Diane s'approche
d'une échelle et commence à dégager les divers outils qui sont
posés dessus et que Georges passe dans la stalle voisine.
AMELIE
Ça a marché ?
LA MARQUISE
Mais non, c'est raté ! Ohh !
Charlie sort à son tour de sous la paille. Derrière on voit
Georges qui escalade une échelle dans la stalle voisine. La
marquise a récupéré une grande scie de bucheron au fond de la
stalle.
LA MARQUISE
Oh ! Charlie ! Allez, Charlie, voyons, cessez d'ennuyer la
baronne ! Sortez !
Amélie est sortie de sous la paille et commence à aider sa mère.
On voit dans l'autre stalle Georges qui, grimpé sur son échelle,
essaie d'attraper une corde posée entre les deux stalles.
CHARLIE
Oh, ben, hé !
Il s'éloigne.
LA MARQUISE
Oh, oui, c'est raté. C'est raté à cause de ta mère, qui a
laissé tomber le lustre sur le play-boy.
Diane prend l'échelle et commence à la transporter.
AMELIE
Oh, mon Dieu !
Elle s'approche de sa mère pour l'aider à porter l'échelle.
Georges est toujours perché sur son échelle et vient de récupérer
la corde.
GEORGES
Rassure-toi, il n'a rien, il a recraché le café.
La marquise donne un coup de main aux deux autres femmes pour
porter l'échelle.
LA MARQUISE
Ouais, enfin, jamais deux sans trois. Mes enfants,
maintenant, mon plan est infaillible. Alors, écoute, toi,
Diane...
CHATEAU - PARC - STATUE BRISEE - EXTERIEUR JOUR
MUSIQUE. On entend quelques accords de harpe, qui annonce le Thème
DU GÉNÉRIQUE
Une statue tombée de son socle et posée en appui sur ce socle.
Diane court dans une prairie au bord d'un bois. César lui court
après et passe derrière la statue. Diane a un petit cri un peu
effrayé, et César un cri de chasseur. Ils continuent à se courir
après et s'engagent dans une allée qui s'enfonce dans le sous-
bois.
CHATEAU - PARC - SOUS-BOIS ET FEUILLAGE - EXTERIEUR JOUR
Plan rapproché sur un sous-bois très feuillu. La marquise écarte
des feuillages et observe la scène. On entend, au loin, les cris
de Diane.
LA MARQUISE
Coucou !...
Une flûte souligne le coucou de la marquise.
Amélie, au bout d'une allée, se cache derrière un vase de pierres
en ruines.
VOIX INDETERMINEES
Coucou !... Coucou !... Coucou !...
CHATEAU - PARC - ALLEE ET SOUS-BOIS - EXTERIEUR JOUR
Amélie regarde, en contrebas, Jean-Jacques qui court dans le sous-
bois. Plus loin, un autre personnage, en chemise blanche et
pantalon noir (certainement César) court, lui aussi.
CHATEAU - PARC - SOUS-BOIS PRES DE LA GRILLE DU PARC - EXTERIEUR
JOUR
Au premier plan, César se cache derrière un arbre, pour ne pas
être vu de Jean-Jacques. Un mouvement de caméra nous fait
découvrir Diane cachée derrière un autre arbre.
La musique évolue vers le Thème du générique.
César se rapproche de l'arbre de Diane, qui tourne autour du
tronc, puis se sauve vers une grande porte-grille entr'ouverte.
Elle passe par la porte
CHATEAU - PARC - SOUS-BOIS ET STATUE - EXTERIEUR JOUR
Une autre section du parc. Une statue bien posée sur son socle,
celle-là. Georges passe devant, portant une échelle, et une scie.
On entend des cris au loin. Georges marche avec précaution pour ne
pas être repéré. Mais il ne voit pas Cookie, qui sort du sous-bois
et lui met les mains sur les yeux. Il crie.
GEORGES
Ahhh !...
Cookie retire ses mains et ricane. Elle s'appuie, des deux mains,
sur l'échelle que porte Georges.
GEORGES
Ahhh !... Ah ! C'est vous !... Vous ne jouez pas à cache-
cache ?
COOKIE
Vous non plus.
GEORGES
Oh, vous savez, y a toujours beaucoup à faire dans une
maison comme celle-là.
Georges se remet en route, accompagné par Cookie, toujours appuyée
sur son échelle.
COOKIE
Oui, c'est ça qui est chouette. On doit être heureux là-
dedans. J'y resterais bien.
Jean-Jacques, en costume beige, chemise orange et cravate noire,
apparait en courant dans la prairie voisine.
JEAN-JACQUES
J'vous demande pardon !... Enfin, qui est le chat ?...
Georges s'est arrêté, Cookie à ses côtés.
GEORGES
C'est le baron César, le chat !
JEAN-JACQUES
Ah non ! pardon ! Je ne comprends plus. Il était chat, il
m'attrape : je suis chat. Je touche votre charmante femme :
elle est chat. Il peut pas y avoir deux chats. Hé ! hé-hé !
Il se tourne vers le sous-bois.
JEAN-JACQUES
Oh, attendez !... Ou-ouh !... Pouce !... C'est pas de jeu.
Qui est chat ?
Il disparait dans le sous-bois.
CHATEAU - PARC - SOUS-BOIS ET GROS ARBRES - EXTERIEUR JOUR
Un autre endroit dans le parc.
Diane est appuyée, le dos contre un arbre, et embrasse César à
pleine bouche. Il se dégage et la serre violemment contre lui.
CESAR
Oh ! Que j'ai envie de toi !...
Diane se met à crier, et tente de se dégager.
DIANE
Oh !... Amélie !... Amélie !...
Elle réussit à se dégager et se sauve. César s'énerve.
CESAR
Mais quoi, Amélie !... Qu'est-ce qu'il y a avec Amélie
encore !
CHATEAU - PARC - SOUS-BOIS ET FEUILLAGE - EXTERIEUR JOUR
La marquise est toujours cachée derrière son feuillage et observe
toujours la scène. Elle rabat le feuillage et s'éloigne à
reculons.
CHATEAU - PARC - LA RIVIERE - EXTERIEUR JOUR
Amélie est au bord de l'eau, et elle cueille distraitement des
feuilles, qu'elle lance dans l'eau. On entend la voix de Diane.
DIANE
Amélie !...
Diane apparait.
DIANE
Amélie, fais vite, il faut en finir.
Diane est au bord des larmes.
AMELIE
Tu me fais rire, je le cherche partout. Où est-il ?
DIANE
Là derrière...
Elle se met à pleurer franchement, et désigne, du doigt, un
endroit derrière la caméra. Amélie caresse la joue de sa mère.
AMELIE
Ne pleure pas, maman... J'y vais...
Elle remonte du bord de la rive. Diane reste à pleurer au bord de
l'eau.
CHATEAU - PARC - SOUS-BOIS - EXTERIEUR JOUR
César est en train de réajuster les manches de sa chemise. Amélie
apparait derrière les arbres.
AMELIE
Hé !... Attrapez-moi si vous pouvez !
Elle se sauve en courant. César lui court après.
AMELIE
Ah-ah-ah !...
CESAR
Ah ! Ah ! Ah !...
On les voit courir l'un derrière l'autre à travers les arbres.
CHATEAU - PARC - LA RIVIERE ET LE VIEUX MOULIN A EAU - EXTERIEUR
JOUR
Au bord de la rivière, Amélie commence à grimper sur un tronc
d'arbre incliné.
AMELIE
Allez-y, montez !...
César commence à escalader l'arbre derrière elle.
La marquise apparait derrière un autre arbre et observe la scène.
Amélie continue à monter, offrant des visions de petite culotte
blanche à César.
L'un suivant l'autre, ils arrivent dans les hautes branches de
l'arbre.
Gros plan du pied de César qui avance sur une grosse branche, qui
a été à moitié sciée. La branche s'écroule.
César tombe avec la branche, et tous les deux se retrouvent dans
la rivière en contrebas.
FIN DE LA MUSIQUE et du Thème du générique.
La marquise s'approche de la rive. Georges et Diane la rejoignent.
Ils lèvent la tête à la voix d'Amélie, qui est toujours dans
l'arbre.
AMELIE
Ça y est : il est tombé comme une pierre...
La marquise, Diane et George observent les remous dans la rivière.
Les remous s'approchent du vieux moulin, dont la grande roue à
aubes tourne toujours. On entend des craquements, et le mouvement
du moulin s'interrompt un instant, puis reprend.
Au bord de la rivière, les trois complices observent la scène avec
des regards angoissés. Diane crie.
DIANE
Ohhh !...
Les trois complices ont sorti des mouchoirs et les portent à leurs
bouches. Les deux femmes pleurent. Georges semble décomposé.
Amélie les rejoint en courant
AMELIE
Alors ?...
La marquise a un mouvement désabusé.
LA MARQUISE
Oh !...
Elle se dirige vers le moulin, suivi des trois autres. Diane
pleure à chaudes larmes.
Ils arrivent près de la roue du moulin.
LA MARQUISE
Oh, ça me fait tout drôle.
GEORGES
Il a craqué comme une noix.
LA MARQUISE
Enfin, notre toit est sauvé.
Georges aide sa fille à se mouche.
La caméra tourne pour découvrir Jean-Jacques qui arrive près du
moulin. Il porte sa veste sur son bras
JEAN-JACQUES
Ah ! Vous voilà !... Mais qui est le chat, à la fin ?
Diane sort du moulin, un mouchoir sur la bouche, soutenue par sa
fille. Ils passent devant Jean-Jacques éberlué.
DIANE
Quel sans-coeur, çui-là !
AMELIE
Quelle brute ! Ne pleure pas, maman.
Ils sortent du champ.
C'est au tour de la marquise de passer devant Jean-Jacques, suivie
de Georges.
JEAN-JACQUES
Quoi ! On-on ne joue plus ?
Georges marque un temps d'arrêt.
GEORGES
Il n'y a plus de chat.
Il sort du champ.
JEAN-JACQUES
Mais permettez que je m'interroge. Il y a une seconde, il y
avait deux chats, et vous m'assénez la nouvelle qu'il n'y
en a plus.
On voit le petit groupe qui s'éloigne en longeant la rivière.
LA MARQUISE
Mais c'est fini, vous pouvez repartir.
JEAN-JACQUES
Permettez, je-je ne comprends pas... Partir où ?
Diane et Amélie se retournent.
AMELIE
Ohhh ! Allez vous-en !
JEAN-JACQUES
Ah non, mais quel rôle joue-je !
Il se met à les suivre
LA MARQUISE
Vous êtes tombé en panne, et je vous ai secouru. Ben, vos
voitures sont réparées. Vous n'avez qu'à prendre la route.
Ils passent sur un pont de pierre qui enjambe la rivière. La
caméra descend sous le pont au niveau de l'eau.
CHATEAU - PARC - LA RIVIERE - LE PONT DU MOULIN - EXTERIEUR JOUR
On voit César qui roule sur une sorte de mini-cascade artificielle
sous le pont.
CHATEAU - PARC - LA RIVIERE - UN VIEUX PONT VOUTE - EXTERIEUR JOUR
On voit César qui continue à se débattre, entraîné par le courant
de la rivière. Il passe sous la voute du vieux pont, et continue à
rouler dans le courant. Après le pont, il passe sur une mini-
cascade.
CHATEAU - PARC - LA RIVIERE - SECTEUR LARGE ET CALME - EXTERIEUR
JOUR
Il se retrouve enfin dans un endroit plus calme et peut se
relever. Il a un rameau coincée dans sa chemise. Il regarde autour
de lui. On entend des rires, et on découvre les touristes suédois,
en train de se baigner nus plus loin dans la rivière.
CESAR
Holy kiss !...
Il court vers eux. Il plonge, ressort, et attrape l'une des jolies
jeunes filles dans ses bras.
CESAR
Ahhh !... Ah-ah !... Ah-ah-ah !...
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
MUSIQUE. Thème de Jeanne, joué au piano.
La famille de la marquise entre, en provenance du vestibule. Ils
marchent lentement, serrés les uns contre les autres, Diane
accrochée au bras de Georges, la marquise tenant l'autre bras de
Georges d'une main et celui d'Amélie de l'autre.
GEORGES
Il me devenait bigrement sympathique, cet animal de César.
DIANE
Un peu plus, nous ne pouvions plus le quitter.
LA MARQUISE
La réussite a toujours un petit côté amer...
Ils sortent par la petite porte derrière le bureau.
CHATEAU - UN BOUDOIR - INTERIEUR JOUR
Le coffre trône toujours dans le boudoir. Amélie s'approche de
lui.
AMELIE
Pauvre César... Et puis, il avait la clef du coffre sur
lui !
La marquise s'approche à son tour.
LA MARQUISE
Mon Dieu ! La clef, c'est vrai ! Ah... La clef ! Charlie va
nous ouvrir ça avec sa chignole. Allez, va le prévenir. Et
qu'il ramène les voitures des clients : elles sont
réparées.
AMELIE
Oui-oui...
Elle sort de la pièce. La marquise reste un instant à observer le
coffre en silence.
LA MARQUISE
Ohh !... Si je n'étais pas là !
CHATEAU - SALLE A MANGER - INTERIEUR JOUR
La salle est vide. Jeanne est seule au piano en train de jouer.
CHATEAU - LES DOUVES - EXTERIEUR JOUR
On voit le petit pont qui enjambe les douves.
L'orchestre apparait derrière le piano, transformant lentement la
musique en concerto pour piano et orchestre.
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
La 4L de la famille Passereau est déjà garée. La Mini décapotable
des suédois entre, suivie de la Jaguar de Jean-Jacques. Les deux
voitures se garent de part et d'autre de la 4L. Charlie actionne
l'ouverture du coffre arrière de la Jaguar et sort de la voiture.
Amélie sort de la Mini et le rejoint. Elle se penche, à côté de
lui sur le coffre ouvert.
AMELIE
Embrasse-moi !
Charlie désigne l'outil qu'il tient à la main.
CHARLIE
J'ai la chignole.
AMELIE
Embrasse-moi !
CHARLIE
Quoi ? Pour la chignole ?
AMELIE
Non, c'est pour toi.
Il pose la chignole.
CHARLIE
Pour moi tout seul ?
AMELIE
Oui, je te jure.
Charlie lui passe les bras autour du cou, et l'embrasse
amoureusement sur la bouche. Amélie se dégage et prend l'air
grave.
AMELIE
Merci.
Elle se lève. Charlie se retourne.
CHARLIE
Tu me dis merci, maintenant ?
AMELIE
Oui... pour la chignole !
CHATEAU - CHAMBRE DE JEAN-JACQUES - INTERIEUR JOUR
Jean-Jacques referme sa valise pleine. Il porte un blazer bleu
pétrole, une chemise bleu marine et une cravate club.
JEAN-JACQUES
Cookie ?
Cookie est à la fenêtre et écoute le chant des grenouilles. Jean-
Jacques s'approche de Cookie, et se place derrière elle.
JEAN-JACQUES
Tu ne veux plus repartir ? On s'en va ou quoi ?
Cookie répond d'une voix absente.
COOKIE
Allons-y.
JEAN-JACQUES
Ben viens.
COOKIE
On dirait qu'elles sont amoureuses...
JEAN-JACQUES
Qui ?
COOKIE
Les grenouilles...
JEAN-JACQUES
Tu es amoureuse ?
Il pose son front sur la nuque de Cookie.
COOKIE
Oui... Mais je sais pas de qui.
Jean-Jacques se redresse l'air un peu dépité. Il tape sur l'épaule
de Cookie.
JEAN-JACQUES
Allons, viens.
Il s'éloigne.
COOKIE
Oui, oui, j'arrive...
CHATEAU - PARC - DOUVES - EXTERIEUR JOUR
On voit une grenouille qui saute dans l'eau.
CHATEAU - PARC - PONT SUR LES DOUVES - EXTERIEUR JOUR
M. Patin regarde les douves du haut du pont. Jean-Jacques
apparait, portant deux sacs et une valise. Il pose ses bagages.
JEAN-JACQUES
Elles sont magnifiques...
Il s'approche de Patin.
M. PATIN
Qui ?
Il montre les douves.
JEAN-JACQUES
Les grenouilles ! Je les sens amoureuses.
M. PATIN
Ah oui ?... L'amour ?... Hé-hé-hé !... Puis-je vous faire
une confession ?
Il retire ses lunettes
Le piano redevient plus présent, après un intermède orchestral.
Jean-Jacques vient tout près de Patin.
JEAN-JACQUES
Certes.
M. PATIN
Vous avez du succès auprès des femmes ?
JEAN-JACQUES
Ah oui...
M. PATIN
Et bien, moi pas. Vous avez vu Jeanne, la jeune femme au
piano ? Il y a des années que je veux lui faire ma cour.
J'allais me décider ce soir : elle regarde ailleurs.
Amoureuse d'on ne sait qui... Comment voulez-vous qu'on ait
pas envie que tout saute ! Mais ça va venir...
Il regarde en l'air. Jean-Jacques suit son regard.
M. PATIN
D'ailleurs, tout le temps, là-haut, ça scintille, ça
scintille... et puis un beau jour... Ppp ! Ça explose !
Comme des bulles !
JEAN-JACQUES
Vous n'êtes pas gai...
M. PATIN
J'vois les choses en face.
JEAN-JACQUES
Ah, vous avez tort. Moi, tout me réussit. L'argent... les
femmes... et même un week-end imprévu dans un trou. Prenez-
en de la graine.
Il lui tape sur l'épaule.
M. PATIN
Adieu, monsieur. Je pars.
JEAN-JACQUES
Bonne vie, ami !
Patin s'éloigne vers le château. Jean-Jacques lève la tête et
APPELLE :
JEAN-JACQUES
Cookie !
On entend la voix de Cookie qui répond :
COOKIE
Oh, merde !
Jean-Jacques reste sur le pont des douves, un peu dépité, pendant
M. Patin continue lentement son chemin vers le château, sa petite
valise en carton à la main
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
La marquise, Diane, Amélie et Georges sont devant le perron pour
dire adieu à leurs invités.
Sort la famille Passereau, le grand-père en tête, les enfants
tenant leurs éternels voiliers. Ils s'arrêtent, au bord du perron,
pour saluer leurs hôtes.
LA MARQUISE
Au revoir, madame.
MME PASSEREAU
Au revoir, madame.
AMELIE
Vos voitures sont prêtes.
LA MARQUISE
Bon, et les Nordiques, où sont-ils ?
AMELIE
Ils nagent !
FIN DE LA MUSIQUE
On entend, au loin, les cris des suédois qui batifolent dans
l'eau.
MME PASSEREAU
Ils sont infatigables, ces gens-là... mais écoutez-les !
Amélie s'éloigne du perron et crie à la cantonade :
AMELIE
Terminé !... Auto réparée !... Partir !...
La famille Passereau reprend son chemin vers sa voiture, Mme
Passereau tenant deux enfants par la main.
MME PASSEREAU
Madame, il se fait tard... Les enfants... Ça s'énerve, ce
petit monde... Mais jamais je n'oublierai ce week-end...
jamais...
Jean-Jacques et Cookie apparaissent à leur tour derrière la
marquise. Charlie se joint au petit groupe.
JEAN-JACQUES
A très bientôt, j'espère...
LA MARQUISE
Mais naturellement.
COOKIE
Nous reviendrons sûrement.
Ils passent devant la marquise et sa famille.
JEAN-JACQUES
Saluez pour moi l'ami César.
LA MARQUISE
Mais bien sûr...
COOKIE
Au revoir, monsieur Georges.
GEORGES
Au revoir.
M. Patin vient d'apparaître à son tour
M. PATIN
Dites adieu pour moi à mademoiselle Jeanne.
LA MARQUISE
Je n'y manquerai pas. Parfait...
La caméra suit M. Patin qui traverse la cour d'honneur du château.
Déjà la voiture des Passereau passe sous la voute, les voiliers
fixés sur la galerie du toit. Puis la Jaguar les suit, en dérapant
et faisant crisser ses pneus sur le gravier. Seule reste la Mini
des suédois. M. Patin suit, à pied, les voitures, sa petite valise
à la main. Sur le perron, la marquise et son "clan" les regarde
s'éloigner.
LA MARQUISE
Maintenant, mes enfants... au travail !
Elle entraîne tout le monde vers l'intérieur du château.
CHATEAU - UN BOUDOIR - INTERIEUR JOUR
La marquise traîne Charlie par la main.
CHARLIE
Mais vous êtes sûre que vous l'avez perdue, cette clef ?
LA MARQUISE
Ah, sûre et certaine...
CHARLIE
C'est urgent ? Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ?
Amélie vient d'entrer à son tour, et s'appuie sur le dossier d'une
chaise.
AMELIE
Pour une fois qu'on te demande un pauvre petit service.
Elle s'assoit en travers de la chaise.
CHARLIE
Bref... ça va pas être de la tarte, hein !...
Il prend son marteau en main. Il se penche, attrape un burin de
l'autre main, et commence à essayer de décoincer la porte du
coffre. A la porte du boudoir, Diane et Georges viennent
d'arriver, portant le nécessaire à café.
CHATEAU - PARC - ABORDS DE LA COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
César remonte vers le château, entre les massifs taillés. On
entend les coups de marteau provenant du château. Le groupe des
suédois - habillés ! - le rattrape au pas de courses et le
dépasse. Ils prononcent des phrases en suédois, parmi lesquelles
on reconnait : "Bye, bye !" Une fille blonde embrasse César.
CESAR
Au revoir... Salut...
Une autre fille l'embrasse.
CESAR
Au revoir, jolies filles... Au revoir...
La caméra tourne en suivant la progression de César et on découvre
le château et la cour d'honneur.
Les suédois sont déjà installés dans leur voiture, sauf l'un
d'entre eux, qui donnent quelque chose à César en désignant le
château, et en prononçant des mots en suédois, parmi lesquels on
reconnaît le mot « hôtel ».
La voiture commence à démarrer
CESAR
Hôtel... Oui, ce sera fait... Good bye...
Le dernier suédois saute en marche et la voiture sort du champ.
CESAR
Good bye... Bonne route, hein, les Nordiques...
Il commence à monter le perron du château.
CHATEAU - UN BOUDOIR - INTERIEUR JOUR
Une chignole à main, une perceuse électrique et divers outils sont
plantés dans le coffre. Charlie tape toujours sur son burin. Il
fait le tour du coffre. Assis sur un canapé en face de lui, la
marquise, Diane, Georges et Amélie sirotent leur café. Charlie,
après avoir tapé de l'autre côté du coffre, se redresse, le
marteau à la main, dépité.
CHARLIE
Y a rien à foutre !
La marquise se lève, la tasse à la main.
LA MARQUISE
C'est parce que je l'ai attaqué de face... Un coffre, mes
enfants, ça se prend toujours par derrière.
CHARLIE
Et comment voulez-vous que je le tourne ?
LA MARQUISE
Mais c'est nous qui tournons... Allez, allez ! Hop ! Dans
la pièce voisine !
Tout le monde se lève du canapé et suit la marquise, qui se dirige
vers la porte située à côté du coffre. Charlie les regarde partir,
l'air intrigué. La marquise ouvre la porte.
CHATEAU - UN PETIT SALON ATTENANT AU BOUDOIR - INTERIEUR JOUR
La marquise pénètre dans la pièce, toujours sa tasse à la main. La
suivent Diane, Amélie et Georges, eux aussi avec leurs tasses à la
main. La marquise se plante face au mur de séparation. Les trois
autres s'assoit sur un banc rembourré et tapissé.
GEORGES
Allons-y !
La marquise fait un geste de la main pour désigner l'endroit où
Charlie doit creuser. Puis elle s'approche du mur, et tape dessus
des deux poings. Charlie entre à son tour, tous ses outils dans
les bras. Il referme la porte derrière lui.
LA MARQUISE
Creusez ici.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
César arrive du vestibule. Il rajuste son veston sur ses épaules.
Il a son chapeau à la main. Il fouille dans la poche de son
pantalon, et en sort une clef. Il jongle avec et se dirige vers la
porte derrière le bureau.
Jeanne descend silencieusement le grand escalier. Elle a une
sucette à la main. Elle se cache à moitié derrière un pilier et
regarde la porte par laquelle César vient de disparaître.
CHATEAU - UN BOUDOIR - INTERIEUR JOUR
César entre dans la pièce et se dirige vers le coffre. Il s'arrête
devant et glisse la clef dans la serrure.
On voit Jeanne caché derrière la rambarde en bois d'un petit
escalier de service. Elle regarde César d'un air un tantinet
amoureux.
César a ouvert la porte du coffre, et il en sort sa mallette. Il
laisse la porte du coffre ouverte, et sort de la pièce.
Jeanne continue à observer de sa cachette. On entend des bruits
sourds de la masse qui frappe sur la mur. Jeanne se met le menton
dans la main pour mieux observer.
Plan rapproché sur le coffre ouvert avec le mur derrière. Les
coups continuent. Soudain, le mur explose... juste à côte du
coffre ! Par le trou béant, on aperçoit les visages de Diane, de
Georges, une cigarette au bec, de la marquise et d'Amélie.
Jeanne, dans sa cachette, affiche un large sourire. On entend la
voix de la marquise.
LA MARQUISE
Oh ben, décidément, Charlie, vous n'êtes qu'un bon à rien !
La porte s'ouvre, et Charlie entre dans la pièce, suivi de la
MARQUISE
CHARLIE
Mais enfin, de toutes façons, il est ouvert, votre coffre !
Les trois autres pénètrent à leur tour. Les deux femmes se
penchent sur le coffre béant.
AMELIE
Il est vide !
Georges se penche à son tour.
GEORGES
Où est la mallette ?
Jeanne continue à observer la scène avec amusement. Elle sort de
sa cachette, pendant qu'on entend la voix de la marquise... qui
JURE :
LA MARQUISE
Ohh ! Nom de Dieu de nom de Dieu de nom de Dieu !!
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR SOIR
César descend le grand escalier, le chapeau sur la tête, et les
mains gantées, et bien entendu, la mallette à la main. Après avoir
marqué un temps pour s'assurer que la voie était libre, il
continue à descendre. On aperçoit Jeanne, plus haut dans
l'escalier, qui le suit silencieusement à une distance
respectueuse. César finit de descendre et se dirige vers un
coffre, sur lequel il ramasse une lampe à gaz de camping. Il entre
dans le vestibule
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR SOIR
La nuit approche. Il fait un peu plus sombre.
César continue son chemin vers la porte arrière du château. En
chemin, il ramasse deux autres lampes de camping. Puis une
dernière au pied de l'armure.
Jeanne apparait, à l'entrée du vestibule, derrière le pilier au
bas du grand escalier. On entend une porte qui s'ouvre. Jeanne
tourne lentement autour du pilier, puis voyant que la voie est
libre, elle se dirige à son tour vers la porte de derrière. Elle
accélère le pas. Elle ouvre la porte et sort.
CHATEAU - PRAIRIE ET ETANG - EXTERIEUR SOIR
MUSIQUE. Thème de César.
César se dirige vers l'étang, sa mallette et une lampe allumée
d'une main, toutes les autres lampes allumées de l'autre main. On
entend les grenouilles coasser. On voit apparaître Jeanne derrière
un arbre dans un coin de l'écran.
Gros plan sur Jeanne, cachée derrière l'arbre et qui observe
César.
César pose une lanterne à terre. Jeanne sort de sa cachette et le
suit à distance.
Elle ramasse la lampe qu'il vient de poser, et elle part dans une
direction perpendiculairement opposée à celle que suit César. Elle
arrive au bord de l'étang, et s'engage sur une petite passerelle
de bois qui surplombe l'étang. Elle pose la lampe au milieu de la
passerelle, et continue son chemin sur la passerelle.
On retrouve César, qui pose sa dernière lampe à terre, puis lève
la tête pour scruter le ciel. Il consulte sa montre.
FIN DE LA MUSIQUE. Fin du thème de César.
CABINE D'UN AVION - EXTERIEUR SOIR
Par le hublot de l'avion, on aperçoit le château, qui défile
lentement sous nos yeux.
CIEL AU-DESSUS DU CHATEAU - EXTERIEUR SOIR
On voit l'avion, un petit bimoteur, qui vole au dessus du parc et
du château.
CHATEAU - PARC - PRAIRIE ET ETANG - EXTERIEUR SOIR
César, assis par terre, fume une cigarette. Il entend le bruit du
moteur de l'avion et tourne la tête.
Vue rapide de l'étang, dans lequel coassent les grenouilles.
Retour sur César qui s'est levé.
Vue de l'étang, qui défile, comme vu de la cabine de l'avion.
Gros plan sur César, qui observe le ciel. Il suit des yeux le
mouvement de l'avion
L'avion apparait au-dessus de l'étang.
César le suit des yeux.
L'avion survole l'étang, et disparait dans le sous-bois qui borde
l'étang. Bruit de collision entre l'avion et l'eau de l'étang.
César observe la scène, figé sur place. On entend les bruits de
l'eau qui engloutit lentement l'avion.
César court vers le lieu de l'accident. Il s'engage sur la petite
passerelle au-dessus de l'étang. Il arrive juste à temps pour voir
l'une des ailes de l'avion qui finit de s'enfoncer dans l'eau,
avec des bruits de glou-glou. Puis l'aile disparait et l'eau
redevient calme. Dépité, César fait tomber sa mallette sur la
passerelle. Il se met les mains sur les hanches. On entend les
animaux de la nuit.
CHATEAU - SALLE A MANGER - INTERIEUR SOIR
MUSIQUE. Thème de Jeanne.
Jeanne s'est remise au piano et joue le Thème de Jeanne. La porte
s'ouvre et César entre, le chapeau d'une main, la mallette de
l'autre.
JEANNE
Je croyais que vous étiez parti sans me dire au revoir. Je
vous en voulais un petit peu .
Toujours prêt de la porte, César lui répond :
CESAR
Mais je ne vois personne. Tout le monde est parti ?
César s'avance lentement vers le piano.
JEANNE
On entre, on part... c'est la maison.
CESAR
Je voulais présenter mes hommages à madame la marquise.
JEANNE
Je ne sais pas du tout où elle est.
CHATEAU - UN PETIT ESCALIER - INTERIEUR SOIR
FIN DE LA MUSIQUE : On n'entend plus le son du piano.
La marquise monte, suivie de Georges, de Diane, de Charlie et
d'Amélie.
LA MARQUISE
Non-non-non !... Moi je vends le château, je bazarde cette
cambuse, et puis... je prends... un débit de tabac. Tiens,
Georges, vous serez au comptoir !
On les voit continuer à monter l'escalier, à travers une fenêtre
intérieure qui donne sur l'escalier. On entend la voix de Georges.
GEORGES
Oh, mais vous me voyez !... Deux Picon-menthe !... Deux
cafés qui marchent !... Non, mais tiens, ta mère rêve une
fois de plus !
CHATEAU - UN ESCALIER EN BOIS - INTERIEUR SOIR
Le petit groupe sort par une une porte, et monte un escalier plus
IMPORTANT
GEORGES
Quant à Jeanne et son piano, vous la voyez sans doute dans
le sous-sol fumeux d'un bar canaille pour Libanais en
escale !
CHATEAU - UN SALON ATTENANT A LA SALLE A MANGER - INTERIEUR SOIR
La marquise pénètre dans la pièce, suivie de sa famille
LA MARQUISE
Parfaitement ! Je vais l'avertir de ce pas !
Elle se dirige vers une porte qu'elle ouvre d'un air décidé. Mais,
à peine a-t-elle regardé à l'intérieur de l'autre pièce, qu'elle
s'appuie sur le mur près de la porte, et porte une main à son
coeur. On entend le piano et des voix dans l'autre pièce.
MUSIQUE. Reprise du Thème de Jeanne
LA MARQUISE
Euuuuuuhhhhh !
Sa fille et sa petite-fille se précipitent.
DIANE
Maman ?
La voix de la marquise est devenue très faible tout à coup.
LA MARQUISE
César !
Elle désigne l'intérieur de la pièce.
LA MARQUISE
Hein, il est mort !
Georges entr'ouvre la porte, Diane et Amélie risquent un oeil à
l'intérieur. Georges se tourne vers Charlie, qui semble ne rien
comprendre. On entend des voix à l'intérieur de la pièce voisine.
JEANNE
Je ne vais pas vous entendre.
CESAR
Oh, c'est peut-être mieux que vous ne m'entendiez pas.
CHATEAU - SALLE A MANGER - INTERIEUR SOIR
César est debout derrière le piano, devant lequel Jeanne est
toujours assise.
CESAR
Mettons que je parle pour moi-même, que j'ai envie de dire
que j'ai trouvé un coin heureux dans ce monde, et que c'est
ici.
Pendant cette dernière phrase, Jeanne a recommencé à jouer du
piano.
JEANNE
Vous ?... Vous qui avez tout vu, qui savez tout ?...
L'Asie, l'Amérique...
CESAR
Rien... rien... j'ai rien vu... ou si peu... je ne suis
rien... Il n'y a pas plus de baron que d'Amérique. Jeanne,
je suis un escroc, un malandrin.
Il marche dans la pièce, toujours le chapeau et la mallette à la
main.
CESAR
Je vais de trafic en gaspillage, et de frontières en garni,
avec parfois des fortunes qui me font trembler.
JEANNE
Mais alors, pourquoi faites-vous ça ?
CESAR
Ohh ! Je pourrais vous dire que j'ai eu une enfance
malheureuse, des fréquentations déplorables, un père
ivrogne et tout le tremblement, mais... mais c'est pas
vrai.
César est revenu vers le piano. Il s'assoit dans un fauteuil
derrière le piano.
CESAR
Mon père, il était bien gentil... tranquille, serein, plan-
plan... Non, il n'y a que moi comme ça dans la famille.
JEANNE
Je m'en doutais un petit peu... mais ça m'est égal... Et
puis... je ne demande rien...
César marque un temps, puis se lève.
CESAR
Je sais... Parce que vous, vous êtes le
désintéressement,...
CHATEAU - UN SALON ATTENANT A LA SALLE A MANGER - INTERIEUR SOIR
Toute la famille est massée devant la porte entrebâillée et écoute
la conversation, sauf Charlie qui est un peu en retrait.
CESAR
... la fraîcheur, tout ce que je ne connais pas.
CHATEAU - SALLE A MANGER - INTERIEUR SOIR
CESAR
Et pourtant, dans cette demeure où tout passe, combien
d'hommes avez-vous connus ?
FIN DE LA MUSIQUE
Jeanne s'arrête de jouer et se retourne vers César qui est penchée
sur elle.
JEANNE
Moi ?...
Elle se lève.
JEANNE
Pas un, jamais... sauf vous...
CHATEAU - UN SALON ATTENANT A LA SALLE A MANGER - INTERIEUR NUIT
La marquise referme doucement la porte. On entend la voix de
César.
CESAR
Oh ! Jeanne !...
La marquise met un doigt sur la bouche.
LA MARQUISE
Chhhhtt ! N'ayons l'air de rien : on va leur tomber dessus
dans le vestibule.
Elle s'éloigne à pas de loup, suivie par toute sa famille. Le
dernier à partir est Charlie qui semble de moins en moins
comprendre ce qui se passe.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR SOIR
César et Jeanne entre par le vestibule en se tenant la main. César
tient son chapeau de cette main, et sa mallette de l'autre. Ils
s'arrête. César passe le bras autour des épaules de Jeanne, et
Jeanne autour de la taille de César.
JEANNE
Mamy !...
La marquise, suive de sa famille, entre par la petite porte
derrière le bureau.
JEANNE
Mamy, César reste ici.
LA MARQUISE
L'amour l'emporte ! Et je n'y avais pas pensé !
Elle s'avance vers le couple, les bras grand ouverts.
LA MARQUISE
Oh, cher César... Mais vous êtes ici chez vous...
Elle lui prend la malette des main.
Les autres entourent César.
AMELIE
Défaites-vous...
Amélie et Jeanne l'aident à enlever sa veste.
DIANE
Vous allez prendre froid... Je vais vous donner un petit
lainage.
LA MARQUISE
Ah oui, oui, oui... un petit lainage...
La marquise tient ferment la mallette sous son bras. Jeanne s'est
pendue au cou de César.
JEANNE
Vous verrez comme on est bien ici.
GEORGES
Et puis... mon cher César... vous allez connaître la vraie
volupté...
Georges se dirige vers le couloir du Hall d'entrée.
GEORGES
... celle de ne rien faire.
Il s'approche de la porte arrière du château.
CHATEAU - ARRIERE - PLAN LARGE - EXTERIEUR NUIT
La nuit est tombée.
On voit le château et la terrasse arrière, en plan un peu éloigné.
Georges vient de s'encadrer dans la l'embrasure de la porte
ouverte. On entend les insectes de la nuit.
GEORGES
L'herbe sent fort : nous allons avoir une nuit... superbe.
CHATEAU - TOIT - EXTERIEUR JOUR
MUSIQUE. Thème du Grand Siècle. Thème inspiré des musiques du
Grand Siècle, encore plus brillante que le premier Thème du
Château.
Sur le toit, des échafaudages et des ouvriers qui travaillent.
En surimpression sur l'écran, les mots : "Trois mois plus tard"
Panoramique sur les autres toits du château. L'inscription
disparait. Partout, des ouvriers travaillent.
CHATEAU - PARC - ENTREE - EXTERIEUR JOUR
Un gros camion s'avance, avec Charlie au volant. Il manoeuvre pour
entrer dans le parc du château. A l'entrée du parc l'inscription
"Hôtel du Grand Siècle", suivie de quatre étoiles et la lettre
"A".
CHATEAU - COUR D'HONNEUR - EXTERIEUR JOUR
Le camion vient de s'arrêter. Une armée de marmiton en sort,
portant chacun un plat puis les marmitons se dirigent vers
l'entrée du château. L'un d'eux trébuche sur une marche du perron.
CHATEAU - CUISINES - INTERIEUR JOUR
Un marmiton entre, portant un plateau, puis un autre le suit avec
une pièce montée.
Charlie vient vers César qui, en costume de chef cuisinier, trône
aux fourneaux.
CHARLIE
Tous les jours, les halles à quatre heures du matin,
j'commence à avoir marre, hein !
César se retourne.
CESAR
Mais c'est merveilleux... j'allume bien le four à trois
heures, moi. Dis donc, tu as pensé au persil ?
CHARLIE
J'en ai pris dix-sept kilos. Bon, j'file à Lyon, je vais
aux huitres.
Un petit commis entre dans les cuisines.
UN COMMIS
M'sieur César, les patronnes vous demandent.
CESAR
Voilà, petit, j'arrive.
César s'adresse à l'un de ses adjoints en train de cuisiner.
CESAR
Dis-moi, mets-moi un soupçon de Cognac. Et que ça vibre,
que ça flambe, tout ça ! Voilà, petit, j'arrive !
Il se dirige vers la sortie des cuisines.
CHATEAU - SALLE A MANGER - INTERIEUR JOUR
La salle est pleine de convives en train de manger, assis à des
tables somptueusement dressées. Un maître d'hôtel en smoking prend
des commandes. Un serveur en veste blanche et noeud papillon noir
travaille près d'une autre table. César entre au fond. Il
s'approche de la table à laquelle officie le maître d'hôtel et se
penche vers les convives pour leur dire quelques mots. Puis il
passe à une autre table. Enfin il s'approche d'une table où mange
un couple d'un certain âge. Il baise la main de la dame. Avant de
sortir, il prend quelque chose sur le buffet et le porte à sa
bouche.
CHATEAU - HALL D'ENTREE - INTERIEUR JOUR
César finit de descendre le grand escalier. Il passe dans le
vestibule.
CHATEAU - VESTIBULE - INTERIEUR JOUR
Georges est assis dans un fauteuil dans le couloir, le dos à la
porte arrière du château, grande ouverte. César traverse le
vestibule dans sa largeur et le salue de la main.
CESAR
Ça va, Georges ?
GEORGES
Ça va.
César sort par une porte sur le côté du vestibule.
MUSIQUE : FIN du thème du Grand Siècle. Début du thème de Jeanne,
au piano.
CHATEAU - SALON DE MUSIQUE - INTERIEUR JOUR
Jeanne est au piano, et derrière elle, des partitions à la main,
la marquise, Diane, et Amélie suivent la musique. Elles sont
toutes très bien habillées, un peu comme le soir du premier diner
que César était venu interrompre. La marquise, entre autres, a
remis son chapeau avec la grande plume.
César entre, et caresse la plume de la marquise, puis il se place
derrière elles, entre Diane et Amélie.
LA MARQUISE
César, vous avez pensé à mes rubans ?
CESAR
Vos rubans pour vos fleurs, c'est fait, Mamy.
DIANE
Vous avez pu joindre mon coiffeur ?
CESAR
Mmmm ! Il passe demain matin, Diane.
AMELIE
Vous avez fait cirer mes bottines ?
CESAR
Oui, ma petite Amélie.
JEANNE
Vous pourrez me tourner la page, César ?
CESAR
Mmmm !...
César s'approche du piano. Tout en tournant la page de la
partition, il se penche sur Jeanne et l'embrasse tendrement.
JEANNE
Ahhh !!...
On entend la voix d'un commis.
UN COMMIS
M'sieur César, on vous demande !
CESAR
Chhhtt !
Ce chut est suivi d'une parole incompréhensible. César virevolte
devant ces dames, et sort du champ sous leurs regards admiratifs.
Gros plan tour à tour sur les quatre femmes.
LA MARQUISE
Il est infatigable !
DIANE
Quel Diable !
AMELIE
Et quel maître-queue !
JEANNE
Mais j'y pense... Qu'est-ce que ça veut dire : « Tirer le
Diable par la queue » ?
Jeanne reste songeuse
L'orchestre vient se joindre au piano
CHATEAU - VUE AERIENNE - EXTERIEUR JOUR
On survole le château et son parc. Au premier plan on voit l'aile
de l'avion. Puis le château s'éloigne.
FONDU AU NOIR.
Sur le noir apparait en jaune le mot "FIN".
GENERIQUE DE FIN
MUSIQUE. Thème du générique.
Sur un fond rouge sombre, défile le générique de fin.
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