LES TONTONS FLINGUEURS (1963)
Scénario d'Albert Simonin
Dialogues de Michel Audiard
LOGO DE LA SOCIÉTÉ GAUMONT
USINE DE MONTAUBAN - EXTÉRIEUR NUIT
Le ciel gris du jour qui va bientôt se coucher, au-dessus de la
cour de l'usine de matériel de Travaux Publics de Fernand Naudin à
Montauban. Une pelleteuse à chenilles sort lentement d'un hangar,
avec le godet en position haute. Derrière la pelleteuse apparaît
Monsieur Fernand Naudin, le directeur de l'usine, en grande
discussion avec un ouvrier. Il porte un costume gris très élégant
avec chemise et cravate, et un manteau noir, lui aussi très
élégant.
MONSIEUR FERNAND
C'est quand même pas la première fois, non ?
PREMIER OUVRIER
Je dis pas que c'est la première fois que vous montez à
Paris, Monsieur Fernand, je dis que ça tombe mal. Si le
vent est frisquet, vous avez une couverture à l'arrière et
Germaine a mis du thé dans le thermos.
MONSIEUR FERNAND
Et pourquoi pas de la quinine et un passe-montagne ? On
croirait vraiment que je pars au Tibet.
Il s'approche de sa voiture, une Peugeot 404 noire, qu'un autre
ouvrier vient d'amener dans la cour. Pendant qu'il enlève son
manteau pour être plus à l'aise pour conduire, le premier ouvrier
se précipite vers la voiture. Le deuxième ouvrier sort de la
voiture.
DEUXIÈME OUVRIER
Au revoir, Monsieur Naudin.
MONSIEUR FERNAND
Au revoir, Gustave.
Il s'installe au volant.
PREMIER OUVRIER
Monsieur Fernand, la foire battra pas son plein avant
dimanche, si vous pouviez quand même être là.
Fernand a fermé sa portière et il allume une cigarette. Le premier
ouvrier se penche vers la vitre ouverte.
MONSIEUR FERNAND
Je t'ai déjà dis que j'en avais pour quarante-huit heures
maximum, et puis enfin - Bon Dieu quoi ! - vous avez quand
même pas besoin de moi pour aligner dix tracteurs dans un
stand, non ? Hein ?... Tachez plutôt qu'elle tombe pas en
panne comme la dernière fois.
PREMIER OUVRIER
Qu'est-ce qui a été en panne ?
MONSIEUR FERNAND
La dépanneuse.
PREMIER OUVRIER
Oh ! Monsieur Fernand...
Fernand remonte sa vitre et démarre sa voiture, phares allumées.
On suit la voiture qui sort de la cour, et la caméra s'arrête sur
l'enseigne à l'entrée de l'établissement :
MATERIEL
TRAVAUX PUBLICS
FERNAND NAUDIN
MONTAUBAN (T & G)
ROUTE - EXTÉRIEUR NUIT
La voiture de Fernand roule dans la nuit, phares allumés.
Sur l'image, apparaît le générique en lettres blanches.
Le générique continue sur un plan rapproché du pare-brise de la
voiture, avec Fernand au volant.
VOITURE FERNAND - INTÉRIEUR NUIT
Nous sommes maintenant à l'intérieur de la voiture, derrière le
conducteur. Les maisons d'une bourgade endormie défilent derrière
le pare-brise.
Le générique continue.
ROUTE - EXTÉRIEUR NUIT
Retour sur le plan rapproché du pare-brise, avec la suite du
générique.
Gros plan sur un feu clignotant de la voiture, sur lequel le
générique continue.
L'arrière d'un « cube » Citroën, éclairé par les phares de la
voiture de Fernand. Suite du générique.
Retour sur le feu clignotant. Suite du générique.
Le « cube » Citroën est doublé par Fernand. Suite du générique.
PARIS - CHAMPS-ÉLYSÉES - EXTÉRIEUR NUIT
Les Champs-Élysées déserts et éclairés par les lampadaires de
chaque côté de l'avenue, avec l'Arc de Triomphe en face de nous.
Suite du générique.
La voiture de Fernand avance vers nous, venant de la Place de
l'Étoile. La caméra la suit. Le clignotant droit clignote. La
voiture se range le long du trottoir. Suite du générique.
Plan rapproché sur Fernand, vu à travers la vitre de la portière.
Il serre son frein à main, puis sort un papier de sa poche.
Fin du générique.
VOITURE FERNAND - INTÉRIEUR NUIT
Gros plan sur la papier, posé sur le volant : il s'agit d'un
télégramme, sur lequel est inscrit : « Louis de retour. Stop.
Présence indispensable. Stop. Snack 11 Champs Élysées. Stop.
Urgent. Henri »
MONSIEUR FERNAND (voix off)
« Louis de retour - présence indispensable »... Présence
indispensable ! Après quinze ans de silence, y en a qui
poussent un peu quand même.
Fernand replie le télégramme et le range dans sa poche. Il a le
visage un peu fermé. On continue à entendre ses pensées.
MONSIEUR FERNAND (voix off)
Quinze ans d'interdiction de séjour. Pour qu'il abandonne
ses cactus et qu'il revienne à Paris, faut qu'il lui en
arrive une sévère au vieux Louis, ou qu'il ait besoin de
pognon, ou qu'il soit tombé dans une béchamel infernale.
Fernand ouvre sa portière et sort de sa voiture.
BOWLING - INTÉRIEUR NUIT
Fernand monte un escalier au décor assez neutre. On entend les
bruits d'une salle de bowling.
Fernand arrive sur le palier et pénètre dans la grande salle de
bowling. L'endroit est désert à cette heure très matinale. Un
homme, en chemise à carreaux, est assis sur une chaise au fond de
la salle. Fernand se dirige vers lui. L'homme se retourne en
entendant les pas de Fernand.
L'homme, assis près des pistes de bowling, où un seul client est
en train de jouer, se lève et se dirige vers Fernand en souriant.
Il s'agit d'Henri, le patron du bowling. Les deux hommes se
serrent la main. On aperçoit, derrière Henri, un autre homme
chauve, en costume gris, assis à la table que vient de quitter
Henri, et sur laquelle est étalé un tapis de feutrine, et sur le
tapis, des cartes à jouer. Il s'agit de Raoul Volfoni. Il bat
lentement les cartes
HENRI
Eh bien ma vieille, tu nous fais attendre, la route a pas
été trop toc ?
MONSIEUR FERNAND
Ben, suffisamment.
HENRI
Ça fait plaisir de te revoir, le Mexicain commençait à
avoir des impatiences.
Fernand donne une petite tape amicale sur la nuque d'Henri.
MONSIEUR FERNAND
Ah, parce qu'il est revenu, c'est pas un char.
HENRI
Oh ben, je me serais pas permis.
MONSIEUR FERNAND
Avoue que ça fait quand même une surprise, non ?
HENRI
Les surprises, t'es peut être pas au bout... Viens !
Il entraîne Fernand vers la sortie de la salle de bowling. Raoul
les suit des yeux, la cigarette au bec, tout en continuant à
battre ses cartes, mais il ne bouge pas de sa chaise.
PALIER D'IMMEUBLE - INTERIEUR NUIT
Palier d'un immeuble visiblement assez cossu.
Henri sort de l'ascenseur, suivi de Fernand. Il se dirige vers une
double porte en bois, et appuie sur le bouton de la sonnette. La
porte s'ouvre sur un homme en chemise blanche et cravate, la
cigarette au bec. Il porte un holster, garni d'un pistolet. Il
s'agit de Pascal, le garde du corps de Louis le Mexicain. Pascal
regarde Fernand, le visage assez neutre.
HENRI
C'est Fernand !
Pascal hoche la tête et pénètre dans l'appartement. Henri et
Fernand le suivent.
APPARTEMENT DU MEXICAIN - ENTRÉE - INTÉRIEUR NUIT
Fernand referme la porte d'entrée. Une grande plante verte et des
petits tableaux au mur. Une porte est ouverte sur une chambre.
Pascal est dans la chambre, debout près de la porte, la main sur
la poignée. Il fait un signe de tête vers l'entrée.
PASCAL
Monsieur Fernand est là !
APPARTEMENT DU MEXICAIN - CHAMBRE - INTÉRIEUR NUIT
Louis le Mexicain, en pyjama, est allongé sur le ventre sur son
lit. On ne voit que son visage, mais on voit, par contre, le reste
de la pièce, reflété dans la grande glace, qui couvre tout le mur
derrière la tête du lit. En gros plan, au premier plan, une grosse
seringue, que l'on est en train de remplir
LOUIS
Oui, qu'il entre, qu'il entre !
Dans la glace, on voit Pascal qui fait signe à Henri et Fernand
d'entrer dans la pièce.
LOUIS
Et ben, c'est pas trop tôt, je croyais que t'arriverais
jamais... ou bien que t'arriverais trop tard.
Dans la glace, on voit Fernand s'approcher du lit. Henri reste en
retrait près de la porte, que Pascal referme derrière lui avant de
sortir de la pièce. La seringue disparaît du champ.
MONSIEUR FERNAND
Tu sais, neuf cents bornes, faut quand même les tailler,
hein.
Derrière Fernand, on voit passer le porteur de la seringue, un
médecin apparemment, qui se dirige de l'autre côté du lit.
LOUIS
Ça fait quand même plaisir de te revoir, vieux voyou !
Dans la glace, on voit le sommet du crâne du médecin apparaître
au-dessus de la tête capitonnée du lit.
MONSIEUR FERNAND
A moi aussi...
Fernand semble un peu gêné par le spectacle du médecin en train de
piquer les fesses de Louis. Il détourne légèrement la tête.
LOUIS
Et j'ai eu souvent peur de clamser là-bas au milieu des
macaques sans avoir jamais revu une tronche amie...
Louis fait une grimace et serre les dents, au moment où le médecin
lui pique les fesses.
LOUIS
... et c'est surtout à la tienne que je pensais.
Fernand se dirige vers Henri, qui s'est assis dans un fauteuil,
les bras croisés.
MONSIEUR FERNAND
Tu sais, moi aussi, c'est pas l'envie qui me manquait
d'aller te voir, mais on fait pas toujours ce qu'on veut,
hein ?
Fernand enlève son manteau et le pose sur un autre fauteuil.
MONSIEUR FERNAND
Et toi ? J'ai pas entendu dire que le gouvernement t'avait
rappelé. Qu'est ce qui t'a pris de revenir ?
Il s'assoit sur une chaise, près du lit.
Dans son lit, Louis, maintenant allongé sur le dos, serre la main
du médecin.
LOUIS
Merci toubib, merci pour tout.
Le médecin borde un peu le lit avant de s'éloigner.
LOUIS
Henri, dis-leur de monter...
Le médecin récupère sa sacoche, posée sur un meuble. Fernand, dont
la chaise est juste à côté de ce meuble, se lève et recule sa
chaise, pour permettre au médecin d'être plus à son aise.
MONSIEUR FERNAND
Pardon.
Henri se lève de son fauteuil. Le médecin referme sa sacoche et se
dirige vers la porte. Fernand rapproche sa chaise du lit.
MONSIEUR FERNAND
Tu crois pas qu'il vaut mieux quand même...
LOUIS
Me coupe pas, sans quoi on aura plus le temps.
Le médecin ouvre la porte, suivi par Henri.
LOUIS
Henri, fais tomber cent sacs au toubib !
Le médecin, avant de sortir, fait un petit signe de tête à Louis
pour le remercier. Henri ferme la porte derrière eux.
Fernand est maintenant assis sur sa chaise, tout près du lit de
Louis.
MONSIEUR FERNAND
Bon alors ? Qu'est ce qui se passe, Louis ?
Louis parle lentement, avec une certaine fatigue dans la voix.
LOUIS
Je suis revenu pour caner ici et pour me faire enterrer à
Pantin avec mes viocs. Les Amériques, c'est chouette pour
prendre du carbure, on peut y vivre aussi à la rigueur,
mais question de laisser ses os, hein... y a que la France.
Fernand allume une cigarette.
LOUIS
Et je décambute bêtement, et je laisse une mouchette à la
traîne, Patricia, c'est d'elle que je voudrais que tu
t'occupes.
Fernand a l'air surpris par la dernière phrase de son ami.
MONSIEUR FERNAND
Et ben dis donc, t'en as de bonnes toi !
LOUIS
T'as connu sa mère, Suzanne « beau sourire » ?
MONSIEUR FERNAND
T'es marrant, dis donc, c'est plutôt toi qui l'a connue.
LOUIS
Au point de vue oseille, je te laisse de quoi faire ce
qu'il faut pour la petite. J'ai des affaires qui tournent
toutes seules. Maître Folace, mon notaire, t'expliquera.
Bah, tu sais combien ça laisse une roulette, soixante pour
cent de velours.
Fernand se lève.
MONSIEUR FERNAND
Et sur le plan des emmerdements, trente-six fois la mise,
hein ?
Il se dirige vers une petite table basse pour récupérer un
cendrier.
MONSIEUR FERNAND
Ah, écoute Louis, ta môme, tes affaires, tout ça c'est bien
gentil mais... Moi aussi, j'ai mes affaires, tu comprends ?
Et les miennes en plus, elles sont légales.
Fernand s'est rassis sur sa chaise.
LOUIS
Ouais, j'ai compris, les potes, c'est quand tout va bien.
MONSIEUR FERNAND
Ça va pas toi, dis ? Hein ? J'ai pas dis ça, hein !
Fernand a haussé le ton.
LOUIS
Non, non, t'as pas dis ça, t'as pas dis ça, mais... tu
livrerais ma petite Patricia aux vautours. Oh, mon petit
ange...
La voix de Louis se fait pleurnicharde.
MONSIEUR FERNAND
Ton petit ange, ton petit ange, hein ?
Fernand se lève et marche de long en large dans la pièce.
LOUIS
Oui, oh, maintenant que t'es dans « l'honnête », tu peux
pas savoir le nombre de malfaisants qu'il existe, le monde
en est plein. Ils vont me la mettre sur la paille, ma
petite fille. On va la dépouiller et on va tout lui
prendre. Je l'avais faite élever chez les soeurs, apprendre
l'anglais enfin... tout. Résultat : elle finira au tapin,
et ce sera de ta faute. Hein, t'entends ? Ce sera de ta
faute.
La voix de Louis est de plus en plus pleurnicharde, presque
geignarde à la fin.
MONSIEUR FERNAND
Écoute, arrête un peu, hein ? Depuis plus de vingt piges
que je te connais, je te l'ai vu faire cent fois ton
guignol, alors hein ? Et à propos de tout, de cigarettes,
de came, de nanas, la jérémiade, ça toujours été ton truc à
toi. Et une fois je t'ai même vu chialer, alors tu vas pas
me servir ça à moi, non ?
Fernand s'est énervé au fur et à mesure qu'il parlait, et il
termine presque en colère.
LOUIS
Si ! Ben, tu te rends pas compte, saligaud, qu'elle va
perdre son père, Patricia, que je vais mourir ?
MONSIEUR FERNAND
Je te connais, t'en est capable. Voilà dix ans que t'es
barré, tu reviens et je laisse tout tomber pour te voir et
c'est pour entendre ça ? Et moi comme une pomme...
On frappe à la porte. Fernand s'arrête net de parler et se tourne
vers la porte.
Louis a soudain l'air un peu inquiet. On frappe de nouveau, mais
d'une façon un peu codé. Louis plonge les deux mains sous ses
draps, puis il fait un signe d'acquiescement à Fernand.
Fernand se tourne vers la porte.
MONSIEUR FERNAND
Entrez !
La porte s'ouvre. Pascal, le veston sur l'épaule, entre le
premier, suivi d'Henri, puis de Raoul Volfoni, que nous avons déjà
vu dans la salle de bowling. Derrière, entre un homme au type un
peu allemand et au regard inquiétant. Il s'agit de Théo, qui est
suivi de son « ami », car Théo est homosexuel. Paul Volfoni, le
frère de Raoul, ferme la marche.
Fernand regarde les nouveaux arrivants d'un oeil interrogateur, et
pas vraiment aimable. Il s'assoit sur une commode.
Ils se rapprochent tous du lit de Louis, qui a toujours les mains
sous ses draps. Louis tourne la tête vers Théo.
LOUIS
Ben dis donc, Théo, t'aurais pu monter tout seul ?
THÉO
Si sa présence doit vous donner de la fièvre...
LOUIS
Oui, chez moi, quand les hommes parlent, les gonzesses se
taillent.
L'ami de Théo se penche vers lui.
L'AMI DE THÉO (chuchotant)
Je t'attends en bas.
THÉO (CHUCHOTANT)
A tout de suite...
L'ami se dirige vers la porte et sort, sous le regard de Pascal,
qui monte la garde près de la porte. Il a remis sa veste, mais sa
main est posé, à travers la veste, sur son arme.
Louis est assis dans son lit, calé sur ses oreillers, les mains
toujours glissé sous les draps. Dans le miroir derrière lui, on
peut voir tous ses « visiteurs », alignés au pied du lit.
LOUIS
Voilà... je serai bref. Je viens de céder mes parts à
Fernand ici présent. C'est lui qui me succède.
Dans le miroir, on voit Fernand qui a un petit mouvement de
surprise.
Raoul se rapproche du lit.
RAOUL VOLFONI
Mais... tu m'avais promis de m'en parler en premier !
Retour sur Louis allongé dans son lit.
LOUIS
Exact ! J'aurais pu aussi organiser un référendum, mais
j'ai préféré faire comme ça. Pas d'objections ? Parce que
moi, j'ai rien d'autre à dire.
Les frères Volfoni se regardent. On sent Raoul près à émettre une
« objection », mais il croise le regard, et surtout le sourire
narquois, de Pascal, planté près de la porte, et il comprend que
son « objection » sera mal reçue !
Retour sur Louis sur son lit.
LOUIS
Je crois que tout est en ordre... Non ?...
Raoul sort le premier, suivi de son frère et de Théo.
Henri tape sur l'épaule de Fernand, qui semble avoir quand même un
peu de mal à digérer la décision inattendue de Louis.
Henri sort de la pièce, suivi de Pascal, qui lui sourit.
Gros plans sur le visage de Louis, couché sur ses oreillers. Il
semble soudain très mal en point. Il chuchote :
LOUIS
Pascal... Pascal...
Fernand, perdu dans ses pensées, se redresse, le visage inquiet.
MONSIEUR FERNAND
Oh Louis !...
Il se rapproche du lit, et secoue son ami.
MONSIEUR FERNAND
Ben Louis ? Louis, quoi merde !... Louis...
Il se tourne vers la porte et appelle :
MONSIEUR FERNAND
Pascal !...
Pascal entre dans la chambre, et, voyant la scène, ferme la porte
et se précipite vers le lit.
Louis a la voix très affaiblie.
LOUIS
Je ne vais plus pourvoir tenir longtemps.
MONSIEUR FERNAND
Déconne pas, Louis !
LOUIS
Tu sais de quoi je parle.
MONSIEUR FERNAND
Tu veux pas que je t'ouvre la fenêtre un petit peu ? Hein ?
Merde !...
Il se dirige vers la fenêtre, Pascal reste près du lit.
Fernand tire les rideaux. Le jour commence à poindre.
MONSIEUR FERNAND
Tu vois ?... Regarde, il fait jour.
Pascal a posé sa main sur le front de Louis.
LOUIS
Ouais... D'ici... On voit que le ciel ! Mais je m'en fous
du ciel...
Pascal ouvre les draps pour prendre le pistolet que Louis tient
toujours serré dans sa main. Il le pose sur la couverture.
LOUIS
J'y serai dans peu de temps.
Pascal récupère le pistolet serré dans l'autre main de Louis.
LOUIS
Non, ce qui m'intéresse... C'est la rue.
Pascal remet le drap en place sur le torse de Louis.
Gros plan sur le visage en sueur de Louis.
LOUIS
Et ils m'ont filé directement de l'avion dans
l'ambulance... J'ai rien pu voir. Dis donc, ça a dû
drôlement changer, hein ?
Pascal a remis sa main sur le front de Louis.
Fernand est devant la fenêtre, mais lui tourne le dos.
MONSIEUR FERNAND
Tu sais, pas... pas tellement quoi !
Retour sur le gros plan du visage de Louis. La main de Pascal est
toujours sur son front et l'autre main masse la poitrine de Louis,
dont, la voix est de plus en plus faible.
LOUIS
Raconte quand même !
Fernand tourne légèrement la tête vers la fenêtre, mais ne regarde
pas vraiment la rue, et invente en fait ce qu'il raconte. Il a
l'air assez ému.
MONSIEUR FERNAND
Et ben... C'est un petit matin comme tu les aimes... Comme
on les aimait quoi...
PARIS - CHAMPS-ÉLYSÉES - EXTÉRIEUR AUBE
Le jour se lève à peine sur les Champs, qui sont encore déserts.
Mais les lampadaires sont déjà éteints.
MONSIEUR FERNAND (voix off)
Les filles sortent du Lido, tiens ! Pareil qu'avant. Tu te
souviens ? C'est à cette heure-là qu'on emballait.
La caméra remonte lentement vers le ciel.
Fondu enchaîné.
BOWLING - INTÉRIEUR JOUR
Fernand est debout devant le guichet de réception. Il a son
manteau sur le bras. Derrière lui, Théo, dans une alcôve réservé
au téléphone public, termine une conversation téléphonique et
tient toujours le combiné dans sa main. Son ami est appuyé sur la
cloison de l'alcôve.
MONSIEUR FERNAND
Si un jour on m'avait dit qu'il mourrait dans son lit
celui-là !
Théo jongle avec le combiné et le raccroche.
THÉO
« Das Leben eines Man ist zwischen Himmel und Erde vergegen
der Sprung eines jungen weißes Fohlen über einen Graben...
ein Blitz... pfft...
Théo éteint la lumière de l'alcôve. Fernand s'est tourné vers lui,
et l'écoute sans comprendre ce qu'il raconte.
THÉO
es ist verbeit... »
Traduction de ce que vient de dire Théo : « La vie d'un
homme entre ciel et terre passe comme le saut d'un poulain
blanc franchissant un fossé... un éclair... et c'est
fait... »
Il sort de l'alcôve, et prend un paquet de cigarette dans la poche
intérieure de sa veste. Son ami s'est éloigné.
THÉO
Chine, quatrième siècle avant Jésus Christ.
Il sort une cigarette du paquet.
Henri est assis devant les pistes de Bowling, à côté de la table
sur laquelle sont toujours étalées les cartes à jouer.
HENRI
On nait... On vit... On trépasse...
Paul Volfoni s'approche du bar, une chope de bière à la main.
Derrière le bar, son frère, Raoul.
PAUL VOLFONI
C'est comme ça pour tout le monde.
RAOUL VOLFONI
Pas forcement ! Enfin, je veux dire, on meurt pas forcement
dans son lit !
Il regarde Fernand qui passe le long du bar. Fernand s'est arrêté
de marcher aux dernières paroles de Raoul.
RAOUL VOLFONI
Ben voyons !
Paul se tourne légèrement vers Fernand, puis regarde son frère en
souriant. Il donne un élan à sa chope de bière, qui glisse sur
toute la longueur du bar, et vient s'écraser sur d'autres verres.
Fernand s'approche d'Henri. Il regarde Paul qui s'éloigne le long
du bar pour aller se chercher une autre bière. Il se tourne vers
Henri en se frottant les yeux.
MONSIEUR FERNAND
Dis donc, je tiens plus en l'air, moi. T'aurais pas une
bricole à grignoter, là.
HENRI
Bien sûr.
Il se lève. Fernand avise un paquet de cigarettes sur la table au
milieu des cartes.
MONSIEUR FERNAND
C'est à toi, ça ?
HENRI
Sers-toi !
Henri passe derrière le bar. Paul revient s'installer devant son
frère avec une bière fraîche. Fernand prend une cigarette dans le
paquet, et s'installe à une autre table. Il pose son manteau sur
un fauteuil, et s'assoit dans une autre fauteuil.
Raoul est toujours derrière le bar, et son frère en face de lui.
RAOUL VOLFONI
Y a vingt piges, le Mexicain, tout le monde l'aurait donné
à cent contre un, flingué à la surprise, mais cet homme-là,
ce qui l'a sauvé, c'est sa psychologie.
Il s'éloigne de l'autre côté du bar. Paul reste à sa place et se
tourne vers Fernand.
PAUL VOLFONI
Tout le monde est pas forcement aussi doué.
Pascal vient d'entrer dans la salle et se plante devant Théo, qui
est toujours appuyé sur la cloison de l'alcôve téléphonique.
PASCAL
La psychologie, y en a qu'une, défourailler le premier !
Il s'éloigne. Théo, la cigarette au bec, ricane.
THÉO
C'est un peu sommaire, mais ça peut être efficace.
Raoul, un verre à la main, s'avance vers la table de Fernand.
RAOUL VOLFONI
Et le Mexicain, ça été une épée, un cador. Moi je suis
objectif, on parlera encore de lui dans cent ans.
Seulement, faut bien reconnaître qu'il avait décliné,
surtout de la tête.
Il pose son verre sur la table de Fernand. Fernand prend le verre
de Raoul et le pose sur la table voisine. Raoul se tourne vers le
bar.
Son frère Paul continue à boire sa bière, accoudé au bar.
PAUL VOLFONI
C'est vrai que sur la fin, il disait un peu n'importe quoi.
Il avait comme des vapes, des caprices d'enfants.
Henri apporte une assiette pleine, une demi-baguette de pain, un
verre et une bouteille de vin qu'il pose sur la table devant
Fernand.
MONSIEUR FERNAND
Merci Henri.
Il se sert un verre de vin.
RAOUL VOLFONI
Enfin, toi qu'y a causé en dernier, t'as sûrement
remarqué ?
MONSIEUR FERNAND
Remarqué quoi ?
RAOUL VOLFONI
T'as quand même pas pris au sérieux cette histoire de
succession ?
Fernand boit un peu de vin.
MONSIEUR FERNAND
Pourquoi ? Fallait pas ? Ben, j'ai eu tort.
RAOUL VOLFONI
Ah ! Et voilà !
Paul se rapproche de son frère.
PAUL VOLFONI
Tu vois Raoul, c'était pas la peine de s'énerver, monsieur
convient.
Raoul s'assoit en face de Fernand, qui beurre un morceau de pain.
On entend un téléphone sonner. Henri s'approche du bar pour
décrocher le téléphone posé dessus.
RAOUL VOLFONI
Y en a qui abuseraient de la situation, mais mon frère et
moi, c'est pas notre genre. Qu'est ce qu'on peut faire qui
t'obligerait ?
Fernand mange son morceau de pain beurré. Au bar, Henri répond au
téléphone.
MONSIEUR FERNAND
Décarrer d'ici. J'ai promis à mon pote de m'occuper de ses
affaires. Puisque je vous dis que j'ai eu tort, là.
Seulement tort ou pas tort, maintenant, c'est moi le
patron. Voilà.
Henri met la main sur le micro du combiné et se tourne vers les
pistes où Pascal, en chemise, est en train de jouer.
HENRI
Pascal !
Pascal se retourne. Fernand et les Volfoni regardent dans la
direction d'Henri.
PASCAL
Oui ?
Henri lui fait signe de venir au téléphone.
Assis à une table,juste au bord des pistes, donc en contrebas par
rapport à celle de Fernand, Théo est en train de se raser avec un
rasoir sans fil, en se regardant dans un petit miroir. Son ami,
qui jouait au bowling, vient de s'assoir à côté de lui. Pascal,
venant des pistes, passe derrière Théo. L'ami de Théo regarde
Pascal s'éloigner.
Paul est toujours debout près de la table de Fernand.
PAUL VOLFONI
Écoute, on te connaît pas. Mais laisse-nous te dire que tu
te prépares des nuits blanches, des migraines, des
« nervousses brékdones », comme on dit de nos jours.
Derrière Paul, Henri se rapproche de la table, et fait un signe
discret à Fernand.
Fernand ramasse son manteau et se lève lentement de table.
MONSIEUR FERNAND
J'ai une santé de fer. Voilà quinze ans que je vis à la
campagne, que je me couche avec le soleil, et que je me
lève avec les poules.
Il ramasse un morceau de pain dans l'assiette.
Théo est toujours en train de se raser avec son petit rasoir de
voyage.
Fernand ramasse le paquet de cigarettes, et se dirige vers le bar.
Derrière lui, au bord des pistes, Théo s'est retourné pour le
regarder. Il se lève, son rasoir toujours allumé à la main, et
s'éloigne. Son ami le suit.
Devant le bar, Henri explique la situation à Fernand.
HENRI
Y a du suif chez Tomate. Trois voyous qui chahutent la
partie. Les croupiers ont les foies pour la caisse, ils
demandent de l'aide.
Derrière eux, Pascal, qui a remis sa veste, déballe un pistolet
d'un emballage de papier blanc.
MONSIEUR FERNAND
Ça arrive souvent ?
En contrebas, au bord d'une table, Théo souffle dans son rasoir
pour le nettoyer.
THÉO
Jamais !
PASCAL
Ça doit pouvoir se régler à l'amiable.
Il introduit le pistolet dans le holster sous sa veste.
HENRI
Si tu tiens à regagner ta province rapido, t'auras intérêt
à aller voir, ce serait toujours ça de gagner, c'est sur
ton chemin.
Derrière eux, Théo, qui est remonté du bord des pistes, se
rapproche d'eux, et s'assoit à une table.
Fernand tourne légèrement la tête vers les Volfoni. Raoul est
toujours assis à la table que vient de quitter Fernand, Paul
debout derrière lui. Fernand fait un petit signe discret à Henri.
HENRI
Oh ! Les Volfoni. T'inquiètes pas !
Théo réajuste sa cravate.
THÉO
« La bave du crapaud n'empêche pas la caravane de passer ».
Henri hausse les épaules, passe devant Fernand et lui tapote
légèrement l'épaule.
HENRI
Tchiao !
Fernand le regarde s'éloigner en finissant de manger son pain. Il
se tourne vers Pascal.
MONSIEUR FERNAND
Dis donc, ça te gêne pas qu'on y aille ensemble ?
PASCAL
C'est pas que vous gênez, Monsieur Fernand, mais je ne sais
pas si ça va bien vous plaire ?
MONSIEUR FERNAND
Et ben ça, je te le dirais !
Derrière Fernand, Henri, debout les mains dans les poches, discute
avec Raoul.
Fernand et Pascal se dirigent vers la sortie du bowling. Avant de
partir, Fernand a un dernier regard vers Théo, qui le regarde
partir, les bras croisés. L'ami de Théo remonte du bord des pistes
et rejoint Théo
L'AMI DE THÉO (chuchotant)
A ton avis, c'est un faux caïd ou un vrai branque ?
THÉO
Pour moi, c'est rien du tout. Un coup de téléphone, et dix
minutes après... Il existe plus.
PARIS - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
La voiture de Pascal roule dans Paris. Pascal est au volant,
Fernand est assis à côté de lui. La voiture s'arrête, un peu
brutalement, à un feu rouge.
Plan rapproché sur le pare-brise. On voit Fernand qui se frotte la
joue.
PASCAL
J'admets qu'ils ont l'air de deux branques, mais je n'irais
pas jusqu'à m'y fier, non ? C'est quand même des
spécialistes. Le jeu, ils ont toujours été là-dedans, les
Volfoni brothers, à Naples, à Las Vegas, partout où il y a
des jetons à la clé, ils tenaient les râteaux, hein ?
MONSIEUR FERNAND
Mais... l'autre, là ? Le... le coquet ?
PASCAL
L'ami Fritz ?
MONSIEUR FERNAND
Hmm.
PASCAL
Il s'occupe de la distillerie clandestine.
MONSIEUR FERNAND
C'est quand même marrant, les évolutions. Quand je l'ai
connu le Mexicain, il recrutait pas chez tonton.
PASCAL
Vous savez ce que c'est, non ? L'âge, l'éloignement. A la
fin de sa vie, il s'était penché sur le reclassement des
légionnaires.
MONSIEUR FERNAND
Ah ! Si c'était une oeuvre, alors là !... Là, c'est autre
chose.
Le feu repasse au vert. La voiture redémarre.
Fondu enchaîné.
VOITURE PASCAL - INTÉRIEUR JOUR
La voiture roule très lentement. A travers les vitres, on aperçoit
une sorte de ferme, au milieu d'un terrain en friche. Une échelle
est appuyé contre le mur de la ferme et atteint l'une des fenêtres
du premier étage.
PASCAL
Voilà, ici c'est chez Tomate.
CHEZ TOMATE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché sur la voiture, côté conducteur.
MONSIEUR FERNAND
Je m'attendais à quelque chose de plus important, mais
c'est un clapier !
Pascal ouvre la porte de la voiture, et sort.
PASCAL
D'après Tomate, ce qui passionne le joueur, c'est le tapis
vert.
Fernand sort à son tour de la voiture.
PASCAL
Ce qui il y a autour, il s'en fout, il voit même pas.
Soudain, Pascal semble en alerte.
PASCAL
Planque toi !
Il s'accroupit derrière la voiture. Fernand contourne la voiture
et s'accroupit derrière la calandre.
Une grosse voiture américaine noire arrive sur le chemin qui mène
à la « ferme ». Elle roule lentement.
Plan rapproché sur la voiture. Les vitres sont ouvertes. En plus
du conducteur, un passager est assis à l'arrière et tient une
grosse mitraillette, dans le style de celles utilisées par les
gangsters de Chicago à l'époque de la prohibition.
Fernand contourne la voiture de Pascal pour mieux se cacher. On
entend la mitraillette tirer.
Plan rapproché sur l'américaine et le tireur de mitraillette en
action.
Fernand court au milieu des voitures garées autour de lui.
A travers le pare-brise de l'une de ces voitures, on voit la tête
de Fernand qui émerge lentement de l'autre côté de la voiture.
La voiture américaine s'éloigne de la « ferme ».
La tête de Fernand sort prudemment de derrière la voiture qui lui
sert de refuge.
La voiture américaine fait demi-tour et revient vers la « ferme ».
Fernand court entre les voitures garées sur le parking improvisé,
et va se cachet derrière un arbre. Derrière lui, l'arme à la main,
Pascal sort en courant de derrière sa propre voiture.
Il s'accroupit devant une Deux Chevaux Citroën.
La voiture américaine revient. Au premier plan, derrière la Deux
Chevaux, on aperçoit l'extrémité du canon silencieux du pistolet
de Pascal.
L'homme à la mitraillette a passé la tête par la vitre arrière de
la voiture américaine et vise vers Pascal et Fernand.
Le pistolet de Pascal est dirigé vers la voiture américaine. On
entend les deux « plop » caractéristiques du tir avec un
silencieux.
La vitre de l'une des voitures garées vole en éclats.
Le tireur à la mitraillette tire en direction de Pascal.
D'autres vitres de voiture volent en éclats.
Pascal se redresse et tire.
Le tireur à la mitraillette lâche son arme et fait une grimace de
douleur. La voiture continue à rouler.
Pascal tire de nouveau.
Le conducteur de l'américaine s'écroule derrière son volant.
Gros plan sur la roue avant de l'américaine, qui pivote.
Gros plan sur le pied du conducteur, coincé sur l'accélérateur.
A travers le pare-brise de l'américaine, on voit les buissons qui
se rapprochent.
Gros plans rapides et successifs sur le conducteur mort, qui tient
toujours son volant, sur la roue avant, qui pivote dans tous les
sens, enfin sur la calandre de la voiture, qui part en tonneau.
La voiture américaine se retourne et se retrouve sur le toit. La
portière s'ouvre sous le choc. Un chien aboie.
Fernand et Pascal observent la scène. Pascal a toujours son
pistolet à la main.
PASCAL
A l'affût sous les arbres, ils auraient eu leur chance.
Pascal commence à dévisser tranquillement le silencieux de son
pistolet, sous le regard intrigué de Fernand.
PASCAL
Seulement, de nos jours, il y a de moins en moins de
techniciens pour le combat à pied, l'esprit fantassin
n'existe plus.
Il souffle dans le silencieux de son pistolet.
PASCAL
C'est un tort.
Ils se mettent en marche vers la « ferme ».
Ils passent devant la voiture retournée sur le toit.
MONSIEUR FERNAND
Et c'est le scénario de qui, d'après toi... les Volfoni ?
PASCAL
Ce serait assez dans leurs sales manières.
Il s'arrête de marcher et retient Fernand par la manche.
PASCAL
Monsieur Fernand... Je serais d'avis qu'on aborde molo, des
fois qu'on serait encore attendu...
Fernand se remet en marche. Pascal le retient de nouveau.
PASCAL
Mais, sans vous commander, si vous restiez un peu en
retrait... Hein ?
Pascal passe devant. Fernand le regarde s'éloigner, un peu
inquiet.
MONSIEUR FERNAND
Ouais, n'empêche qu'à la retraite de Russie, c'est les mecs
qu'étaient à la traîne qu'ont été repassés.
Il suit Pascal vers la ferme.
CASINO TOMATE - INTÉRIEUR JOUR
Nous sommes au sous-sol de la « ferme ». Le chien aboie toujours.
Une porte s'ouvre et Tomate apparaît. Il est en chemise ouverte et
en veste de toile.
TOMATE
C'est toi qui fais tout ce foin ?
Pascal est debout devant l'escalier de descente, Fernand derrière
lui.
PASCAL
Je m'excuse. Monsieur Fernand, le nouveau taulier.
TOMATE
J'étais pas au courant.
PASCAL
Comme ça, tu l'es !
Il entre dans la pièce, suivi de Fernand, que Tomate dévisage.
TOMATE
Je suis Tomate, le gérant de la partie.
MONSIEUR FERNAND
Bonjour.
TOMATE
Enchanté, mais qu'est-ce que c'était que cette fusillade ?
On ne se serait pas permis de vous flinguer sur le
domaine ?
La pièce, dans laquelle ils viennent d'entrer, est visiblement la
chaufferie, avec une grosse chaudière qui trône au milieu de la
pièce. Derrière la chaudière, Freddy, « l'homme à tout faire » de
Tomate.
MONSIEUR FERNAND
Et ben, on s'est permis.
Pascal inspecte les bouteilles rangées sur des étagères sur le mur
au fond de la pièce, devant un petit bar, sur lequel est posé un
téléphone. Fernand passe devant Freddy et le dévisage longuement.
Derrière la chaudière, une longue table entourée de chaises.
Pascal a ramassé des dés à jouer sur la table, et les fait jongler
dans sa main.
PASCAL
Tomate ?
TOMATE
Oui ?
PASCAL
Tu devrais envoyer Freddy faire un tour. Y a une charrette
dans le parc avec deux gars dedans, ça fait désordre...
Tomate fait signe à Freddy d'aller exécuter les ordres de Pascal.
Freddy sort de la pièce
PASCAL
Où sont les autres ?
TOMATE
Quels autres ?
PASCAL
Les mecs qui faisaient du scandale.
TOMATE
Du scandale ici ? Mais j'aimerais comprendre.
PASCAL
Moi aussi.
MONSIEUR FERNAND
Comment ? Mais c'est pas vous qui avez téléphoné ?
TOMATE
La nuit était tout ce qu'il y a de normal.
PASCAL
Qu'est ce que c'est que cette embrouille ?
Fernand se dirige vers le téléphone.
MONSIEUR FERNAND
Le numéro d'Henri ?
PASCAL
Balzac quarante-quatre, zéro cinq.
Fernand prend le téléphone du bar et commence à composer le
numéro. Pascal continue à jongler avec les dés.
BOWLING - INTÉRIEUR NUIT
Le téléphone sonne sur le bar. Derrière la main qui décroche, on
peut voir un agent de police en uniforme, avec képi et bâton
blanc, et un type en imperméable et chapeau de feutre, qui est
visiblement un inspecteur de police.
Henri est allongé par terre devant le bar, le corps entouré d'une
marque à la craie. Il a perdu un de ses chaussons, posé à côté de
son pied en chaussette, et lui aussi entouré d'un trait de craie.
Il est entouré d'inspecteurs en civil et d'agents de police en
uniforme. Un inspecteur le photographie. On entend la voix off de
Fernand, qui commente les évènements.
MONSIEUR FERNAND (voix off)
Maintenant, Henri, y peut plus expliquer les choses... à
personne... Trois morts subites en moins d'une demi-heure.
Ah ! ça part sévère, les droits de succession.
MANOIR DU MEXICAIN - EXTÉRIEUR JOUR
La 404 de Fernand est garée devant un coquet petit manoir du XVIII°
siècle, situé au milieu d'un parc boisé.
Pascal et Fernand viennent visiblement de quitter la voiture.
Pascal précède Fernand et porte sa valise et un cintre sur lequel
est pendu un costume sombre. Fernand porte son manteau sur
l'épaule.
Ils montent les marches du perron de l'entrée principale.
PASCAL
Le Mexicain l'avait achetée en viager à un procureur à la
retraite.
Pascal sonne à la porte.
PASCAL
Après trois mois... l'accident bête... Une affaire !
La porte s'ouvre. Pascal s'efface pour laisser entrer Fernand.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR JOUR
Le vestibule, comme le reste du manoir d'ailleurs, est meublé en
meubles anciens, qui semblent tous authentiques.
La porte d'entrée est maintenue ouverte par Jean, le maître
d'hôtel. Il porte pantalon noir, veste blanche, chemise blanche et
cravate noire.
Fernand entre le premier, suivi de Pascal. Fernand regarde autour
de lui. Derrière son dos, Jean fait un signe discret à Pascal, qui
lui répond par un autre signe affirmatif.
JEAN
Welcome sir, my name is John !
(Traduction : Bienvenue, monsieur, je m'appelle Jean)
Fernand regarde Pascal d'un oeil interrogateur pendant que Jean
referme la porte. Pascal hausse légèrement les épaules et fait une
petite moue, qui signifie « sans importance », puis il s'éloigne
avec la valise, qu'il dépose au pied de l'escalier. Il jette
négligemment la veste sur la rampe en bois ouvragé. Fernand
récupère sa veste, la secoue et l'accroche sur la rampe par le
cintre. Jean, qui l'a suivi, lui indique le chemin à suivre.
JEAN
Please...
(Traduction : S'il vous plait)
MANOIR DU MEXICAIN - CUISINE - INTÉRIEUR JOUR
Maître Folace est assis, en robe de chambre sur son pyjama, devant
la table, terminant son petit déjeuner. Pascal est debout devant
lui.
PASCAL
Il est mort, il y a deux heures.
On découvre la table, sur lequel il y a un jeu d'échec, avec un
livre sur les échecs ouvert devant Folace, qui termine son verre,
et fume une cigarette, fichée dans un fume-cigarette. A côté des
échecs, plusieurs bouteilles de Champagne vide.
PASCAL
On aurait pu être là plus tôt, mais on a été retardé. Des
espèces de contestation. Et puis... Henri s'est fait
descendre.
MAITRE FOLACE
Les Volfoni ?
Pascal écarte les bras et fait une moue signifiant « je n'en sais
rien ».
MAITRE FOLACE
Quand le lion est mort, les chacals se disputent l'empire.
Enfin, on ne peut pas demander plus aux Volfoni qu'aux fils
de Charlemagne.
Fernand vient d'entrer, une cigarette au bec. Folace se lève.
MAITRE FOLACE
Ah ! Maître Folace, notaire.
Fernand et Folace se serrent la main.
MONSIEUR FERNAND
Bonjour monsieur.
MAITRE FOLACE
Heureux de vous accueillir, j'aurais préféré, bien sûr, que
ce soit dans d'autres circonstances. Votre chambre est
prête, le Mexicain avait donné des ordres.
MONSIEUR FERNAND
Et bien, vous êtes gentil, je vous remercie, mais... ce qui
m'arrangerait surtout, c'est si on pouvait régler nos
affaires dans la journée, quoi...
Folace marque un temps et revient lentement vers la table.
MAITRE FOLACE
Vous étiez l'ami de Louis depuis longtemps ?
Il se rassoit à sa place derrière la table.
MONSIEUR FERNAND
Depuis toujours.
Jean, qui vient d'entrer dans la pièce, tend un briquet allumé à
Fernand.
JEAN
Mademoiselle va avoir du chagrin.
Maître Folace s'est servi un café à partir du percolateur en verre
posé devant lui.
MAITRE FOLACE
Ah non... Stop... Sujet interdit ! Attention messieurs, pas
de fausses notes, la volonté du défunt est formelle : pour
Patricia, le plus longtemps possible, son papa se porte
comme un charme. Il joue les centaures quelque part dans
les sierras Mexicaines, mal desservies par la poste, ce qui
explique son silence.
Pascal pose la main sur l'épaule de Folace.
PASCAL
Bon, je dois partir. Maître Folace sait toujours où me
joindre, j'habite chez ma mère.
Fernand et Pascal se serrent la main.
MONSIEUR FERNAND
Oui merci, hein !
Pascal sort. Fernand enlève sa veste.
MAITRE FOLACE
Je suis bien content que vous soyez là, vous savez. Parce
que moi, avec la petite, j'y arrive plus. C'est peut être
parce que je la connais depuis trop longtemps. Pensez,
c'est moi qui l'aie tenu sur les fonts baptismaux, alors...
Fernand a posé sa veste sur une chaise, et il retrousse ses
manches. Jean se rapproche de la table et verse du café dans une
tasse.
JEAN
Y avait une belle cérémonie, mademoiselle était déjà
ravissante.
MAÎTRE FOLACE
Dites-moi, mon ami, si vous montiez les bagages de Monsieur
Naudin ?
Jean se met au garde-à-vous, et crie :
JEAN
Yes sir !
(Traduction : Oui, monsieur)
Fernand sursaute.
Jean sort de la pièce. Folace fait un petit signe muet à Fernand.
MONSIEUR FERNAND
Dites moi, si ça vous fait rien, j'aimerais bien qu'on
aborde un petit peu les choses sérieuses. Parce que... les
caprices d'une gamine c'est bien beau, ça, mais faut quand
même pas s'en faire pour ça non, on est bien d'accord ?
Folace a repris son fume-cigarette.
MAITRE FOLACE
Ah mais moi, je ne m'en fais pas, je ne m'en fais plus.
Maintenant que vous êtes là, c'est vous que ça regarde.
MONSIEUR FERNAND
Comment ça, moi ?
MAITRE FOLACE
Eh ben ? Vous avez accepté de vous occuper d'elle, non ?
MONSIEUR FERNAND
Ben oui.
Folace soulève sa tasse de café.
MAITRE FOLACE
A la bonne votre, mon cher. Vous allez connaître tout ce
que j'ai connu : les visites aux directrices, les mots
d'excuses, les billets de renvoi...
MONSIEUR FERNAND
Vous allez quand même pas dire que mademoiselle Patricia
s'est fait éjecter, non ?
Il se lave les mains dans l'évier.
MAITRE FOLACE
Ah ! De partout, mon cher.
Il se lève, prend un toast sur la table, le renifle, prend un air
un peu dégoûté, et jette le toast en l'air.
MAITRE FOLACE
Mademoiselle n'a jamais tenu plus de six mois. Juste le
temps d'user les patiences. Oui, vraiment, je suis content
que vous soyez là.
Fernand coupe le robinet et se secoue les mains. Puis il prend un
torchon pour se les essuyer.
MONSIEUR FERNAND
Oui, mais pas pour longtemps, parce que ça va changer, et
vite, hein, c'est moi qui vous le dit. La boite que je vais
lui trouver, va falloir qu'elle y reste, croyez moi ! Ou
sinon, je vais la filer chez les vraies soeurs, les vraies,
la pension au bagne avec le réveil au clairon et tout le
toutim, non mais sans blague ?
Il jette son torchon d'un geste rageur.
MAITRE FOLACE
Et bien, faut le lui dire à elle.
Fernand remet sa veste.
MONSIEUR FERNAND
Oh mais, je vais lui dire, et puis tout de suite. Où est-
elle ?
MAITRE FOLACE
Elle dort. Elle a organisé une petite sauterie qui nous a
entraîné jusqu'à trois heures du matin.
Fernand exécute une légère courbette de surprise. Jean entre dans
la pièce.
JEAN
Your room is ready sir !
(Traduction : Votre chambre est prête, monsieur)
MAITRE FOLACE
Il veut dire que votre chambre est prête.
Jean ressort de la cuisine.
MONSIEUR FERNAND
Ah bon. Dites donc, il picole pas un peu, votre British ?
MAITRE FOLACE
Oh la la ! Et puis il est pas plus British que vous et moi.
C'est une découverte du Mexicain.
Les deux hommes se dirigent vers la porte de la cuisine.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR JOUR
Les deux hommes sortent de la cuisine et longent l'escalier.
MONSIEUR FERNAND
Il l'a trouvé où ?
MAITRE FOLACE
Ici, il l'a même trouvé devant son coffre-fort. Y a dix-
sept ans de ça. Avant d'échouer devant l'argenterie, l'ami
Jean avait fracturé la commode louis XV.
Folace commence à monter l'escalier, suivi de Fernand.
MAITRE FOLACE
Le Mexicain lui est tombé dessus juste au moment où
l'artiste allait attaquer les blindages au chalumeau.
MONSIEUR FERNAND
Et bien, je vois d'ici la petite scène.
MAITRE FOLACE
Vu ses principes, le patron pouvait pas le donner à la
police, ni accepter de régler lui-même les dégâts.
Ils viennent d'arriver sur le palier du premier étage.
MAITRE FOLACE
Résultat : Jean est resté ici trois mois au pair comme
larbin pour régler la petite note. Et puis, la vocation lui
est venue, le style aussi, peut-être également la sagesse.
Dans le fond, nourri, logé, blanchi, deux costumes par an,
pour un type qui passait la moitié de sa vie en prison...
MONSIEUR FERNAND
Il a choisi la liberté quoi !
Ils continuent vers le deuxième étage, sur le palier duquel Jean
les attend. Ils passent devant lui.
Fondu au noir.
MANOIR DU MEXICAIN - SALLE DE BAINS - INTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur l'évier. On voit la main de Fernand qui pose le
rasoir sur le rebord de l'évier, puis qui ouvre le robinet.
Zoom arrière. Avec ses deux mains, Fernand, qui est torse nu, ôte
le reliquat de mousse sur son visage. Puis il prend une serviette
de toilette pour s'essuyer.
Il relève la tête, et dans la glace de l'armoire de toilette au-
dessus du lavabo, on voit Patricia debout à l'entrée de la salle
de bains.
PATRICIA
Oh, c'est drôle, je vous voyais plus grand, plus bronzé,
mais c'est pas grave. Vous êtes bien l'oncle Fernand ?
MONSIEUR FERNAND
Ben... Oui.
PATRICIA
On pourrait peut être s'embrasser ? Ça se fait.
MONSIEUR FERNAND
Ah bon, ben alors... Si ça se fait, ben allons-y !
Ils se déposent mutuellement une bise sur chaque joue. Fernand
renfile sa veste de pyjama. Il avait, bien entendu, gardé sa
culotte de pyjama !
MONSIEUR FERNAND
Dis donc, heureusement que je viens de me raser, hein ?
Patricia porte une petite robe simple sans manche. Une broche de
pierreries (vraies ou fausses ?) est accrochée sur la robe. Elle
s'assoit sur le bord de la baignoire.
PATRICIA
Papa m'avait annoncé votre arrivée.
MONSIEUR FERNAND
Quand ça ?
PATRICIA
Dans sa dernière lettre, il y a bien un mois. Ça vous
étonne ?
MONSIEUR FERNAND
Euuuuh... Non... oh non !
PATRICIA
Y avait trois pages, rien que sur vous, vos aventures, vos
projets, sans compter tout ce que vous avez fait pour lui.
MONSIEUR FERNAND
Dis moi, tu sais, j'aimerais bien avoir un petit peu de thé
et du pain, du beurre et peut être des oeufs au bacon aussi,
hein ? Tu ne pourrais pas t'occuper de ça en bas ?
PATRICIA
Du thé à sept heures du soir ?
MONSIEUR FERNAND
C'est à dire qu'en ce moment, je suis un tantinet décalé
dans mes horaires... oui !
PATRICIA
Ah bon !
Elle va pour sortir, puis se ravise et se tourne vers lui.
PATRICIA
Oh ! Au fait, ça a du être quelque chose la fois où vous
l'avez sorti du fleuve ?
MONSIEUR FERNAND
Qui ça ?
Elle rentre dans la salle de bains.
PATRICIA
Ben, papa. Il m'annonçait dans sa lettre : « Fernand m'a
sorti d'un drôle de bain ». Ce qu'il a oublié de me dire,
c'est quel fleuve c'était ?
MONSIEUR FERNAND
Écoute, soit gentille, moi, je meurs de faim, alors va
t'occuper de mon petit en-cas, tu veux ? Hmm ?...
PATRICIA
Vous ne voulez pas me répondre ?
MONSIEUR FERNAND
Mais c'est pas que je veux pas, mais comment tu veux que je
m'en rappelle moi, hein ? La-bas des fleuves t'as que ça, à
droite, à gauche, devant, derrière, partout, et bourrés de
crocodiles en plus, voilà t'es contente maintenant ? Bon
alors maintenant va, et laisse-moi finir ma toilette, et
puis on parlera après, hein ? Parce que tu t'en doutes,
Patricia, faut quand même qu'on parle.
Il la raccompagne jusqu'à la porte.
PATRICIA
Oui, mon oncle.
Elle affiche un petit sourire un peu moqueur.
MONSIEUR FERNAND
Qu'on parle de choses sérieuses.
PATRICIA
Oui, Tonton. Ça ne vous ennuie pas que je vous appelle
Tonton ?
Elle sort. Fernand rentre dans la salle de bains, mais Patricia
réapparait à la porte.
PATRICIA
Vous en avez tué beaucoup ?...
Fernand se retourne lentement.
PATRICIA
Des crocodiles ?
Elle rentre dans la salle de bains.
PATRICIA
Et là-bas y a que ça, devant, derrière, à gauche, à droite,
partout ! Bon, eh bien, je vais m'occuper de votre thé.
Après avoir, tout en parlant, fait un tour complet autour de
Fernand, elle ressort, les mains croisées derrière le dos, avec
une fausse allure de petite fille bien sage.
Fernand regarde pensivement la glace de la salle de bains et se
masse la nuque.
Fondu enchaîné.
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR JOUR
Un salon richement meublé. Dans une vitrine, des miniatures
militaires napoléoniennes, visiblement d'époque et authentiques.
Folace, le fume-cigarette au bec, entraîne Fernand, habillé d'un
costume sombre vers le milieu de la pièce.
MAITRE FOLACE
Puisque la fermeté a l'air de vous réussir, je vais vous
donner l'occasion de vous distinguer.
MONSIEUR FERNAND
Mais à propos de quoi ?
MAITRE FOLACE
D'argent !... D'argent qui ne rentre pas. Depuis deux mois,
les Volfoni n'ont pas versé les redevances de la péniche.
Tomate a plus d'un mois de retard, et Théo etc...
Folace a ramassé des documents sur une table, et il les feuillète
sous le regard de Fernand.
MONSIEUR FERNAND
Mais qu'est ce que c'est ? Une révolte ?
MAITRE FOLACE
Non sire, une révolution !... Personne ne paie plus rien !
Il donne les documents à Fernand, qui les feuillète à son tour.
MONSIEUR FERNAND
Non mais, ces mecs-là auraient quand même pas la prétention
d'engourdir le pognon de ma nièce, non ?
MAITRE FOLACE
On dirait.
MONSIEUR FERNAND
Le Mexicain était au courant.
Folace tire les double-rideaux sur la fenêtre.
MAITRE FOLACE
Ah non, non, surtout pas ! C'était un homme à tirer au
hasard sans discernement, alors les ragots... dans la
presse, si c'était tombé sous les yeux de la petite, vous
voyez ça d'ici !
MONSIEUR FERNAND
Ouais, ce que je vois surtout, c'est que si on doit arriver
à flinguer, vous préférez que ce soit moi qui m'en charge,
hein, c'est ça ?
MAITRE FOLACE
Un tuteur, c'est pas pareil.
Fernand pose les documents sur la table.
MONSIEUR FERNAND
Ça se guillotine aussi bien qu'un papa !
MAITRE FOLACE
Mais qui vous demande d'intervenir personnellement ? Nous
avons Pascal. Je le convoque ou pas ?
Fernand se dirige vers la porte du salon.
MONSIEUR FERNAND
Si je devais pas être à la foire d'Avignon dans quarante-
huit heures, je dirais non, mais je suis pris par le temps.
Et puis je reconnais que c'est jamais bon de laisser dormir
les créances, et surtout de permettre au petit personnel de
rêver.
Il sort du salon.
MANOIR DU MEXICAIN - PETIT SALON - INTÉRIEUR JOUR
Fernand entre dans un autre salon.
Un jeune homme portant un tricot gris ras-du-cou, et dessous une
chemise et une cravate, lui saute dessus. Il s'agit d'Antoine
Delafoy, le « fiancé » de Patricia.
ANTOINE DELAFOY
Vous parlez de rêver... rêvez-vous en couleur ? Antoine
Delafoy, le plus respectueux, le plus ancien, le plus
fidèle ami de Patricia.
Il s'incline respectueusement devant Fernand, qui semble on ne
peut plus surpris.
ANTOINE DELAFOY
Je vous connais, monsieur, et je vous admire.
MONSIEUR FERNAND
Hein ?...
ANTOINE DELAFOY
Patricia vous évoque, vous cite, vous vante en toute
occasion, vous êtes le gaucho, le centaure des pampas,
l'oncle légendaire...
MONSIEUR FERNAND
Et moi, elle m'a jamais parlé de vous.
Il s'éloigne de lui. Antoine reste sur place, mais se retourne
pour continuer à lui parler.
ANTOINE DELAFOY
Ah... Patricia n'a pas eu le temps, mais ça ne fait rien.
je ferais donc mon panégyrique moi-même, c'est parfois
assez édifiant et souvent assez drôle, car il m'arrive de
m'attribuer des mots qui sont en général d'Alphonse Allais
et des aventures puisées dans la vie des hommes illustres.
Il se dirige vers Fernand. Et l'on découvre que ce dernier est
debout près d'un canapé, sur lequel Patricia est assise. Sur une
table basse devant le canapé, quelques bouteilles d'alcool.
Fernand regarde Patricia d'un oeil interrogateur.
MONSIEUR FERNAND
Il est toujours comme ça ?
PATRICIA
Absolument pas ! C'est son côté agaçant, il faut qu'il
parle. En vérité c'est un timide. Je suis sûre que vous
serez séduit, quand vous le connaîtrez mieux.
MONSIEUR FERNAND
Parce qu'en plus, monsieur séduit.
Jean vient d'entrer dans la pièce, portant un petit seau à glaçons
en cristal.
ANTOINE DELAFOY
Je ne séduis pas : j'envoûte...
Jean pose le petit seau sur la table basse. Antoine le lui prend
des mains.
ANTOINE DELAFOY
Leave it, Jean, and I'll do it
(Traduction : Laissez, Jean, je vais le faire)
Jean s'incline légèrement. Fernand s'assoit dans un fauteuil en
face du canapé.
JEAN
Thank you, sir.
(Traduction : Merci, Monsieur)
Antoine verse du whisky dans un verre. Jean sort lentement de la
pièce. Avant de sortir, il regarde longuement Fernand, qui lui
rend son regard. On comprend qu'ils ont, tous deux, la même
opinion d'Antoine.
ANTOINE DELAFOY
Pour en revenir à vos rêves en couleur, savez vous que
Borowski les attribuent au phosphore qui est contenu dans
le poisson ?
Il tend le verre à Fernand, qui regardait Jean sortir et qui se
retourne pour prendre le verre.
ANTOINE DELAFOY
Moi je préfère m'en tenir à Freud, c'est plus rigolo.
Qu'est-ce que vous en pensez ?
Fernand prend une petite bouteille d'eau gazeuse sur la table
basse.
MONSIEUR FERNAND
Rien. Je ne rêve pas en couleur, je ne rêve pas en noir, je
ne rêve pas du tout. Je n'ai pas le temps.
Antoine prend la petite bouteille de la main de Fernand.
ANTOINE DELAFOY
Je vous déconseille l'eau, ce serait un crime, il a dix ans
d'âge.
Fernand reprend la petite bouteille d'un geste rageur. Il regarde
Patricia avec, dans les yeux, une visible colère contenue.
PATRICIA
Tonton est débordé par ses affaires.
Antoine s'accroupit devant le fauteuil de Fernand. Derrière lui,
on voit Jean qui rentre dans la pièce.
ANTOINE DELAFOY
Vous viendrez bien avec nous demain soir.
Jean est suivi par Folace.
MONSIEUR FERNAND
Et où ça ?
Fernand verse de l'eau dans son whisky. Antoine grignote une
olive.
ANTOINE DELAFOY
Il demande où ça ? Oh, oh, Dieu, qu'il est drôle. Franck
Émile jouera pour la première fois à Pleyel.
Fernand, de plus en plus agacé par le déluge verbal d'Antoine, se
tourne vers Folace, qui met la main devant sa bouche pour masquer
son hilarité.
ANTOINE DELAFOY
Corelli, Beethoven, Chopin, tout ça c'est très dépassé,
c'est très con...
Fernand se tourne de nouveau vers Folace, qui, cette fois-ci, lui
fait un petit signe discret, et sort de la pièce.
ANTOINE DELAFOY
... mais avec Mills, ça peut devenir féroce, tigresque.
Bref, tout le monde y sera.
Fernand repose son verre, tapote sur le genou d'Antoine, puis se
lève lentement.
MONSIEUR FERNAND
D'accord, d'accord, je sais que c'est la coutume d'emmener
l'oncle de province au cirque. Je vous remercie d'ailleurs
d'y avoir pensé, mais vous irez sans moi.
Il ouvre vivement la porte. Mais il ne sort pas tout de suite. Il
maintient la porte ouverte, tout en regardant longuement Patricia
MONSIEUR FERNAND
Moi demain à sept heures, je ne serais pas loin de
Montauban, quant à mademoiselle Patricia, elle, sera à ses
études, nous sommes bien d'accord, Patricia ?
Patricia hoche la tête.
PATRICIA
Oui, Tonton !
Fernand fait un petit signe de tête à Antoine, qui s'est approché
de la porte et le regarde avec les mains dans les poches. Fernand
sort de la pièce en refermant la porte derrière lui.
Antoine reste un instant devant la porte fermée, puis il se tourne
vers Patricia en faisant une petite moue.
ANTOINE DELAFOY
Je crois que t'as raison, faut pas le brusquer.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR JOUR
Les mains sur les hanches, près de la porte qu'il vient de fermer,
Fernand regarde Folace et Pascal, qui vient certainement
d'arriver, car il a encore son imperméable sur le dos.
MONSIEUR FERNAND
Qu'est-ce qui se passe encore ?
MAITRE FOLACE
Notre ami va se faire un plaisir de vous l'expliquer...
PASCAL
Les Volfoni ont organisé, à la péniche, une petite réunion
des cadres, façon meeting si vous voyez ce que je veux
dire, enfin quoi, on parle dans votre dos.
MONSIEUR FERNAND
Et tu tiens ça d'où ?
PASCAL
Je ne peux pas le dire, j'ai promis, ce serait mal.
Fernand fait un petit signe de tête à Folace.
MONSIEUR FERNAND
Alors ?
MAITRE FOLACE
Eh bien, y a deux solutions : ou on se dérange... ou on
méprise...
Il parle avec un petit sourire forcé. Il regarde Pascal, qui hoche
lentement la tête. Son sourire s'efface.
MAITRE FOLACE
Oui, évidemment, n'importe comment, une tournée
d'inspection ne peut jamais nuire, bien sûr !
MONSIEUR FERNAND
Eh bien, on va y aller !
Il va pour ouvrir la porte du petit salon, mais Pascal l'en
empêche.
PASCAL
Monsieur Fernand ?... Y a peut être une place pour moi dans
votre auto... Des fois que la réunion devienne houleuse ...
J'ai une présence tranquillisante...
Il se frotte lentement les mains, avec un petit sourire entendu.
MANOIR DU MEXICAIN - SALLE A MANGER - INTÉRIEUR JOUR
La salle à manger communique avec le petit salon par une grande
ouverture sans porte. On entend la porte du petit salon s'ouvrir.
Patricia est en tain d'allumer des bougies, et sans se retourner,
ELLE DEMANDE :
PATRICIA
Vous préférez le foie gras pour commencer ou pour finir ?
Fernand s'avance vers elle, suivi par Antoine.
MONSIEUR FERNAND
C'est à dire que je le préférerais demain, je suis obligé
de sortir. Un conseil d'administration...
Antoine s'accroupit légèrement, les mains tordues par une surprise
un peu trop affectée.
ANTOINE DELAFOY
Quoi ? Vous n'allez pas dîner avec nous ? Moi qui venais de
dire à Jean de nous monter du champagne ?
Fernand se tourne vers Antoine, mais lui parle d'une voix très
froide.
MONSIEUR FERNAND
Votre invitation me bouleverse ! Bon appétit quand même !
Derrière Antoine, on voit Fernand qui traverse le petit salon,
puis sort de la pièce. Antoine s'avance lentement vers la table,
ramasse quelque chose dessus et le mange. Puis il se penche pour
sentir le foie gras.
ANTOINE DELAFOY
C'est du bidon !
PATRICIA
Sûrement pas. Il vient de Strasbourg, on le paie un prix
fou...
ANTOINE DELAFOY
Non, je parle du conseil d'administration de ton oncle. Si
tu veux mon avis, l'oncle des pampas va courir la gueuze.
PATRICIA
Tu crois ?
Antoine lui répond par une petit mimique très explicite.
PÉNICHE - SALLE DE JEU - INTÉRIEUR NUIT
La salle principale de la péniche sur laquelle les Volfoni ont
organisé une sorte de casino clandestin. Cette salle principale
est la salle de roulette. Au centre de la pièce, une grande table
avec, dessus, une roulette et le tapis correspondant. Sur le côté
de la pièce, un petit bar.
Raoul est debout en bout de table. Il semble très en colère.
RAOUL VOLFONI
Voilà quinze ans qu'on fait le trottoir pour le Mexicain,
j'ai pas l'intention de continuer à tapiner pour son
fantôme.
Il s'assoit. Assise à côté de lui, Madame Mado, la maquerelle
semble apprécier moyennement les dernières paroles de Raoul.
MME MADO
Le trottoir, le tapin, c'est drôle, ça ? On croirait que tu
cherches le mot qui blesse ?
Paul, la cigarette au bec, debout, mais à moitié avachi sur la
table, joue négligemment avec la roulette.
PAUL VOLFONI
C'est des images.
MME MADO
Les images, ça m'amusait quand j'étais petite, j'ai passé
l'âge ! Je dis pas que Louis était toujours très social,
non... il avait l'esprit de droite.
Assis à côté de Mado, Freddy joue négligemment avec les jetons,
qu'il lance sur le tapis. Aux dernières paroles de Mado, il se
tourne vers Raoul, qui réagit mollement.
RAOUL VOLFONI
Oh, dis... hé !
MME MADO
Quand tu parlais augmentation ou vacances, il sortait son
flingue avant que t'aies fini. Mais il nous a tout de même
apporté à tous la sécurité.
Raoul tape sur la table et se lève d'un bond.
RAOUL VOLFONI
Ramasser les miettes, vous appelez ça la sécurité, vous ?
Vous savez combien il nous a coûté le Mexicain en quinze
ans ? Vous savez combien qu'il nous a coûté ? Oh, dis leur,
Paul, moi je peux plus.
Il se rassoit, en proie à une émotion intense.
PAUL VOLFONI
A cinq cents sacs par mois, rien que de loyer, ça fait six
briques par an, quatre-vingt-dix briques en quinze ans.
RAOUL VOLFONI
Plus trente briques de moyenne par an sur le flambe. Vous
savez à combien on arrive ? Un demi milliard !
Il se tourne vers Tomate, assis à côté de lui en face de Mado.
RAOUL VOLFONI
Et toi, pareil pour la petite ferme.
Il s'emporte un peu.
RAOUL VOLFONI
Ben dis que c'est pas vrai !
Tomate s'amuse à empiler des jetons. Il reste très calme.
TOMATE
J'ai rien dis !
Assis à côté de Tomate, Bastien, le porte-flingue des Volfoni,
puis à côté de lui, Paul, toujours avachi sur la table et occupé à
jouer avec la roulette.
RAOUL VOLFONI
Ben moi, je dis que je lâcherais plus une tune ! Et je vous
invite à tous en faire autant.
A côté de Freddy, l'ami de Théo fume une cigarette, et à côté de
lui, Théo fume un cigare. Théo est donc assis de l'autre côté de
la roulette, en face de Paul. Il parle calmement avec son léger
accent allemand.
THÉO
Vous invitez, vous invitez... C'est très aimable, mais il y
a des invitations...
RAOUL VOLFONI
Qu'est ce qui te gêne, toi ?
Théo se tourne pour regarder Raoul droit dans les yeux.
THÉO
Le climat... trois morts depuis hier, si ça doit tomber
comme à Stalingrad... Une fois ça suffit. J'aime autant
garder mes distances.
Raoul se lève. Il s'emporte progressivement au fur et à mesure
qu'il parle.
RAOUL VOLFONI
Dis donc, t'essaierais pas de nous faire porter le chapeau
des fois ? Faut le dire tout de suite, hein ? Il faut
dire : « Monsieur Raoul, vous avez buté Henri, vous avez
buté les deux autres mecs. Vous avez peut être aussi buté
le Mexicain, puis aussi l'archiduc d'Autriche »...
PÉNICHE - PONT - EXTÉRIEUR NUIT
Sur un ponton, bâti sur la rive à côté de la péniche, on
distingue, dans un halo de lumière au milieu de la pénombre
ambiante, Pascal et à côté de lui Folace, une sacoche à la main.
PASCAL
Hé ! Léo, c'est moi, Pascal.
Il agite le bras. On entend une voix qui répond.
LEO (voix off)
J'arrive... Qui est avec toi ?
Léo, habillé en marinier, marche sur le toit de la péniche, venant
de la cabine de conduite.
PASCAL (voix off)
Je suis avec le notaire.
Fernand grimpe sur une échelle qui part de la rive, en contrebas
du ponton, pour atteindre le pont de la péniche.
Léo, qui vient d'apercevoir Fernand, ramasse une grosse clé
anglaise par terre.
LEO
Tu me dis que vous êtes deux, vous êtes trois...
PASCAL
J'annonce les employés, pas le patron...
LEO
Possible, mais j'attends un ordre de Monsieur Raoul.
Léo regarde, avec un visage peu aimable, Fernand s'avancer vers
lui. Fernand, sans prévenir, lui balance un violent coup de poing
dans le menton.
Léo recule sous le coup et bascule dans l'eau
Fernand se lèche un peu la main qui vient de frapper Léo. Derrière
lui, Folace et Pascal grimpe à leur tour sur le pont par
l'échelle. Folace, portant imperméable noir et chapeau de feutre,
regarde Léo, que l'on entend barboter et gémir dans l'eau.
MAITRE FOLACE
C'est curieux chez les marins ce besoin de faire des
phrases...
Pascal leur fait signe de le suivre vers l'entrée de la péniche.
PASCAL
Allons !
Fernand pousse Folace devant lui.
PÉNICHE - SALLE DE JEU - INTÉRIEUR NUIT
Les personnes présentes n'ont pas changé de position. La salle est
juste un peu plus enfumée. Raoul est debout en train de
« haranguer ses troupes ».
RAOUL VOLFONI
Si vous marchez tous avec moi, qu'est-ce qu'il fera votre
Fernand ?... Un procès ?
On frappe à la porte. Bastien se lève pour aller ouvrir la porte.
Mais, d'un geste, Raoul l'arrête, et fait signe à Freddy d'aller
ouvrir. Freddy se lève et se dirige vers la porte. Il débloque le
verrou et ouvre la porte.
Fernand lui assène un violent coup de poing dans le menton. Freddy
part à reculons et s'écroule contre le mur.
Fernand entre, immédiatement suivi de Pascal, qui a un pistolet
dans chaque main.
Bastien, qui était resté debout, glisse la main sous sa veste pour
prendre son arme.
RAOUL VOLFONI
Laisse.
Folace entre le dernier, et enlève son chapeau. Il salue
courtoisement les personnes présentes.
MAITRE FOLACE
Bonsoir messieurs ! Madame !
Fernand s'avance dans la pièce.
RAOUL VOLFONI
Je croyais pas t'avoir invité...
MONSIEUR FERNAND
Mais t'avais pas à le faire, je suis chez moi.
Il marche lentement vers Raoul.
MONSIEUR FERNAND
Qu'est ce que t'organises ? Un concile ?
Bastien cherche à s'interposer. Fernand le repousse.
MONSIEUR FERNAND
Tu permets ?
Bastien glisse la main sous sa veste, mais, d'un signe, Raoul lui
enjoint de rester calme.
RAOUL VOLFONI
Je les avais réunis pour décider ce qu'on faisait pour le
Mexicain, rapport aux obsèques.
Fernand enlève son manteau et le donne à Bastien, qui le laisse
tomber par terre.
Lentement, Fernand contourne la table de jeu.
MONSIEUR FERNAND
Si c'est des obsèques du Mexicain dont tu veux parler,
c'est moi que ça regarde, maintenant si c'est celle
d'Henri...
Il est arrivé derrière la chaise de Raoul, dont il tient le
dossier à deux mains.
MONSIEUR FERNAND
... tu pourrais peut-être les prendre à ta charge.
Fernand s'assoit sur la chaise de Raoul.
RAOUL VOLFONI
Non, ça va pas recommencer, je vais pas encore endosser le
massacre.
D'un claquement de doigt, Fernand donne l'ordre à Tomate de se
lever. Ce dernier, la pipe au bec, s'exécute.
MONSIEUR FERNAND
On parlera de ça un peu plus tard.
Folace s'installe sur la chaise de Tomate, ouvre sa sacoche, et en
sort des dossiers.
MONSIEUR FERNAND
Pour l'instant on a d'autres petits problèmes à régler,
figure-toi. Priorités aux affaires. Je commence par le
commencement.
Il prend l'un des dossiers que Folace vient de déposer sur la
table.
MONSIEUR FERNAND
Honneur aux dames. Madame Mado je présume ?
MME MADO
Elle-même.
Fernand feuillète le dossier de Mado.
MONSIEUR FERNAND
Chère madame, Maître Folace m'a fait part de quelques...
Pffff... quelques embarras dans votre gestion, momentanés
j'espère. Souhaiteriez-vous nous fournir quelques
explications ?
Il sort un paquet de cigarettes de sa poche. Mado répond en fumant
une cigarette plantée dans un long fume-cigarette.
MME MADO
Les explications, Monsieur Fernand, y en a deux :
récession et manque de main d'oeuvre. Ce n'est pas que la
clientèle boude, c'est qu'elle a l'esprit ailleurs. Le
furtif, par exemple, a complètement disparu.
Freddy se relève lentement et rejoint son siège à côté de Mado. Il
se masse le menton et a l'air un peu sonné.
MONSIEUR FERNAND
Le furtif ?
MME MADO
Le client qui vient en voisin... Bonjour mesdemoiselles, au
revoir madame. Au lieu de descendre maintenant après dîner,
il reste devant sa télé, pour voir si par hasard il ne
serait pas un peu l'homme du vingtième siècle.
(NOTE : « L'homme du Vingtième Siècle » était un jeu télévisé,
très célèbre à l'époque du film, puisque diffusé sur la seule et
unique chaîne de télévision qui existait alors. Il avait débuté en
1961 et s'est terminé en 1964.)
Fernand allume une cigarette, et l'écoute patiemment.
MME MADO
Et l'affectueux du dimanche... disparu aussi. Pourquoi ?
Pouvez-vous me le dire ?
MONSIEUR FERNAND
Encore la télé ?
MME MADO
L'auto, Monsieur Fernand ! L'auto !
MONSIEUR FERNAND
Ah !...
Folace taille tranquillement son crayon.
MONSIEUR FERNAND
Mais dites moi, vous parliez de pénurie de main d'oeuvre
tout à l'heure...
MME MADO
Alors là, Monsieur Fernand, c'est un désastre ! Une bonne
pensionnaire, ça devient plus rare qu'une femme de ménage.
Ces dames s'exportent, le mirage africain nous fait un tort
terrible. Et si ça continue, elles iront à Tombouctou à la
nage.
MONSIEUR FERNAND
Bien, je vous remercie, Madame Mado, on recausera de tout
ça...
A côté de Mado, Freddy a l'air prêt à s'endormir sur sa chaise.
Mado se lève et s'éloigne.
Fernand referme le dossier de Mado. Il prend un autre dossier, et
regarde Folace.
MONSIEUR FERNAND
Qui est-ce, le mec du jus de pomme ?
Folace, de la pointe de son crayon, lui indique Théo.
Freddy est maintenant écroulé sur la table.
THÉO
Ce doit être de moi dont vous voulez parler !
MONSIEUR FERNAND
Dis moi, dans ta branche, ça va pas très fort non plus,
hein ! Pourtant du pastis vrai ou faux, on en boit encore ?
Théo ricane et prend un autre cigare dans la boîte posée à côté de
lui.
THÉO
Moins qu'avant... La jeunesse française boit des eaux
pétillantes, et les anciens combattants, des eaux de
régime.
Fernand regarde Folace, qui sourit.
THÉO
Puis surtout il y a le whisky.
MONSIEUR FERNAND
Et alors ?
THÉO
C'est le drame ça, le whisky...
PÉNICHE - ANTICHAMBRE DE LA SALLE DE JEU - INTÉRIEUR NUIT
Pascal et Bastien se sont installés, assis côte à côte, dans
l'antichambre de la salle de jeu. Pascal a toujours un pistolet à
la main, et surveille ce qu'il se passe dans la salle, par la
porte ouverte. Bastien regarde le pistolet de Pascal et émet un
petit sifflement.
BASTIEN
Dis donc, je le connais pas, celui-là. Il est nouveau ?
PASCAL
C'est le petit dernier de chez Beretta. Je te le conseille
pour le combat de près, et puis pour les coups à travers la
poche, ou le métro ou l'autobus.
THÉO (voix off)
Le whisky...
PASCAL
Mais note, hein ? Faut en avoir l'usage, sans ça, au prix
actuel, on l'amortit pas.
BASTIEN
Le prix s'oublie, la qualité reste, c'est pas l'arme de
tout le monde, ça ! T'as eu ça par qui ?
PASCAL
Par l'oncle Antonio.
BASTIEN
Le frère de Berthe ?
PASCAL
Oui.
Bastien semble songeur. Pascal se penche pour suivre ce qui se
passe dans la salle de jeu.
PÉNICHE - SALLE DE JEU - INTÉRIEUR NUIT
THÉO
Tout ça pour vous faire comprendre, Monsieur Fernand, que
le pastis perd de l'adhérent chaque jour. Le client devient
dur à suivre.
Mado apporte une théière et une tasse sur la table. Freddy dort
toujours sur le tapis de jeu.
Fernand a l'air un peu fatigué par la longue tirade de Théo sur le
whisky. Il repose lourdement sa tête sur sa main.
MONSIEUR FERNAND
Oh tu sais, c'est un petit peu dans tous les domaines
pareil, moi si je te parlais motoculture...
Il s'arrête net, et referme le dossier de Théo.
MONSIEUR FERNAND
Ouais enfin !
Mado donne une tasse de thé à Fernand.
MME MADO
J'espère qu'il est encore chaud.
MONSIEUR FERNAND
Merci.
Fernand écrase sa cigarette pour boire son thé.
MONSIEUR FERNAND
Bien... et maintenant à nous...
Il regarde Raoul, qui se tient debout derrière Folace, la
cigarette au bec. A côté de lui, Tomate a pris la place laissé
vacante par Bastien. Paul s'est assis à côté de Tomate.
MONSIEUR FERNAND
Dans votre secteur, pas de problème, le jeu a jamais aussi
bien marché.
RAOUL VOLFONI
Que tu dis !
MONSIEUR FERNAND
Ce qui vous chagrine, c'est la comptabilité. Vous êtes des
hommes d'action, je vous ai compris, et je vous ai arrangé
votre coup.
RAOUL VOLFONI
T'arranges, t'arranges, et si on était pas d'accord ?
MONSIEUR FERNAND
Tu vas voir que c'est pas possible, j'ai adopté le système
le plus simple.
Il prend le document que lui tend Folace.
MONSIEUR FERNAND
Tiens, regarde ! On prend les chiffres de l'année dernière,
et on les reporte.
Paul tend la main vers la roulette pour jouer avec. Raoul lui
donne une claque sur le bras.
RAOUL VOLFONI
Arrête, toi !
Tomate, toujours sa pipe au bec, regarde Fernand.
TOMATE
L'année dernière, on a battu des records !
MONSIEUR FERNAND
Et bien, ben vous les égalerez cette année ! Vous avez
l'air en pleine forme, là ? Gais, entreprenants,
dynamiques...
Il boit son thé.
RAOUL VOLFONI
Et en plus, il nous charrie, c'est complet.
MONSIEUR FERNAND
Pascal !
Pascal entre dans la salle.
PASCAL
Oui, Monsieur Fernand.
MONSIEUR FERNAND
Tu passeras à l'encaissement chez ces messieurs sous
huitaine.
Raoul se tourne vers Pascal.
RAOUL VOLFONI
C'est ça, puis si on paye pas, tu nous butes ?
Pascal hausse les épaules.
PASCAL
Hé, monsieur Raoul...
Fernand repose sa tasse.
MONSIEUR FERNAND
Bien, messieurs, il ne me reste plus qu'à vous remercier de
votre attention...
Il remet les documents dans les dossiers, qu'il donne à Folace. Il
regarde tout le monde et se lève.
MONSIEUR FERNAND
Madame...
Il s'incline légèrement devant Mado. Folace range les dossiers
dans sa sacoche. Fernand récupère son manteau et passe devant
Raoul, suivi de Folace, qui remet son chapeau en place sur sa
tête. Tomate fait tranquillement une réussite.
RAOUL VOLFONI
Bastien ! Accompagne ces messieurs !
Pascal, suivi de Fernand et de Folace quittent la pièce. Bastien
sort derrière eux, et referme la porte derrière lui.
Mado, tout en fumant son long fume-cigarette, regarde Raoul d'un
air narquois.
MME MADO
Toi, Raoul Volfoni, on peut dire que tu en es un ?
RAOUL VOLFONI
Un quoi ?
MME MADO
Un vrai chef.
Raoul ne semble pas apprécier l'insulte sous-jacente dans les
propos de Mado. Il la foudroie du regard.
RAOUL VOLFONI
Mais y connaît pas Raoul, ce mec ? Y va avoir un réveil
pénible. J'ai voulu être diplomate à cause de vous tous,
éviter que le sang coule, mais maintenant c'est fini. Je
vais le travailler en férocité, le faire marcher à coup de
lattes ! A ma pogne, je veux le voir ! Et je vous promets
qu'il demandera pardon et au garde à vous...
On frappe à la porte. Raoul se précipite, à grandes enjambées vers
la porte, qu'il ouvre d'un geste vif. Il prend le poing de Fernand
en pleine figure, et va s'écrouler sur le mur d'en face.
Fernand, dans l'encadrement de la porte, se masse légèrement la
main. Pascal, derrière lui, porte son manteau.
MONSIEUR FERNAND
J'avais oublié : les dix pour cent d'amende... pour le
retard.
Il jette un regard froid dans la pièce, puis se dirige rapidement
vers Pascal, qui lui donne son manteau. Ils s'éloignent tous les
deux.
Raoul est assis par terre, appuyé sur le mur.
RAOUL VOLFONI
Il a osé me frapper. Il se rend pas compte.
Théo tourne vaguement la tête vers lui, et se remet tranquillement
à téter son cigare, pendant que Raoul se masse le menton.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR NUIT
Jean ouvre la porte d'entrée. Fernand entre, suivi de Folace. On
entend de la musique classique en fond sonore. Folace ôte son
chapeau et aborde Jean en souriant.
MAITRE FOLACE
Cette petite fête m'a rajeuni de vingt ans. Monsieur Naudin
a quelque peu bousculé Monsieur Volfoni senior.
Jean a pris la sacoche de Folace, puis il prend les manteaux des
deux hommes.
JEAN
Mes compliments, monsieur.
Fernand tend le doigt vers l'endroit d'où provient la musique.
MONSIEUR FERNAND
Qu'est ce que c'est encore que ça ?
Jean sourit et écarte les bras en signe d'impuissance.
JEAN
Ohhh !...
MANOIR DU MEXICAIN - PETIT SALON - INTÉRIEUR NUIT
Fernand entre dans la pièce, qui baigne dans une semi-pénombre. La
musique devient plus présente. En constatant ce qu'il se passe
dans la pièce, Fernand se met les mains sur les hanches.
On voit le dos du canapé, qui a été tiré devant la cheminée, où
flambe un feu de bois. Au moment où Fernand allume la lumière,
Patricia et Antoine se relèvent du canapé, sur lequel ils étaient
allongés. Antoine semble agacé par l'intrusion de Fernand.
ANTOINE DELAFOY
Oh non, au moment où la petite flûte allait répondre au
cor, vous êtes odieux !
PATRICIA
C'est vrai, Tonton, ces choses-là ne se font pas.
MONSIEUR FERNAND
Ah, Patricia, je t'en prie, hein ?
A côté de la cheminée, un électrophone est posée sur une table de
marbre. Un disque est en train de tourner dessus.
PATRICIA
Qu'est ce qui vous arrive, mon oncle ? Vous avez été
contrarié dans vos affaires ?
Fernand se dirige vers l'électrophone, et relève le bras du
tourne-disque.
MONSIEUR FERNAND
Oh, à peine.
Fernand se tourne vers Antoine, les mains croisées derrière le
dos. On sent sa colère contenue. Il regarde furtivement les pieds
du jeune homme.
MONSIEUR FERNAND
Si ça ne vous fait rien, Monsieur Delafoy, j'aimerais bien
avoir une petite explication. Mais remettez d'abord vos
chaussures, vous êtes ridicule.
ANTOINE DELAFOY
Qu'est ce que vous voulez que je vous explique, cher
monsieur ?
Patricia allume une cigarette sur l'une des bougies allumées.
MONSIEUR FERNAND
Tout ça, lumière tamisée, musique douce, et vos godasses
sur les fauteuils, Louis XVI en plus !
ANTOINE DELAFOY
La confusion peut encore s'expliquer, mais les termes sont
inadéquats.
Antoine va récupérer ses chaussures posées sur un petit
fauteuil... de style Louis XV !
MONSIEUR FERNAND
Ah, parce que c'est peut être pas du Louis XVI ?
ANTOINE DELAFOY
Euh non ! C'est du Louis XV. Remarquez, vous n'êtes pas
tombé loin, mais surtout les sonates de Corelli ne sont pas
de la musique douce.
Il s'assoit sur le fauteuil pour remettre ses chaussures.
MONSIEUR FERNAND
Oui, ben pour moi, c'en est. Et je suis chez moi !
Il a haussé le ton sur la dernière phrase.
Antoine pointe le doigt vers lui.
ANTOINE DELAFOY
Ah, j'aime ça, la thèse est osée, mais comme toutes les
thèses, parfaitement défendable.
Il se lève de son fauteuil, et s'avance vers Fernand, semblant
tout à fait à son aise, malgré la situation.
ANTOINE DELAFOY
Nous allons donc, si vous le voulez bien, discuter de la
musique par rapport au local, de l'élixir et du flacon, du
contenu et du contenant.
Il termine sa phrase en bafouillant un peu, car Fernand vient de
lui jeter un regard on ne peut moins aimable. Fernand se masse le
visage, pour tacher de rester calme, et se dirige vers Patricia.
Il plaque ses deux mains sur la cheminée.
MONSIEUR FERNAND
Patricia, mon petit... je ne voudrais pas te paraître vieux
jeu, ni encore moins grossier. L'homme de la pampa, parfois
rude, reste toujours courtois, mais la vérité m'oblige à te
le dire : ton Antoine commence à me les briser menu !
ANTOINE DELAFOY
Si nous parlions de moi pendant que vous dînerez ?
Fernand ne le regarde même pas et s'adresse à Patricia.
MONSIEUR FERNAND
Bon, toi, tu vas monter dans ta chambre !
Il lui arrache sa cigarette des mains et la pousse vers la porte.
PATRICIA
Bonne nuit, Antoine.
Fernand éjecte Patricia dans le vestibule, dont la porte est
restée ouverte. Patricia ne demande pas son reste et s'éloigne en
courant. Fernand revient vers Antoine d'un pas décidé.
MONSIEUR FERNAND
Et quant à vous, brillant jeune homme...
Il l'attrape par le bras et le pousse vers la sortie. Antoine a
juste le temps de ramasser son veston sur un fauteuil.
ANTOINE DELAFOY
Ne vous donnez pas la peine, je connais le chemin...
MONSIEUR FERNAND
Justement, faudrait voir à l'oublier, hein !
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR NUIT
ANTOINE DELAFOY
Ce n'est pas du tout gentil, Oncle Fernand.
Il est maintenant devant la porte d'entrée, que Fernand ouvre pour
lui.
MONSIEUR FERNAND
Monsieur Fernand, s'il vous plaît. Aller hop !
Fernand le pousse dehors, mais Antoine résiste.
ANTOINE DELAFOY
Soit, les manières y gagneront ce que l'affection y perdra.
MONSIEUR FERNAND
Et bien, c'est ça. Pensez donc à moi.
Il claque la porte, se retourne et s'arrête net, levant les yeux
vers l'escalier.
Patricia a observé la scène, debout sur la quatrième ou cinquième
marche de l'escalier.
PATRICIA
Vous m'avez terriblement déçue, vous n'avez pas été gentil
avec Antoine.
MONSIEUR FERNAND
Oui, et bien, j'ai fait ce qu'aurait fait ton père, figure-
toi. Il a jamais pu supporter les voyous, là.
PATRICIA
Antoine, un voyou ? Antoine est un grand compositeur, il a
du génie.
MONSIEUR FERNAND
Et bien, les génies se baladent pas pieds nus, figure-toi !
Hein ?
PATRICIA
Et Sagan ?
Fernand ne sait visiblement quoi répondre à cette dernière
réplique. Peut-être d'ailleurs qu'il ne sait pas qui est Françoise
Sagan.
Patricia le regarde en ricanant, et se remet en marche dans
l'escalier, après lui avoir tiré la langue.
Fondu enchaîné.
MANOIR DU MEXICAIN - SALLE A MANGER - INTÉRIEUR JOUR
Un peu plus tard.
Fernand, en chemise, et la cravate un peu dénouée, est en train de
manger une cuisse de poulet, qu'il tient dans sa main. En fond
sonore, et assez fort, on entend la musique qu'écoutaient Antoine
et Patricia. La pochette du disque est appuyé sur la corbeille qui
contient la bouteille de vin. Sur cette pochette, on peut lire
« Corelli ». Fernand lève des yeux légèrement inquiet vers la
porte-fenêtre.
Derrière le rideau, on peut apercevoir deux silhouettes qui
bougent.
Fernand plisse les yeux, en essayant de comprendre ce qui se
passe.
La porte-fenêtre s'ouvre, et Pascal entre dans la pièce.
PASCAL
Bonsoir !
Il est suivi par Bastien, qui fait un sourire et un petit signe de
tête à Fernand. Puis il referme la fenêtre, et tire le rideau.
MONSIEUR FERNAND
Qu'est-ce qui vous prend ? Vous êtes louf, non ? Qu'est-ce
que c'est que ces façons d'arriver en pleine nuit par le
jardin ?
PASCAL
On ne voulait pas sonner à cette heure-là, réveiller toute
la maison. Si la demoiselle se posait des questions. A cet
âge-là, on imagine.
BASTIEN
Et puis, on avait à vous parler.
Fernand dévisage Bastien.
MONSIEUR FERNAND
Vous, je vous ai déjà vu quelque part...
BASTIEN
Tout à l'heure, chez les Volfoni. J'étais de l'autre côté.
MONSIEUR FERNAND
Bon, ben asseyez-vous, je suis en train de becter.
Il glisse la pochette du disque entre son dos et le dossier de la
chaise.
PASCAL
Alors là, on est vraiment confus !
Les deux hommes prennent chacun une chaise et les installent
autour de la table devant Fernand. Bastien s'assoit, mais Pascal
reste debout.
PASCAL
Voilà, si on est venu à deux, y a une raison ! Bastien,
c'est le fils de la soeur de mon père, comme qui dirait un
cousin direct... Vous saisissez la complication, Monsieur
Fernand.
MONSIEUR FERNAND
Non, pas encore !
Pascal s'assoit.
BASTIEN
Ah, forcément, t'as pas donné à Monsieur Fernand mes
RÉFÉRENCES
Il se lève et prend un air solennel.
BASTIEN
Première gâchette chez Volfoni, cinq ans de labeur, de nuit
comme de jour, et sans un accroc.
Pascal, de la main, rassoit Bastien sur sa chaise.
PASCAL
Vous la voyez ce coup-là, l'embrouille ? Dans le monde des
caves, on appelle ça un cas de conscience, nous on dit : un
point d'honneur. Entre vous et les Volfoni, il va faire
vilain temps. En supposant que ça tourne à l'orage, Bastien
et moi, on est sûr de se retrouver face à face, flingue en
pogne, avec l'honnêteté qui commande de tirer. Ah non, un
truc à décimer une famille.
Ils hochent la tête tous les deux.
MONSIEUR FERNAND
Ouais, je vois...
Il prend une bouteille de champagne dans un seau.
MONSIEUR FERNAND
Vous voulez boire un coup ?
BASTIEN
Non, non, merci, jamais entre les repas.
PASCAL
Moi non plus, chez nous c'est la règle : santé, sobriété.
BASTIEN
On en a trop vu qui se sont gâté la main aux alcools.
MONSIEUR FERNAND
Je peux rien vous reprocher, les histoires de famille, ça,
c'est comme une croyance, ça force le respect. Bon, alors,
qu'est ce que vous proposez ?
PASCAL
Bastien a donné sa démission à Monsieur Raoul.
Fernand boit le verre de champagne qu'il vient de se servir.
MONSIEUR FERNAND
La tienne va suivre ?
PASCAL
Je peux pas faire moins, Monsieur Fernand, faut comprendre.
MONSIEUR FERNAND
Je comprends.
Fernand reste pensif, et on suit sa pensée en voix off.
MONSIEUR FERNAND (voix off)
Ouais, quand la protection de l'enfance coïncide avec la
crise du personnel, faut plus comprendre, faut prier !
Fondu au noir.
MANOIR DU MEXICAIN - PETIT SALON - INTÉRIEUR JOUR
Fernand, en costume gris, est en train de lire une dissertation
rédigée par Patricia, assis dans un confortable fauteuil.
MONSIEUR FERNAND
« Et si la vieille définition n'avait pas tant servie à
propos de Racine et de Corneille, nous dirions que Bossuet
a peint Dieu tel qu'il devrait être et que Pascal l'a peint
tel qu'il est »... Et ben, dis donc.
Il retourne la copie, et regarde la note.
MONSIEUR FERNAND
Comment ? Ils t'ont donné que seize sur vingt ?
Il se lève.
MONSIEUR FERNAND
Ben, permet moi de te dire qu'ils y vont un peu fort, hein,
parce que moi, là, je t'aurais donné plus.
PATRICIA
Vous êtes très gentil, mon oncle...
MONSIEUR FERNAND
Non, Patricia, mon enfant, mercredi dernier, quand je suis
arrivé, nous dérivions et le navire faisait eau de toute
part...
En parlant, Fernand s'est approché d'une glace accroché au mur, et
dans laquelle on voit Jean entrer dans la pièce.
JEAN
Un Monsieur, au téléphone, un appel de Montauban.
L'interlocuteur me semble... comment dirais-je ?... un peu
rustique, le genre agricole.
Fernand sort de la pièce.
MANOIR DU MEXICAIN - UN AUTRE SALON - INTÉRIEUR JOUR
Fernand prend le combiné téléphonique et le porte à son oreille.
Un grand panneau vitré, inséré dans le mur, sépare le petit salon
du salon où se trouve le téléphone, ce qui permet de voir
Patricia, qui écoute avec attention ce que dit son « oncle
Fernand ».
MONSIEUR FERNAND
Allo oui ?... Oui, c'est moi... Ça va, ça va... Alors ?...
Hein ?... Oui... Oui... Oui, ben, si je suis pas rentré
vendredi, c'est que j'ai pas pu... Et ben, je ne sais pas,
moi... huit jours, peut être quinze...
MANOIR DU MEXICAIN - PETIT SALON - INTÉRIEUR JOUR
Patricia suit toujours la conversation téléphonique de Fernand,
pendant que Jean lit la dissertation de la jeune fille.
MONSIEUR FERNAND
Et ben, y a qu'à faire le nécessaire... Enfin, c'est quand
même formidable, qu'on dirait qu'à chaque fois que je
m'absente, c'est toujours pareil, faut toujours qu'y ait
des histoires... et ben, démerdez vous...
Il raccroche d'un geste rageur, et s'éloigne du téléphone.
JEAN
« Et Pascal l'a peint tel qu'il est »... Eh ben, moi,
j'aurais donné à mademoiselle vingt sur vingt, et en cotant
vache.
Patricia lui fait un beau sourire.
PATRICIA
Vous êtes gentil.
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR JOUR
Folace et Fernand discutent. Folace semble un peu énervé.
MAITRE FOLACE
Vous savez combien il reste au compte courant ? Soixante
milles, six briques...
MONSIEUR FERNAND
Ben qu'est ce que ça veut dire ? Y aurait du coulage ?
MAITRE FOLACE
Du coulage, oh, c'est bien plus simple... Y a que l'argent
qui devait rentrer sous huitaine, n'est toujours pas
rentré.
Le téléphone sonne. Folace fait le tour de la vitrine
napoléonienne pour aller répondre.
MAITRE FOLACE
Y a que l'éducation de la princesse, cheval, musique,
peinture, etc... atteint un budget « Élyséen ». Et y a que
vos dépenses somptuaires ont presque des allures
africaines.
Il décroche le téléphone.
MAITRE FOLACE
Allô oui ?... Oui... oui... Il est là. Une seconde.
MONSIEUR FERNAND
Qui est-ce ?
MAITRE FOLACE
Justement... Raoul Volfoni.
Il tend le combiné à Fernand.
MONSIEUR FERNAND
Ah, tout de même !...
Fernand sourit en mettant le combiné à son oreille. Folace
l'écoute en prenant une cigarette dans un paquet dans sa poche.
MONSIEUR FERNAND
Allô ?... alors on a enfin compris... on casque !
PÉNICHE - BUREAU - INTÉRIEUR NUIT
Raoul, assis sur le bureau, en costume rayé, est en train de
parler au téléphone.
RAOUL VOLFONI
Oh ben, tu fais de l'obsession, t'es la proie des idées
fixes. Je te téléphonais seulement pour t'avertir qu'à la
distillerie, y sont en plein baccara, tu devrais t'en
occuper, c'est ton rôle, grand chef.
Paul, assis derrière le bureau, écoute la conversation grâce à
l'écouteur de courtoisie du téléphone.
MONSIEUR FERNAND (voix off au téléphone)
Mais de quoi tu t'occupes ?
RAOUL VOLFONI
Tu vois comme t'es injuste, on cherche à t'obliger, t'es
encore pas satisfait.
DISTILLERIE - PREMIER ÉTAGE - INTÉRIEUR JOUR
Tomate, Théo, son ami et Freddy sont installés dans une sorte de
salon aménagé au premier étage de la distillerie, avec des meubles
anciens un peu disparates et mal assortis. Tomate, Théo et Freddy
sont assis dans des fauteuils, et l'ami de Théo sur les marches de
l'escalier. Freddy est en train de lire un roman.
TOMATE
Tu crois que Raoul sera tombé dans le piège ?
THÉO
Il n'aura pas résisté à la joie d'annoncer une mauvaise
nouvelle à l'autre imbécile.
TOMATE
C'est étonnant que le butor n'ait pas déjà téléphoné.
THÉO
Y a des impulsifs qui téléphonent, y en a d'autres qui se
déplacent...
Bruit de klaxon insistant. L'ami de Théo sursaute. Théo, lui,
reste calme.
THÉO
... et voilà !
Il se lève.
TOMATE
Et c'est Volfoni qui portera le chapeau.
THÉO
T'es rassuré ?
TOMATE
Ouais.
THÉO
En voilà un qui est pratiquement sorti du bagne.
Il récupère un pistolet, l'arme, puis le glisse dans la poche
intérieure de sa veste.
THÉO
Maintenant, ce n'est plus qu'une affaire de patience. Dans
un mois, les Volfoni...
Il fait, avec son pouce, le geste que les empereurs romains
faisaient pour signifier la mise à mort d'un gladiateur.
THÉO
... et les affaires du Mexicain, ça deviendra Théo, Tomate
et Cie.
Il claque des doigts. Son ami s'approche. Théo ramasse un cendrier
sur une table.
THÉO
Planque ça, des mégots à la pommade rose, l'homme de Cro-
Magnon pourrait trouver ça bizarre.
Nouvel appel de klaxon, encore plus insistant que le premier. Théo
allume sa cigarette sur une bougie.
THÉO
Voilà, voilà, on arrive.
Il regarde Tomate.
THÉO
Allez, dans cinq minutes... vous filez.
Théo sort du « salon ». Le reste du premier étage est totalement
désert, bien que ce soit un local très vaste, sans aucune cloison.
Théo le traverse d'un pas rapide.
Nouvel appel de klaxon.
Théo descend un petit escalier qui mène au rez-de-chaussée.
DISTILLERIE - REZ DE CHAUSSÉE - INTÉRIEUR JOUR
Fernand, en costume gris, venant de l'extérieur, entre dans une
sorte de hangar dans lequel sont empilés, dans un savant désordre,
des centaines de bouteilles vides.
MONSIEUR FERNAND
Alors ça vient, oui ?
Une voix vient du haut de l'escalier. Fernand lève la tête.
THÉO (voix off)
Voilà, j'arrive...
Il arrive en bas de l'escalier et regarde Fernand avec surprise.
THÉO
Vous, Monsieur Fernand ?
MONSIEUR FERNAND
Ben quoi ? Ça a l'air de t'épater ?
THÉO
Raoul Volfoni est ridicule ! Je lui avais demandé de
m'envoyer un chauffeur, pas de vous déranger.
Fernand regarde, avec intérêt, le bric-à-brac qui l'entoure.
Trônant au milieu des bouteilles vides, empilées sur des étagères,
ou rangées dans des casiers, est installé un imposant alambique en
métal poli.
MONSIEUR FERNAND
Bon, de toutes façons, maintenant, je suis là. Dis donc...
entre parenthèses, c'est pas commode à trouver ton coin,
là, ça fait une plombe que je tourne autour !
THÉO
La police tourne autour depuis dix ans, elle a jamais
trouvé. C'est pour ça que je regretterais cet endroit.
MONSIEUR FERNAND
Et pourquoi tu dis ça ?
THÉO
Par euh... désenchantement. Vous n'êtes jamais en proie au
vague à l'âme, Monsieur Fernand ?
MONSIEUR FERNAND
Ma foi, j'en abuse pas, non.
THÉO
Vous n'avez peut-être pas les mêmes raisons. Vous avez
gagné la guerre... vous.
MONSIEUR FERNAND
Bon, d'accord, j'ai gagné la guerre, mais si je me suis
dérangé exprès, c'est pas pour défiler, hein ? Alors, où
est-ce que tu veux en venir ? Qu'est ce qui se passe ?
THÉO
Et bien, voilà ce qui s'est passé.
Il désigne quelque chose de la pointe de son cigare. Fernand
regarde dans la direction qu'il indique.
THÉO
Un chargement tout prêt. Six millions de pastis. Un client
qui attend tout ça entre onze heures et minuit à
Fontainebleau.
Ils sortent du bâtiment.
DISTILLERIE - COUR - EXTÉRIEUR JOUR
THÉO
Et bien, nous les livrons pas.
MONSIEUR FERNAND
Pourquoi, qu'est ce qui te gêne ?
THÉO
Notre dernier chauffeur est parti hier pour le Sahara, dans
le pétrole, à cause des primes, des zones et des assurances
sociales... le goût de lucre, l'esprit nouveau.
Fernand inspecte le camion chargé de casiers à bouteille.
MONSIEUR FERNAND
Un chauffeur, ça se remplace, non ?
THÉO
Monsieur Fernand, le transport clandestin ne réclame pas
seulement des compétences, mais de l'honnêteté.
Il rejoint Fernand près du camion.
THÉO
Contrairement aux affaires régulières, on paie comptant...
en liquide. Ça peut tenter les âmes simples.
MONSIEUR FERNAND
Ben moi, je vois qu'une solution ! Tu prends le bout de
bois et tu livres.
THÉO
Faut pouvoir !
MONSIEUR FERNAND
Comment ça ?
THÉO
La nuit... en plein milieu de la route, un homme armé, en
uniforme, qui agite une lanterne et qui crie « halte »,
qu'est ce que vous faites ?
MONSIEUR FERNAND
Je m'arrête, bien sûr, je passe pas dessus !
THÉO
Et bien, c'est pour ça que vous avez encore votre permis !
Il ricane.
THÉO
Moi pas !
Fernand réfléchit.
MONSIEUR FERNAND
Bon... les papiers du bahut sont en règle au moins, oui ?
THÉO
Tout est en ordre ! Mais Monsieur Fernand, vous prétendez
pas...
Fernand ouvre la porte et monte au volant du camion.
MONSIEUR FERNAND
Quand y a six briques en jeu, je prétends n'importe quoi.
J'ai conduit des tracteurs, des batteuses, et toi qui
parlais de guerre, j'ai même conduit un char Patton.
THÉO
Ce n'est pas ma marque préférée.
Fernand semble un peu gêné.
MONSIEUR FERNAND
Oui... bon ben dis donc, moi j'aimerais bien savoir où je
livre, parce que Fontainebleau, ben, c'est grand !
THÉO
Vous connaissez la pyramide.
MONSIEUR FERNAND
Hmm.
FONDU ENCHAÎNÉ
ROUTE DE CAMPAGNE - EXTÉRIEUR NUIT
Une route déserte dans la nuit. Le camion de Fernand approche,
tout phare allumé.
On entend la voix de Théo, qui termine ses explications.
THÉO (voix off)
Il y aura une Cadillac noire, arrêtée à l'embranchement de
Melun.
CAMION - INTÉRIEUR NUIT
Fernand conduit, cigarette à la main.
ROUTE DE CAMPAGNE - EXTÉRIEUR NUIT
Théo et Tomate sont assis au bord de la route. Théo se réchauffe
en buvant du café à partir d'un thermos. A côté de Tomate, une
mitrailleuse est posée sur son socle de support. Tomate allume son
briquet pour consulter sa montre.
TOMATE
Il devrait être passé. Tu vois pas qu'il soit tombé sur un
barrage, ce cave ! Ce serait beau !
THÉO
Il tient pas la moyenne, c'est tout. Avec les prétentieux,
c'est toujours pareil...
Il passe son café à Tomate et remonte le col de sa veste.
THÉO
« Moi je, moi je ». Sur le terrain, plus personne.
Plus loin, le camion roule toujours sur la route. Il passe, sans
que Fernand ne s'en rende compte, devant une moto, planquée au
bord de la route, tous feux éteints, avec l'ami de Théo assis
dessus. Juste après le passage du camion, la moto allume son
phare, et l'ami de Théo s'élance à la poursuite du camion.
La moto roule derrière le camion. Le conducteur ne porte pas de
casque. Il rattrape le camion, puis le double.
La moto est maintenant devant le camion. Elle arrive en vue d'un
bosquet d'arbres dans lequel Freddy est planqué. L'ami de Théo
fait des appels de phare.
Freddy allume une puissante lampe torche, et fait, lui aussi, des
appels de lumière.
Tomate, dans sa planque, reçoit les appels lumineux.
TOMATE
J'ai l'impression qu'on annonce Monsieur Dugommier.
THÉO
Je crois qu'il va le regretter, son char Patton.
Tomate et Théo s'allongent derrière leur mitrailleuse.
Freddy attend que la moto soit passée, puis il jette des clous à
quatre pointes sur la route.
Gros plan sur les clous et le camion qui arrive droit dessus.
CAMION - INTÉRIEUR NUIT
Fernand essaie de redresser le camion qui, avec les quatre pneus
crevés, n'est plus dirigeable.
Le camion fonce dans un panneau publicitaire vantant l'apéritif
« Martini » !
ROUTE DE CAMPAGNE - EXTÉRIEUR NUIT
Le camion vient de s'arrêter brutalement sur le panneau
publicitaire, qu'il a défoncé.
Dans leur planque, Théo actionne la mitrailleuse, pendant que
Tomate guide le ruban de balles dans l'arme.
Des impacts de balle troue la paroi du camion.
CAMION - INTÉRIEUR NUIT
Fernand se couche sur la banquette.
Le pare-brise et toutes les vitres du camion éclatent, mais
restent en place, s'étoilant en petites particules, selon le
principe du verre Sécurit.
ROUTE DE CAMPAGNE - EXTÉRIEUR NUIT
Dans leur planque, Théo a arrêté de tirer et regarde dans la
direction du camion.
TOMATE
Mais qu'est ce que t'attends, allume-le !
Théo se remet à tirer.
Sous le tir de la mitrailleuse, le chargement du camion finit par
s'enflammer.
CAMION - INTÉRIEUR NUIT
Les flammes arrivent dans la cabine. Fernand se redresse.
ROUTE DE CAMPAGNE - EXTÉRIEUR NUIT
Théo continue à tirer. Tomate, debout derrière lui, le tire en
ARRIÈRE
TOMATE
Ça va, filons. Ça va, ça va, ça va, ça va !
Théo est atteint d'une telle frénésie que Tomate a du mal à le
détacher de la mitrailleuse. Ils regardent tous deux dans la
direction du camion.
Le camion est totalement en flammes.
CAMION - INTÉRIEUR NUIT
Le costume de Fernand est déchiré au coude. Fernand arrache le
coussin de l'un des sièges du camion et le projette dans le pare-
brise. Le verre éclaté de ce dernier se détache vers l'extérieur
du camion, ouvrant ainsi une sortie possible pour Fernand, qui se
dégage de la cabine du camion.
ROUTE DE CAMPAGNE - EXTÉRIEUR NUIT
Fernand est allongé dans les feuilles mortes de la forêt. Il rampe
pour s'éloigner du camion sans être repéré par ses adversaires.
Fondu enchaîné.
PÉNICHE - BUREAU - INTÉRIEUR NUIT
Paul est assis derrière le bureau, lunettes sur le nez. Raoul est
debout devant lui, et fume un cigare.
RAOUL VOLFONI
Petit frère, crois-moi, le monde moderne va vers la
centralisation !
PAUL VOLFONI
Et Tomate, qu'est ce que t'en fais ?
RAOUL VOLFONI
Ben, s'il faut virer Tomate, on le virera.
On frappe à la porte. Raoul traverse la pièce pour ouvrir.
RAOUL VOLFONI
Moi, je connais qu'une loi, celle du plus fort.
Il ouvre la porte, et prend le poing de Fernand dans la figure. Il
recule en titubant jusqu'au mur, devant lequel il s'écroule.
Paul se penche légèrement pour regarder son frère.
Fernand entre dans la pièce, le cheveu en bataille, et le coude du
costume toujours déchiré. On comprend qu'il est venu directement
du lieu de l'accident à la péniche. Il claque la porte et tourne
le verrou. Quand il se retourne, on constate que sa veste est
déchirée aussi dans le dos, et même brûlée.
Paul relève la tête et sourit à Fernand.
PAUL VOLFONI
C'est une manie, qu'est ce qui te prends ?
Fernand ignore Raoul toujours assis par terre contre le mur et se
dirige vers le bureau. Il prend une grosse sacoche de cuir posée
sur le bureau et la retourne, vidant tout ce qu'elle contenait sur
les papiers de Paul, qui se recule légèrement et enlève ses
lunettes. Puis il contourne le bureau vers le coffre-fort, qui est
grand ouvert. Il s'accroupit et commence à remplir la sacoche de
liasses de billets de banque.
MONSIEUR FERNAND
Vous êtes sur la pente fatale, les gars ! Vous vous
endettez, trois briques de camion plus six briques de
pastis.
PAUL VOLFONI
On peut savoir de quoi tu causes ?
MONSIEUR FERNAND
Une autre fois ! Hein ?
PAUL VOLFONI
Bon !
MONSIEUR FERNAND
Ce soir, je suis pas d'humeur à bavarder, figure-toi.
PAUL VOLFONI
Bien !
Il pose la sacoche sur le bureau pour la fermer.
MONSIEUR FERNAND
Tout m'irrite !
PAUL VOLFONI
Bon bon !
Il traverse la pièce en jetant un rapide regard à Raoul, qui se
relève lentement. Il sort et claque la porte derrière lui. Raoul
se touche le menton.
On frappe à la porte. Raoul se dirige vers la porte. Il a déjà la
main sur la poignée, lorsqu'il se tourne vers son frère, et lui
CHUCHOTE :
RAOUL VOLFONI
T'es toujours de cinquante pour cent dans l'affaire ?
PAUL VOLFONI
Ben... bien sûr !
Raoul fait deux pas dans la pièce et désigne la porte du pouce.
RAOUL VOLFONI
Alors va ouvrir !
Fondu au noir.
MANOIR DU MEXICAIN - EXTÉRIEUR NUIT
De nombreuses voitures sont garées devant l'entrée du manoir. On
entend de une musique assez puissante qui provient de l'intérieur
de la maison, mais cette fois-ci, il ne s'agit plus de musique
classique, mais de musique plus moderne, de musique de danse.
Toutes les fenêtres du rez-de-chaussée sont illuminées.
La 404 de Fernand se gare à côté d'une petite voiture anglaise
décapotable et décapotée. Fernand sort de sa voiture, et le
propriétaire de la décapotable, un jeune homme élégamment habillé,
fait le tour de la sienne. Il fixe la housse, qui protège la
capote lorsqu'elle est rangée derrière le siège arrière, comme
c'est le cas actuellement. Fernand fait quelques pas, et s'arrête,
visiblement mécontent de la musique de danse qu'il entend dans le
manoir. Le jeune homme le regarde, intrigué. Puis il fait quelques
pas vers lui, en fumant sa cigarette d'un air distingué.
LE JEUNE HOMME
Convocation : neuf heures !
Fernand se retourne.
LE JEUNE HOMME
J'ai l'impression, mon cher, que nous ne sommes pas en
avance.
Fernand revient vers sa voiture, dont il ouvre le coffre.
LE JEUNE HOMME
Vous êtes un ami de Pat ou un copain d'Antoine ?
Fernand prend la sacoche dans le coffre, qu'il referme. Il lance
un rapide regard au jeune homme, et se dirige vers le manoir.
LE JEUNE HOMME
Je me demande s'il la saute ?
Fernand se retourne vers le jeune homme.
MONSIEUR FERNAND
Si qui saute qui ?
LE JEUNE HOMME
Ben... Antoine... Patricia...
Fernand soupire, pose la sacoche sur le coffre de sa voiture, puis
flanque une raclée au jeune homme. On ne le voit pas actuellement
frapper le jeune homme, mais on en entend les bruits
caractéristiques. Fernand récupère sa sacoche et se dirige vers le
manoir.
Le jeune homme est étalé dans sa voiture, une jambe sur le pare-
brise, et l'autre jambe par-dessus la portière. Il est
complètement sonné. Les essuie-glace balaient inutilement le pare-
brise.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR NUIT
Plan rapproché sur la porte d'entrée. La musique est encore plus
puissante. On voit Fernand à travers les vitres de la porte. Il
frappe très fort sur la porte. Un type, qui était adossé au mur
près de la porte, tourne la tête vers lui, et ouvre la porte.
Fernand entre et regarde autour de lui, d'un air à la fois surpris
et mécontent. Une fille se trémousse en rythme devant lui. Fernand
referme la porte. D'autres invités, assis alentour, marque le
rythme de la musique. D'autres danseurs apparaissent dans le
champ.
Plan en plongée du haut de l'escalier. Le vestibule est plein de
jeunes gens en train de danser. D'autres, debout dans l'escalier,
marquent le rythme. Fernand, près de la porte, contemple cette
scène sans bouger. Jean traverse le vestibule, un plateau à la
main.
Retour sur un plan moyen de Fernand, qui semble de plus en plus
mécontent. Il aperçoit Jean et l'appelle.
MONSIEUR FERNAND
Jean ?
JEAN
Une seconde, monsieur.
Jean entre dans un salon, son plateau à la main.
Fernand traverse le vestibule.
MANOIR DU MEXICAIN - UN SALON - INTÉRIEUR NUIT
Antoine et Patricia sont en train de se bécoter. Antoine relève la
tête et aperçoit Fernand.
ANTOINE DELAFOY
Le cercle de famille s'agrandit.
Patricia regarde dans la direction de Fernand, avec des yeux un
peu effrayés. Elle pousse Antoine vers un coin plus discret.
Fernand traverse le salon vers l'endroit où Jean est en train de
servir les invités. Il bute dans un jeune homme qui est dans son
chemin.
UNE JEUNE FILLE LÉGÈREMENT ÉMÉCHÉE
Encore un peu, Jean, s'il te plaît.
JEAN
Tu picoles trop toi, tu vas être ronde.
UNE JEUNE FILLE LÉGÈREMENT ÉMÉCHÉE
Vas donc m'en chercher une autre bouteille, s'il te plaît.
JEAN
Mais oui.
La jeune fille s'éloigne. Fernand se rapproche de Jean. Un jeune
homme, qui vient, lui aussi d'être servi, s'éloigne de Jean, qui
sourit béatement.
LE JEUNE HOMME
Tchiao.
En voyant Fernand, le sourire de Jean s'efface.
MONSIEUR FERNAND
Jean ? Où est Patricia ?
Jean fait un petit signe d'impuissance.
MONSIEUR FERNAND
Et maître Folace ?
JEAN
À la cuisine... il aide, lui.
Jean a dit les derniers mots sur un ton de léger reproche. Fernand
le regarde de façon peu aimable, puis traverse le salon, en
essayant d'éviter les danseurs, et en cherchant visiblement
Patricia.
Dans un coin discret, Antoine et Patricia observent la scène. Ils
se parlent en chuchotant.
ANTOINE DELAFOY
Continuer de me cacher, c'est très désagréable.
Ils regardent tous les deux dans la direction de Fernand.
Fernand continue à zigzaguer entre les invités, tenant toujours sa
sacoche à la main.
PATRICIA (voix off)
Oncle Fernand ?
Fernand se retourne. Patricia vient vers lui. Fernand semble un
peu en colère.
MONSIEUR FERNAND
Ah te voilà, toi ! Et c'est ça que t'appelles une petite
dînette au coin du feu, hein, dis ? Alors tu vas
m'expliquer un petit peu maintenant, hein ?
Elle l'entraîne dans un coin plus calme que la piste de danse.
Elle regarde la manche déchirée de son veston.
PATRICIA
D'où viens-tu ?
Fernand regarde dans la direction d'un groupe, que l'on ne voit
pas, mais qui, à l'expression affichée sur le visage de Fernand,
sont visiblement dans une position assez intime. D'une main
autoritaire, Patricia leur fait signe de dégager. Deux filles et
un garçon sortent de la pièce.
MONSIEUR FERNAND
De... de chez des amis.
PATRICIA
Ah ! Des anciens paras ? Vous avez évoqué le bon vieux
temps, cooptation, close combat, vous avez joué au lance-
flamme...
Fernand pose brutalement sa sacoche sur la table, prend une
bouteille de whisky et se sert un verre.
Un invité lui tend une petite bouteille d'eau gazeuse.
L'INVITÉ
Sec ou à l'eau ?
On sent que Fernand est sur le point de perdre encore son sang-
froid. Il arrache la bouteille des mains de l'invité. Patricia
fait à l'invité un signe discret de dégager. Celui-ci sort
calmement, en regardant Fernand d'un oeil peu aimable.
MONSIEUR FERNAND
Chez soi, ça fait plaisir, hein ?
PATRICIA
Oh ! Je t'ai demandé la permission d'inviter des amis,
t'étais d'accord. Tu sais qu'ils sont tous d'excellentes
familles ? Celui qui vient de t'offrir du scotch, tu sais
qui c'est ? Jacques Le Tellier, le fils du contre-amiral.
Fernand boit son verre à grandes gorgées.
PATRICIA
Écoute, tu tiens toujours à ce que je passe mon bacho,
alors soit logique !
Fernand récupère sa sacoche, et va pour s'éloigner, mais Patricia
l'arrête.
PATRICIA
Oui, le bacho sans relations, c'est la charrue sans les
boeufs, le tenon sans la mortaise, une nièce sans son petit
oncle ! En fait, c'est rien. Avoue que tu n'avais jamais
pensé à ça, hein ?
Fernand a écouté tout le petit discours de Patricia, débité sur un
ton un peu enjôleur, avec une impatience qu'il a du mal à
contenir.
MONSIEUR FERNAND
C'est fini, oui ?
Fernand va pour sortir, Patricia le retient de nouveau.
PATRICIA
Entre nous, à quoi penses-tu en général ?
MONSIEUR FERNAND
À Montauban... on ne devrait jamais quitter Montauban !
Il dégage la main de Patricia de son épaule, et sort à grandes
enjambées. Patricia le regarde partir en haussant les épaules.
MANOIR DU MEXICAIN - CUISINE - INTÉRIEUR NUIT
Folace est seul dans la cuisine, en costume gris, assis devant une
table encombrée de bouteilles vides de champagne, de seau à glace,
et surtout de tout ce qu'il faut pour confectionner des sandwiches
et des canapés. D'ailleurs Folace beurre un canapé. La porte
s'ouvre, Fernand entre et referme la porte derrière lui. Folace se
tourne vers lui, et lui parle sur un ton très badin.
MAITRE FOLACE
Charmante soirée, n'est ce pas ? Vous savez combien ça va
nous coûter ? Deux milles francs... nouveaux !
Fernand s'avance lentement vers la table, l'air sévère, pendant
que Folace continue à beurrer ses canapés.
MONSIEUR FERNAND
Y en a qui gaspillent, et y en a d'autres qui collectent...
Du bras, il dégage, sans ménagement, un espace libre sur la table.
Il y dépose lourdement la sacoche, qu'il ouvre. Des billets
débordent de la sacoche et tombent sur la table.
MONSIEUR FERNAND
Qu'est ce que vous dites de ça ? Hein ?
Folace sourit. Jean entre dans la cuisine. Fernand met la main sur
la sacoche. Jean referme la porte, et pose son plateau sur un plan
de travail derrière Folace.
JEAN
Faudrait encore des sandwichs à la purée d'anchois, ils
partent bien ceux-là.
Il se retourne et voit la sacoche.
MONSIEUR FERNAND
Les voilà, vos encaissements en retard... et encore avec
une avance en plus.
Folace regarde la manche déchirée de Fernand.
MONSIEUR FERNAND
Les Volfoni ont essayé de me flinguer, oui maître.
MAITRE FOLACE
Ce n'est pourtant pas leur genre.
MONSIEUR FERNAND
Et ben ça prouve qu'ils ont changé de genre. Voilà.
Jean fait le tour de la table et ouvre une porte du buffet.
Gros plan sur une boîte à biscuits. La main de Jean plonge dans la
boîte, et en sort un pistolet, que Jean arme.
Il met le pistolet dans la poche intérieure de sa veste avec un
petit sourire.
JEAN
Quand ça change, ça change, faut jamais se laisser
démonter.
MAITRE FOLACE
Vous croyez qu'ils oseraient venir ici ?
MONSIEUR FERNAND
Les cons, ça ose tout ! C'est même à ça qu'on les
reconnaît.
Bruit de sonnette insistant.
Gros plan sur un tableau. Le voyant n° 1 s'allume.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR NUIT
Plusieurs couples sont en train de danser dans le vestibule. A
travers la vitre de la porte, on voit les visages des frères
Volfoni. Ils continuent à sonner, mais personne, parmi les
danseurs, ne semble les entendre. Finalement, l'une des danseuses
se rend compte de leur présence et ouvre la porte. Raoul entre
suivi de Paul, qui referme la porte d'un coup de pied. Ils
regardent autour d'eux, un peu surpris.
PAUL VOLFONI
T'es sûr que tu t'es pas gouré de crèche.
Raoul lui répond d'un ton irrité.
RAOUL VOLFONI
Je me goure jamais, en rien.
Il avance à travers la foule des danseurs, suivi de son frère. Ils
passent dans un salon.
MANOIR DU MEXICAIN - UN SALON - INTÉRIEUR NUIT
Raoul dévisage les danseurs, cherchant une tête connue. Des
bouteilles sont posées sur un meuble. Une jeune fille se tourne
vers eux, un verre dans chaque main.
LA JEUNE FILLE
Scotch ou jus de fruit ?
Paul va pour prendre le verre qu'on lui tend, mais Raoul, les
mains enfoncées dans les poches, foudroie la fille du regard.
RAOUL VOLFONI
C'est rien !
La fille s'éloigne avec ses deux verres, sans demander son reste.
Raoul la regarde partir.
RAOUL VOLFONI
Si c'est notre pognon qu'ils sont en train d'arroser, les
petits comiques, ça va saigner !...
Il avise Jean au milieu des invités.
RAOUL VOLFONI
Dites donc, mon brave.
Jean s'avance vers eux, l'air grave.
JEAN
Monsieur ?
RAOUL VOLFONI
Il est là, votre patron ?
JEAN
Qui demandez-vous ?
PAUL VOLFONI
Monsieur Fernand Naudin.
RAOUL VOLFONI
Monsieur Fernand... Fernand l'emmerdeur, Fernand le
malhonnête, c'est comme ça que je l'appelle, moi.
JEAN
Si ces messieurs veulent bien suivre...
Jean s'éloigne à travers la foule des invités.
RAOUL VOLFONI
Et comment.
Il fait quelques pas derrière Jean, puis se retourne vers son
frère.
RAOUL VOLFONI
Alors, tu viens dis !
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR NUIT
Jean, suivi de Raoul, puis de Paul, entre par une porte située
derrière l'escalier. Il s'arrête devant la porte de la cuisine.
JEAN
Si vous voulez vous donner la peine d'entrer.
De la main, il leur montre le chemin. Raoul entre, suivi de Paul,
sous le regard froid et sarcastique de Jean.
MANOIR DU MEXICAIN - CUISINE - INTÉRIEUR NUIT
Folace est toujours assis à table, en train de beurrer des
canapés. Sur la table, la sacoche, débordante de billets de
banque, est toujours grande ouverte. Fernand est debout, en
chemise, en train de s'essuyer les mains avec un torchon.
Raoul entre le premier, une main enfoncée dans l'une des poches de
sa veste.
RAOUL VOLFONI
Bougez pas ! Les mains sur la table. Je vous préviens qu'on
a la puissance de feu d'un croiseur et des flingues de
concours.
Jean entre derrière eux, pistolet à la main. Il referme la porte
de la cuisine.
JEAN
Si ces messieurs veulent bien me les confier...
RAOUL VOLFONI
Quoi ?
Patricia entrent en trombe dans la cuisine, un plateau à la main.
Sans s'en rendre compte, elle écrase Jean entre la porte et le
mur.
PATRICIA
Ah mes enfants, nous sommes en panne de sandwiches.
Elle sourit aux frères Volfoni, et pose le plateau dans l'évier
devant Fernand.
PATRICIA
Tu sais, mon oncle, si tes amis veulent danser...
Elle ramasse une assiette de canapés posée devant Folace et
ressort. Jean, pistolet toujours pointé vers les Volfoni, claque
la porte derrière elle.
JEAN
Allons vite, messieurs, quelqu'un pourrait venir, on
pourrait se méprendre, et on jaserait. Nous venons déjà de
frôler l'incident.
Fernand continue à s'essuyer les mains tranquillement.
MONSIEUR FERNAND
Tu sais ce que je devrais faire, hmm ?... rien que pour le
principe ?
Il jette son torchon. Folace se lève et récupère le pistolet de
Raoul dans sa poche. Jean, planté derrière les Volfoni, les tient
toujours en joue. Machinalement, Raoul se caresse le menton.
RAOUL VOLFONI
Tu trouves pas que c'est un peu rapproché ?
Folace tâte le haut de la veste de Raoul, pour s'assurer qu'il n'a
pas d'autre arme. Paul lui donne le pistolet qu'il tient à la
main. Folace lui tâte le haut de la veste.
PAUL VOLFONI
Je te disais que cette démarche ne s'imposait pas. Au fond
maintenant, les diplomates prendraient plutôt le pas sur
les hommes d'action. L'époque serait aux tables rondes et à
la détente. Hein ? Qu'est-ce t'en penses ?
Fernand les regarde longuement.
MONSIEUR FERNAND
Je dis pas non.
Folace, les armes des Volfoni à la main, sourit.
Fernand s'assoit, et prend un couteau et une tranche de pain.
RAOUL VOLFONI
Mais dis donc, on est quand même pas venu pour beurrer des
sandwiches ?
Fernand ne lui répond pas, et commence à beurrer la tranche de
pain.
PAUL VOLFONI
Pourquoi pas ? Au contraire, les tâches ménagères ne sont
pas sans noblesse...
Il s'assoit sur une chaise, les yeux rivés sur la sacoche
débordante de billets de banque. Raoul reste debout, le regard
sévère. Folace dépose les pistolets des Volfoni dans le tiroir de
la table, puis se rassoit à sa place... devant le tiroir ! Jean
est toujours debout près de la porte, arme au poing.
PAUL VOLFONI
... surtout lorsqu'elles constituent le premier pas vers
des négociations fructueuses. Hein ?...
Folace tend deux assiettes à Paul, une de rillettes, et une autre
avec des tranches de pain de mie.
PAUL VOLFONI
Merci.
Jean regarde Fernand, puis remet son arme dans la poche intérieure
de sa veste. Raoul lui jette un regard en coin. Jean sort de la
cuisine. Raoul affiche un sourire un peu crispé et agite une boîte
de bonbons, probablement des Cachou. Fernand tend la main, et
Raoul lui dépose un bonbon dans la main. Comme il est penché sur
la table, son regard ne peut quitter la sacoche de billets. Il
plonge son autre main à l'intérieur, tout en continuant à agiter
sa boîte de bonbons, sans se rendre compte que Fernand a retiré sa
main.
MONSIEUR FERNAND
Maître Folace...
Raoul se redresse, et arrête d'agiter sa boîte.
MONSIEUR FERNAND
... vous avez oublié de planquer les motifs de fâcherie.
Folace referme vivement la sacoche. Raoul sourit niaisement.
Folace prend la sacoche et la dépose sous la table. Paul suit la
sacoche du regard. Il reste néanmoins quelques billets sur la
table.
PAUL VOLFONI
Oh, Monsieur Fernand...
MONSIEUR FERNAND
Tu connais la vie, Monsieur Paul...
Raoul s'assoit entre Fernand et Folace. Il remet la boîte de
bonbons dans sa poche. Fernand et Folace se remettent à beurrer
des tranches de pain de mie.
MONSIEUR FERNAND
Mais pour en revenir au travail manuel, là, ce que vous
disiez est finement observé. Et puis, ça reste une base.
RAOUL VOLFONI
Ça, c'est bien vrai, hein. Si on bricolait plus souvent, on
aurait moins la tête aux bêtises.
Folace lui tend un couteau et une tranche de pain. Raoul commence
à beurrer la tartine.
RAOUL VOLFONI
Ouais !...
On entend la porte de la cuisine qui s'ouvre.
LA JEUNE FILLE ÉMÉCHÉE (voix off)
Jean !
Fernand, Raoul et Folace se retournent.
Une jeune fille, visiblement éméchée, vient d'ouvrir la porte de
la cuisine. C'est apparemment la même jeune fille, qui, quelques
temps auparavant, réclamait déjà de l'alcool à Jean.
LA JEUNE FILLE ÉMÉCHÉE
Ben, où il est, Jean ?
Paul, absorbé par son travail de « tartinage », n'a même pas
relevé la tête.
MONSIEUR FERNAND
Qu'est ce que vous lui voulez ?
Elle se penche sur la table en bousculant Paul.
LA JEUNE FILLE ÉMÉCHÉE
Y a plus de glace et y a plus de scotch !
Fernand essaie de rester calme.
MONSIEUR FERNAND
Maître Folace, donnez-lui des jus de fruit, allez...
UNE INVITEE
Pas de jus de fruit, du scotch. Vos jus de fruit vous
pouvez vous les...
Folace essaie de repousser la fille qui avance vers Fernand.
MAITRE FOLACE
Allons, mademoiselle !
Il réussit à la repousser, et prend un air très sérieux, presque
sentencieux.
MAITRE FOLACE
L'oncle de Patricia vous dit qu'il n'y a plus de scotch, un
point c'est tout.
LA JEUNE FILLE ÉMÉCHÉE
Vous n'avez qu'à en acheter, avec ça.
Elle ramasse une poignée de billets, qui trainent encore sur la
table.
Folace lui saisit fermement le poignet. En la voyant toucher à
l'argent, il a instantanément changé. De calme et pondéré, il est
devenu quasiment hystérique.
MAITRE FOLACE
Touche pas au grisbi, salope !
Il la regarde sauvagement, les dents serrés, les lèvres
tremblantes et les yeux agités de tics.
Raoul et Fernand regardent la fille d'un air sombre, presque
menaçant.
La fille, soudain effrayée, sort en titubant de la pièce et claque
la porte derrière elle.
PAUL VOLFONI
De l'alcool à cet âge-là !
Il soupire.
Fernand semble un peu énervé.
MONSIEUR FERNAND
Ah non, mais c'est un scandale, hein ?
RAOUL VOLFONI
Ben... Nous par contre, on est des adultes... on pourrait
peut-être s'en faire un petit ? Hein ?...
Il continue à beurrer sa tranche de pain, et regarde Fernand avec
un petit sourire. Fernand semble calmé.
MONSIEUR FERNAND
Ça, le fait est. Maître Folace ?
Du regard, il désigne les cadavres de bouteille sur la table.
Folace se lève.
MAITRE FOLACE
Seulement, le tout venant a été piraté par les mômes.
Qu'est ce qu'on fait, on se risque sur le bizarre ?
Il se penche, ouvre une porte du buffet, et en sort une bouteille
pleine, qui contient un bon litre d'alcool. Elle ressemble à une
petite bonbonne, avec un bouchon à vis et une petite poignée en
verre près du goulot. Sur l'étiquette, sont dessinées trois cartes
à jouer, avec trois rois. Au-dessus, en lettres gothiques, est
écrit : « The Three Kings » (Les Trois Rois), et en-dessous, aussi
en lettre gothiques, est écrit : « Scotch Whisky ».
MAITRE FOLACE
Ça va rajeunir personne.
Raoul regarde la bouteille en souriant.
RAOUL VOLFONI
Ben, nous voilà sauvés.
Folace s'assoit et commence à dévisser le bouchon de la bouteille.
MAITRE FOLACE
Sauvés, faut voir !
Jean entre dans la cuisine, un plateau vide à la main. Il referme
la porte et pose son plateau sur le buffet. Il s'avance vers la
table et regarde Folace remplir un verre.
JEAN
Tiens, vous avez sorti le vitriol ?
Folace tend le verre à Fernand.
PAUL VOLFONI
Pourquoi vous dites ça ?
MAITRE FOLACE
Hé !...
Il ricane et lui tend un verre. Paul le prend et le regarde.
PAUL VOLFONI
Il a pourtant un air honnête.
Jean pose d'autres verres sur la table et sourit à Paul.
Fernand inspecte le contenu de son verre.
MONSIEUR FERNAND
Sans être franchement malhonnête, au premier abord, comme
ça, il... a l'air assez curieux.
Folace donne un verre à Raoul et en remplit un autre pour Jean.
MAITRE FOLACE
Il date du Mexicain, du temps des grandes heures, seulement
on a dû arrêter la fabrication, y a des clients qui
devenaient aveugles. Alors ça faisait des histoires.
Folace remplit un autre verre pour lui-même.
RAOUL VOLFONI
Allez !
Il trinque avec Fernand, puis avec Folace, qui trinque aussi avec
Fernand. Jean trinque avec Paul, et Fernand lève son verre vers
Jean et Paul.
Raoul approche son verre de ses lèvres.
Les autres le regardent avec expectative.
Raoul finit par boire une gorgée.
Les autres le regardent avec encore plus d'attention.
Raoul baisse son verre. Il a la voix un peu rauque.
RAOUL VOLFONI
Ah ! Faut reconnaître...
Il a un haut-le-coeur.
RAOUL VOLFONI
... c'est du brutal !
Paul, lui, a carrément les larmes aux yeux.
(NOTE - Pour la petite histoire, lors du tournage de la scène, les
copains de Jean Lefebvre, qui jouait le rôle de Paul Volfoni, lui
avaient fait une blague. Alors que l'accessoiriste avait mis de
l'eau colorée dans les verres, ses copains, non seulement, lui
avaient vraiment mis de l'alcool dans son verre à lui, mais avait
en plus rajouté du poivre ! Ses larmes sont donc bien réelles ! -
Cette anecdote est d'ailleurs racontée par Jean Lefebvre lui-même
dans l'un des bonus du DVD du film.)
PAUL VOLFONI
Vous avez raison, il est curieux, hein ?
MONSIEUR FERNAND
J'ai connu une polonaise qu'en prenait au petit déjeuner.
Il boit une gorgée à son tour. Et c'est avec, lui aussi, une voix
un peu rauque, qu'il dit :
MONSIEUR FERNAND
Faut quand même admettre, c'est plutôt une boisson d'homme.
Paul s'essuie les yeux avec son mouchoir.
Raoul finit son verre, Paul aussi. Fernand se racle la gorge avant
de finir le sien.
Folace finit son verre, claque la langue, enlève ses lunettes et
tombe la veste. Jean finit son verre, le pose sur la table, prend
la bouteille et commence à resservir tout le monde.
Raoul boit une gorgée et se penche vers Fernand.
RAOUL VOLFONI
Tu sais pas ce qu'il me rappelle ?
Fernand secoue la tête en signe de dénégation.
RAOUL VOLFONI
Cette espèce de drôlerie qu'on buvait dans une petite taule
de Biên Hoa, pas tellement loin de Saïgon. Les volets
rouges et la taulière, une blonde komac. Comment qu'elle
s'appelait, Nom de Dieu ?
MONSIEUR FERNAND
Lulu la Nantaise.
RAOUL VOLFONI
T'as connue ?
Fernand hausse les yeux au ciel.
Paul sent le contenu de son verre.
PAUL VOLFONI
Je lui trouve un goût de pomme.
MAITRE FOLACE
Y en a.
Raoul fait toujours ses confidences à Fernand.
RAOUL VOLFONI
Et bien, c'est devant chez elle que Lucien le Cheval s'est
fait dessouder.
MONSIEUR FERNAND
Et par qui ? Hein ?
Raoul réfléchit, mais ne trouve pas la réponse.
RAOUL VOLFONI
Ben voilà que j'ai plus ma tête.
MONSIEUR FERNAND
Par Teddy de Montréal, un fondu qui travaillait qu'à la
dynamite.
Fernand prend la bouteille pour se resservir. Il sert d'abord
Raoul.
RAOUL VOLFONI
Toute une époque !
Fernand hoche la tête.
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR NUIT
C'est maintenant le temps des « slows » avec une musique plus
douce. Derrière la vitrine « napoléonienne », un couple est en
train de danser.
Patricia entre dans la pièce avec une assiette à la main. Elle se
dirige vers Antoine, qui semble un peu rêveur.
PATRICIA
Tu boudes ?
Antoine répond d'une voix douce, presque en chuchotant
ANTOINE DELAFOY
Bouder moi, tu plaisantes... N'empêche que je commence à en
avoir assez, moi, des amours clandestines. S'embrasser par
téléphone... même deux fois par jour, c'est bien mignon,
mais je suis un homme, moi, tu comprends ? Tout ça à cause
de ton oncle. Écoute, c'est vraiment trop bête, on dirait
que vous avez tous peur de lui. Mais je vais aller lui
parler, moi.
PATRICIA
Tu vas lui parler de quoi ?
Antoine embrasse tendrement Patricia sur la bouche.
ANTOINE DELAFOY
Je vais lui parler de notre mariage, de toi, de moi, de
nous.
PATRICIA
Répète un peu ce que tu viens de dire !
Antoine lui dépose un petit bécot sur les lèvres.
ANTOINE DELAFOY
De toi, de moi.
PATRICIA
Oh non, juste le premier mot. C'était le meilleur.
MANOIR DU MEXICAIN - CUISINE - INTÉRIEUR NUIT
Fernand vide le fond de la bouteille dans le verre de Jean. Tout
le monde est maintenant en chemise, sauf Paul et Jean. Folace
parle d'une voix visiblement très embuée par l'alcool.
MAITRE FOLACE
D'accord, d'accord, je dis pas qu'à la fin de sa vie, Jo le
Trembleur, il avait pas un peu baissé. Mais n'empêche que,
pendant les années terribles, sous l'occup', il butait à
tout va. Il a quand même décimé toute une division de
panzers. Ah !
RAOUL VOLFONI
Il était dans les chars ?
MAITRE FOLACE
Non, dans la limonade...
Il frappe sur l'épaule de Raoul.
MAITRE FOLACE
Sois à ce qu'on te dit !
Raoul se met à pleurnicher.
RAOUL VOLFONI
Mais j'ai plus ma tête...
MAITRE FOLACE
Il avait son secret, le Jo.
Il essaie de remettre ses lunettes, mais n'y arrive pas et se
plante les branches dans les yeux. D'un seul coup, Raoul
écarquille les yeux. Il se lève lentement, très raide.
RAOUL VOLFONI
C'est où ?
Jean se lève avec difficulté de sa chaise.
JEAN
A droite, au fond du couloir.
Raoul sort précipitamment de la cuisine et referme la porte
derrière lui. Folace a fini par arriver à remettre ses lunettes.
Jean se rassoit.
MAITRE FOLACE
Et... Et... Et... cinquante kilos de patates, un sac de
sciure de bois, il te sortait vingt-cinq litres de trois
étoiles à l'alambic. Un vrai magicien, le Jo.
Il frappe violemment de la main sur la table et hausse le ton.
MAITRE FOLACE
Et c'est pour ça que je permets d'intimer l'ordre à
certains salisseurs de mémoire qu'ils feraient mieux de
fermer leur claque-merde ! Ah !
Fernand se racle la gorge.
Folace essaie, avec beaucoup de difficulté, d'introduire une
cigarette dans son fume-cigarette. Paul le regarde, les yeux dans
le vague.
PAUL VOLFONI
Vous avez beau dire, y a pas seulement que de la pomme, y a
autre chose, ce serait pas des fois de la betterave ?
Hein ?
Fernand dodeline de la tête.
MONSIEUR FERNAND
Si, y en a aussi.
Paul sourit.
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR NUIT
Debout et appuyé des deux mains sur la table, Raoul, toujours bien
éméché, fait les yeux doux à Patricia.
RAOUL VOLFONI
On vous apprend quoi, à l'école, mon petit chat ? Les
jolies filles en savent toujours trop. Vous savez comment
je le vois, votre avenir ? Vous voulez le savoir ?
Raoul lâche la table, mais a du mal à tenir debout. Il fait
quelques pas vers Patricia, qui s'écarte en riant.
PATRICIA
Non, non, non, non, non, non...
Il se raccroche à la table en affichant un sourire niais.
RAOUL VOLFONI
Ben, je vais vous le dire quand même...
Patricia l'écoute, bouche ouverte, ayant du mal à retenir son
hilarité.
RAOUL VOLFONI
Je vois une carrière internationale, des voyages, ouais,
l'Égypte par exemple, c'est pas commun ça, l'Égypte ? Et
puis, ce qui a de bien c'est que, là-bas, l'artiste est
toujours gâtée.
Patricia met la main devant sa bouche pour masquer son fou-rire.
Elle regarde vers Antoine, qui vient d'entrer dans la pièce.
ANTOINE DELAFOY (voix off)
Patricia ?...
En voyant entrer un « rival », Raoul affiche maintenant un petit
air pincé, avec les yeux outrageusement plissés.
Antoine, lui, contrairement à Patricia, ne semble pas trouver la
scène très drôle, et c'est d'une voix sèche qu'il s'adresse à
Raoul.
ANTOINE DELAFOY
Monsieur désire un... renseignement ?
Patricia lui répond sur un ton badin.
PATRICIA
Non, monsieur me proposait une tournée en Égypte.
ANTOINE DELAFOY
Hein ?
Raoul se sent soudain un peu décontenancé devant l'allure
autoritaire d'Antoine.
RAOUL VOLFONI
Non, je disais l'Égypte... comme ça ! J'aurais aussi bien
pu dire... le Liban.
ANTOINE DELAFOY
Je vois, Monsieur dirige sans doute une agence de voyage ?
PATRICIA
Mais non, voyons, chéri, Monsieur fait la traite des
blanches, mais tu sais que c'est courant. Allez, viens !
Antoine semble soudain très en colère, et Patricia l'entraine hors
de la pièce.
Raoul soupire d'un air désabusé. Il frappe des mains l'une contre
l'autre.
MANOIR DU MEXICAIN - CUISINE - INTÉRIEUR NUIT
Folace ronfle, affalé sur la table. Devant lui, la bouteille vide
de whisky frelaté. Une main pose une autre bouteille, légèrement
entamée, du même whisky frelaté à côté de la première.
Fernand attrape un morceau de pain de mie, dans une assiette, et
le regarde avec des yeux vagues.
MONSIEUR FERNAND
Je reprendrais bien quelque chose de consistant, moi !
Il mord dans le morceau de pain.
En face de lui, Paul mâchouille, lui aussi, un morceau de pain.
Assis à côté de Fernand, Jean est, lui aussi, en train de manger.
Raoul entre dans la cuisine, d'un pas titubant, referme la porte,
et s'approche de la table. Sa présence réveille Folace.
RAOUL VOLFONI
Dis donc... elle est maquée à un jaloux, ta nièce ? Hein ?
Je lui faisais un brin de causette, le genre réservé, tu me
connais, mousse et pampre, voilà tout d'un coup qu'un petit
cave est venu me chercher, les gros mots et tout !
Fernand se lève lentement. Il a, comme Raoul, du mal à tenir
debout.
Raoul est soudain un peu effrayé par le regard menaçant de
Fernand, qu'il pense lui être adressé.
MONSIEUR FERNAND
Quoi ? Monsieur Antoine !
Fernand fait le tour de la table, un sourire narquois aux lèvres.
Folace se lève et le suit.
MONSIEUR FERNAND
Il s'agit pas de lui faire franchir les portes, il faut
peut-être le faire passer à travers.
Il ouvre brusquement la porte de la cuisine, et sort, suivi par
Folace.
Raoul regarde Jean d'un air interrogateur.
Jean termine tranquillement son verre
JEAN
Je serais pas étonné qu'on ferme !
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR NUIT
Fernand attrape Antoine par le bras et le pousse vers le
vestibule.
MONSIEUR FERNAND
Dehors tout le monde ! Allez les petites filles, au dodo !
Dehors !...
Antoine se dirige vers le vestibule, suivi par Fernand et Folace.
MONSIEUR FERNAND
Et les familles françaises, ça se respecte, monsieur. Les
foyers c'est pas des putes, hein !
ANTOINE DELAFOY
Une seule excuse, monsieur, à cet excès de familiarité,
c'est l'excès de boisson.
MONSIEUR FERNAND
Oh ! Mais...
Il se tourne vers Folace.
MONSIEUR FERNAND
Qui qu'a bu ? Hein ?
MAITRE FOLACE
Oh ! Du jus de pommes.
MONSIEUR FERNAND
Le tact, moi, monsieur Antoine et à toute la bande... Allez
hop.
Il pousse Antoine à travers le vestibule, sous les regards médusés
des autres invités. Folace revient vers l'intérieur de la pièce.
MAITRE FOLACE
Allez, allez dehors, on ferme.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR NUIT
Fernand pousse Antoine à travers tout le vestibule jusqu'à la
porte d'entrée, que Jean vient obligeamment d'ouvrir.
MONSIEUR FERNAND
Allez, allez, allez, allez...
Il le pousse dehors. Les autres invités, choqués, commentent
l'évènement, mais, avec le bruit et la musique, on ne comprend pas
leurs paroles.
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR NUIT
Folace pousse tous les occupants du salon vers le vestibule.
MAITRE FOLACE
Allez, allez, allez, allez, allez...
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR NUIT
Folace continue à pousser les invités vers la porte d'entrée.
MAITRE FOLACE
La sortie c'est par là. Allez oust.
Un invité essaie de résister à la poussée de Folace en
s'accrochant à un meuble.
MAITRE FOLACE
On retire sa main de là. Allez, allez.
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR NUIT
Raoul, l'oeil égrillard, pousse les jeunes gens vers la sortie, et
en profite pour tripoter les filles au passage. Plusieurs filles
crient.
MAITRE FOLACE (voix off)
Barrez-vous, je vous dis. Barrez-vous.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR NUIT
Devant la porte d'entrée, Fernand et Folace pousse les invités
dehors.
Au fond du vestibule, derrière l'escalier, Paul pousse les
retardataires.
PAUL VOLFONI
Allez au lit, au lit tout ça.
Devant la porte d'entrée, Raoul s'est joint à Fernand et Folace
pour pousser les invités dehors. Ils ne se rendent pas compte que,
pris par leur élan, ils poussent aussi Paul dehors. Fernand et
Jean referment la porte sur le dernier invité. Fernand, Raoul et
Folace éclatent de rire. Jean les regarde, l'oeil vague, mais sans
rire. A travers la vitre de la porte, on aperçoit le visage de
Paul. Il ouvre lentement la porte. En le voyant, les trois hommes
redoublent de rire. Fernand est même obligé de s'asseoir. Mais
Jean, lui, ne rit toujours pas. Il fait signe à Fernand de
regarder vers l'escalier.
Fernand s'arrête de rire et regarde vers l'escalier. Raoul et
Folace, debout à côté de lui, s'arrêtent aussi de rire, et
regardent vers l'escalier.
A mi-chemin de la première volée de marches, Patricia les regarde
avec une grande tristesse dans le regard.
Fernand se lève et regarde vers l'escalier. Il titube un peu et se
masse le visage. Il regarde Jean, puis s'avance vers l'escalier.
Folace et Raoul regardent Patricia, visiblement mal à leur aise.
Raoul a trouvé un verre à moitié plein, qu'il tient à la main.
Fernand, les mains derrière le dos, se tourne vers ses amis, puis
continue à avancer vers l'escalier.
Patricia est maintenant en larmes. Elle se retourne et finit de
monter l'escalier quatre à quatre.
Fernand se tourne vers Raoul et Folace.
MONSIEUR FERNAND
Bon... On... on causait de quoi ?
RAOUL VOLFONI
De notre jeunesse.
Folace se met à ricaner d'un rire d'ivrogne, qui devient un fou-
rire. Les autres le regardent.
Fondu au noir.
MANOIR DU MEXICAIN - CHAMBRE DE FERNAND - INTÉRIEUR JOUR
Fernand est allongé sur le ventre, en pyjama. Folace, lui aussi en
pyjama, le secoue.
MAITRE FOLACE
Hé... Hé oh !... Oh ! Réveillez-vous ! Réveillez-vous !
Fernand se redresse lentement sur son lit, mais il perd
l'équilibre et retombe à plat ventre, presque en dehors du lit.
Folace l'aide à se relever. Fernand regarde Folace avec des petits
yeux, et la bouche visiblement pâteuse.
MONSIEUR FERNAND
Mais qu'est ce que vous faîtes là, vous ?
MAITRE FOLACE
J'ai le regret de vous faire savoir que Mademoiselle
Patricia ne s'est pas rendue à son cours ce matin.
Fernand se masse le visage.
MONSIEUR FERNAND
Quoi ?
Folace se penche sur lui et hausse le ton.
MAITRE FOLACE
Patricia... n'est pas allée aux cours ce matin.
L'institution vient de téléphoner.
Fernand se lève du lit... avec une certaine difficulté.
MONSIEUR FERNAND
Bien, je vous garantis qu'elle va y aller, à son cours.
Elle va même y aller tout de suite, hein !
Il finit de se lever et enfile sa robe de chambre, aidé par
Folace.
MANOIR DU MEXICAIN - PALIER - INTÉRIEUR JOUR
Fernand traverse le palier, suivi par Folace, qui continue à
l'aider à mettre sa robe de chambre. Jean, toujours aussi
imperturbable dans sa veste blanche, les regarde passer. Fernand
et Folace entrent dans la chambre de Patricia.
MONSIEUR FERNAND (voix off de la chambre de Patricia)
Mais elle est partie !
Fernand se penche pour regarder ce qu'il se passe dans la chambre.
MANOIR DU MEXICAIN - CHAMBRE DE PATRICIA - INTÉRIEUR JOUR
Fernand regarde autour de lui dans la chambre, d'un air désabusé.
Il finit par s'asseoir sur le lit.
MONSIEUR FERNAND
Mais enfin, c'est pas possible ?
MAITRE FOLACE
Vous avez connu sa mère ?
Fernand soupire.
MONSIEUR FERNAND
Quel est le rapport ?
MAITRE FOLACE
L'hérédité. Cette manie qu'elle avait, la maman, de
toujours faire la valise.
MONSIEUR FERNAND
Suzanne « Beau Sourire » a été élevée à Bagneux sur la
zone. Et, à seize ans, elle était sujet vedette chez Madame
Reine. Alors je vous répète, je vois pas le rapport.
MAITRE FOLACE
On pourrait peut-être... prévenir la police ?
MONSIEUR FERNAND
Vous voulez que le Mexicain se retourne dans sa tombe,
non ? Sa fille recherchée par les perdreaux. Ah, y a
vraiment des jours où vous déconnez ferme, hein ? Jean !
Jean entre dans la chambre.
JEAN
Monsieur ?
MONSIEUR FERNAND
Dites donc, euh... Vous avez vu partir la petite, vous, ce
matin ?
JEAN
Oui, Monsieur, comme d'habitude, à huit heures.
MONSIEUR FERNAND
Et vous avez rien remarqué ?
JEAN
Si Monsieur, les valises.
Fernand se tourne vers Folace, l'air ahuri.
MONSIEUR FERNAND
Non mais !...
Il se lève.
MONSIEUR FERNAND
Comment, c'est maintenant qu'y me dit ça.
Il se met à marcher de long en large dans la pièce.
MONSIEUR FERNAND
Bon dieu, c'est pas vrai, non mais c'est pas vrai.
Comment ? Une môme qui s'en va soit disant à l'école avec
ses valoches et vous, vous trouvez ça naturel, vous ?
MAITRE FOLACE
Go on, go on, go on, and he'll break your dirty face.
(Traduction : Continue, continue, continue, et il va te
casser ta sale gueule.)
MONSIEUR FERNAND
Ah, on peut dire que je suis comblé.
Il noue la ceinture de sa robe de chambre.
MONSIEUR FERNAND
Merci Messieurs, merci ! Ah oui !
Jean sourit à Folace, et sort un petit papier de la poche
pectorale de sa veste.
MONSIEUR FERNAND
Qu'est-ce que c'est que ça ?
Jean a ouvert le papier sur lequel est écrit : « POR 89 89 » et
en-dessous : « 5532 NA 75 ».
(NOTE - Jusqu'en 1963, année de la sortie du film, à Paris, les
indicatifs téléphoniques n'étaient, non pas des chiffres, mais des
lettres correspondant aux trois premières lettres du nom du
central auquel ils étaient rattachés. POR correspond donc à Port-
Royal. Quant à ce qui est écrit sous ce numéro de téléphone, il
s'agit du numéro d'immatriculation du taxi, tel que les
immatriculations étaient en vigueur jusqu'en octobre 2009. Les
deux derniers chiffres, 75, signifient que le taxi est immatriculé
À PARIS)
JEAN
C'est le numéro du radio-taxi qu'elle a pris.
Folace sourit. Jean se tourne vers lui, et lui dit, sur un ton un
PEU SEC :
JEAN
Yes sir !
(Traduction : Oui, monsieur !)
Le sourire de Folace s'efface de son visage. Jean, lui, sourit
béatement.
PARIS - UNE PETITE RUE - INTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur le logo « Radio-Taxi » collé sur le côté de la
Peugeot 404 noire.
Le taxi se gare dans une petite ruelle, presque une impasse.
A travers le pare-brise, on voit le chauffeur du taxi, et assis
derrière lui, Fernand, portant un costume sombre. Il pointe du
doigt quelque chose devant la voiture.
MONSIEUR FERNAND
Vous êtes sûr que c'est là ?
CHAUFFEUR DU TAXI
Un peu, j'ai coltiné les bagages à la troisième baraque.
Du doigt, il désigne l'immeuble.
MONSIEUR FERNAND
Non mais, elle est folle ?
Il ouvre la porte et sort du taxi.
CHAUFFEUR DU TAXI
C'est ce qu'on a toujours tendance à croire chaque fois
qu'elles nous font la malle.
TAXI - INTÉRIEUR JOUR
Plan pris de l'intérieur du taxi, comme si la caméra était posé
sur le siège passager avant.
Fernand se penche par la vitre ouverte du chauffeur.
MONSIEUR FERNAND
Attendez-moi, j'en ai pour cinq minutes.
CHAUFFEUR DU TAXI
Ah, j'aimerais mieux que vous appeliez un collègue.
PARIS - UNE PETITE RUE - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché du chauffeur, vu par sa vitre ouverte.
CHAUFFEUR DU TAXI
Si la petite dame me voit, j'aurais le vilain rôle.
Comprenez... cafarder, c'est pas beau.
Il jette un oeil sur le compteur.
CHAUFFEUR DU TAXI
Six cinquante... Et puis nous, dans le métier, les
ruptures, les retrouvailles, toutes les fluctuations de la
fesse, on préfère pas s'en mêler.
Fernand sort une liasse de billets, et en extrait un qu'il donne
au chauffeur, qui le met dans la poche pectorale de sa veste.
CHAUFFEUR DU TAXI
Moi j'ai un collègue comme ça, transporteur de cocus, y
s'est retrouvé criblé en plein jour, rue Godeau, par une
maladroite.
Fernand tapote nerveusement sur le rebord de la vitre baissée. Le
chauffeur sort de la monnaie de sa poche et tend une pièce à
Fernand.
MONSIEUR FERNAND
Oui, bon ben, ça va, ça va !
CHAUFFEUR DU TAXI
Voilà, monsieur, merci bien...
Fernand lui met une grosse poignée de pièces dans la main, et
s'éloigne.
CHAUFFEUR DU TAXI
Merci... Hé !...
Fernand qui avait commencé à remonter la ruelle, se retourne vers
le taxi.
Le chauffeur lui adresse un gentil sourire.
CHAUFFEUR DU TAXI
Soyez quand même pas trop dur...
IMMEUBLE D'ANTOINE - PALIER - INTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur la porte de l'appartement d'Antoine Delafoy. Un
porte-carte est vissé sur la porte, porte-carte dans lequel est
glissé une carte de visite, sur laquelle est inscrit : « Antoine
Delafoy », et en-dessous : « Compositeur ».
On entend deux coups frappés sur la porte, puis le gros plan se
déplace de la carte de visite vers la poignée de la porte. La main
de Fernand tourne la poignée et la porte s'ouvre. On voit la
silhouette de Fernand entrer dans l'appartement.
APPARTEMENT D'ANTOINE - COULOIR - INTÉRIEUR JOUR
Bruit de percussions « musicales ».
Fernand entre dans le couloir d'entrée de l'appartement, qui est
situé sous les toits de l'immeuble. La partie haute du mur, côté
toit, est inclinée. Et les fenêtres sont des lucarnes. Fernand
referme la porte derrière lui. Il avance dans le couloir, se
dirigeant vers le son des percussions.
APPARTEMENT D'ANTOINE - SÉJOUR - INTÉRIEUR JOUR
La salle de séjour de l'appartement est une grande pièce, sur les
murs desquels sont accrochés plusieurs instruments de musique
conventionnels. Du plafond pendent des cordes sur lesquelles sont
accrochés des tubes de verre. Dans un angle, un grand canapé de
forme arrondie. Plusieurs fauteuils sont disséminés dans la pièce
Devant Fernand, une structure métallique supporte divers
instruments de percussions, certains reconnaissables, comme une
cymbale, d'autres inventés par le « compositeur », par exemple des
pièces métalliques qui tournent sur un axe vertical.
Travelling le long de la structure métallique. Des balles de ping-
pong tombent sur la cymbale, sur laquelle elles rebondissent. A
côté de la cymbale, un bocal de verre contient d'autres balles de
ping-pong, puis on découvre divers récipients de chimiste, puis
des robinets. Les deux derniers robinets semblent un peu antiques.
Ces robinets laissent tous couler des filets d'eau, d'importance
variable d'un robinet à l'autre. Des micros sur pied sont posés
devant la structure métallique. Le travelling se termine sur
Antoine assis devant une table installée devant une grande baie
vitrée. Sur cette table, sont posés trois magnétophones. Des
ventilateurs et une girouette tournent à côté d'Antoine. De l'eau
glou-gloute dans un bocal.
Antoine, sentant une présence, se retourne, et découvre Fernand,
debout, les poings sur les hanches.
ANTOINE DELAFOY
Ah Nom de Dieu de Nom de Dieu, mais où faut-il s'expatrier,
mon Dieu, pour avoir la paix ? Au Groenland, à la Terre de
Feu ? J'allais toucher l'anti-accord absolu, vous
entendez ?... Absolu. La musique des sphères... Mais
qu'est-ce que j'essaie de vous faire comprendre, homme-
singe !
Le discours d'Antoine a été débité sur un ton assez passionné, qui
ne semble pas impressionner Fernand. Surtout, il ne semble pas
beaucoup apprécier les robinets.
MONSIEUR FERNAND
Vous permettez ?
Il tourne la manette d'un robinet pour l'arrêter. Antoine pose sa
main sur la sienne.
ANTOINE DELAFOY
Ah non !
MONSIEUR FERNAND
Monsieur Delafoy, quand vous en aurez terminé avec vos
instruments de ménage...
Il ferme tous les robinets un par un.
ANTOINE DELAFOY
Oh, j'attendais ça...
La voix un peu stridente d'Antoine semble indisposer Fernand, qui
ressent encore les effets de sa cuite de la veille.
ANTOINE DELAFOY
... mes instruments de ménage ? L'ironie du primate,
l'humour Louis-Philippard, le sarcasme Prudhommesque.
Il se déplace de long en large dans la pièce.
ANTOINE DELAFOY
Monsieur Naudin, vous faites sans doute autorité en matière
de Bulldozer, tracteur et Caterpillar, mais vos opinions
sur la musique moderne et sur l'art en général, je vous
conseille de ne les utiliser qu'en suppositoires. Voilà !
Et encore, pour enfant. J'ajouterais qu'ayant dormi à la
porte de chez vous, je comprends mal...
Il s'avance vers sa table de travail et arrête ses magnétophones.
Fernand se masse les yeux. Les balles de ping-pong, elles,
continuent de rebondir sur la cymbale.
MONSIEUR FERNAND
Où est Patricia ?
ANTOINE DELAFOY
Je comprends mal, disais-je, votre présence chez moi !
Fernand, très énervé maintenant, hausse la voix.
MONSIEUR FERNAND
Où est Patricia ?
PATRICIA (voix off)
Ici, mon oncle...
Patricia vient d'apparaître à la porte de la cuisine, portant un
petit tablier de soubrette sur sa robe. Fernand s'avance vers
elle.
PATRICIA
Bonjour !
On entend toujours, en fond sonore, la musique « moderne »
d'Antoine.
MONSIEUR FERNAND
Mais enfin... Comment Patricia, mais... qu'est-ce que tu
fais là ? Qu'est ce que ça veut dire, tout ça ?
Patricia, de la main, lui désigne l'intérieur de la cuisine.
PATRICIA
Tu vois, je civette, je bain-marise, je ragougnasse. Bref,
je donne à Antoine tout apaisement dans l'avenir. Logique
non ? Il doit passer sa vie avec moi.
MONSIEUR FERNAND
Passer sa vie ?
Patricia s'avance vers Fernand.
PATRICIA
Naturellement, tu restes déjeuner avec nous ? Chéri !
ANTOINE DELAFOY
Oui ?
PATRICIA
Tu devrais descendre chez l'Italien, je crois que nous
allons manquer de vin.
ANTOINE DELAFOY
Oncle Fernand préfère le Bordeaux ou le Bourgogne ?
Fernand se masse les tempes, et Antoine préfère ne pas insister.
ANTOINE DELAFOY
Hein ?... Ben, on prendra les deux.
Il s'éloigne pour se préparer à sortir. Fernand continue à se
masser les tempes. Patricia s'en aperçoit et le regarde avec
inquiétude.
PATRICIA
Ça ne va pas, qu'est-ce que tu as ?
MONSIEUR FERNAND
Rien... Je deviens louf, c'est tout !
PATRICIA (voix off)
Oh, mon civet qui brûle !
APPARTEMENT D'ANTOINE - CUISINE - INTÉRIEUR JOUR
Dans la cuisine, Patricia soulève le couvercle d'une cocotte,
souffle dans la cocotte et touille sa cuisine avec une cuiller en
bois. Par la porte ouverte, on aperçoit Fernand, toujours debout
au milieu du séjour.
PATRICIA
Tu peux venir, tu sais.
Elle tourne la tête vers Fernand, qui s'avance lentement vers
elle.
MONSIEUR FERNAND
Écoute Patricia... Qu'est ce qui t'a pris de partir comme
ça ? Hein ? Tu nous a fais faire un mauvais sang du diable,
quoi !
Patricia lui met sa cuiller en bois dans la bouche.
PATRICIA
Qu'est ce qui t'a pris de mettre Antoine à la porte ?
MONSIEUR FERNAND
Tu veux mon avis ?
PATRICIA
C'est bien pour ça que je te le fais goûter.
MONSIEUR FERNAND
Et bien, il manque du sel.
Fernand s'énerve un peu.
MONSIEUR FERNAND
Non, mais c'est pas de ça qu'il s'agit, c'est de mon avis
sur ton Antoine.
PATRICIA
Mon Antoine, tu ne crois pas si bien dire...
Elle ouvre le freezer de son réfrigérateur
PATRICIA
... il m'épouse.
MONSIEUR FERNAND
Non, non, non, Patricia, attention, ne nous emballons pas,
hein ! D'abord est-ce que tu l'aimes ? Ben... Est-ce que tu
l'aimes assez pour l'épouser ?
Elle a sorti un bac à glaçons du réfrigérateur et le referme.
PATRICIA
Oh, presque trop, c'est du gâchis. Ça méritait une liaison
malheureuse, tragique, quelque chose d'Espagnol, même de
Russe.
Elle démoule les glaçons dans un petit seau en verre.
PATRICIA
Allez, viens donc boire un petit Scotch, va, ça te fera
oublier ceux d'hier.
Elle s'approche de Fernand.
MONSIEUR FERNAND
Hier, j'ai rien bu. Alors, pas ça !
Il joint le geste à la parole en mettant l'ongle de son pouce sur
ses incisives supérieures.
Elle sort de la cuisine.
APPARTEMENT D'ANTOINE - SÉJOUR - INTÉRIEUR JOUR
Patricia s'approche de la table sur laquelle sont disposés les
apéritifs.
PATRICIA
Alors, pourquoi tu déambulais toute la nuit ? Tu as même
fait couler deux bains.
Fernand entre lentement dans la salle de séjour. Il semble un peu
mal à son aise.
MONSIEUR FERNAND
Les nerfs !...
Il passe derrière elle en se frottant un peu nerveusement les
mains.
MONSIEUR FERNAND
Dis moi, tu comptes rentrer pas trop tard.
Il s'assoit dans un fauteuil.
MONSIEUR FERNAND
Oui, il faudrait pas que la future belle-famille aille
s'imaginer que... que nous menons une vie de bohème, quand
même.
Patricia donne un verre à Fernand.
MONSIEUR FERNAND
Parce que ton Antoine, il est bien gentil avec ses airs...
là... Mais tu vas voir qu'il va nous faire surgir une
famille, comme tout le monde.
Fondu enchaîné.
Un peu plus tard.
Antoine marche de long en large dans la pièce, circulant entre les
nombreux objets de verre qui pendent du plafond. Derrière lui,
Patricia débarrasse la table.
ANTOINE DELAFOY
Bref, seul rescapé d'une famille ébranlée par les guerres
coloniales, les divorces et les accidents de la route,
papa, Adolphe Amédée Delafoy dit « Le Président », un
personnage... Il collectionne les pendules et les
contraventions, les déceptions sentimentales et les
décorations. Il les a toutes sauf la médaille de sauvetage,
la plus belle selon lui, mais la plus difficile à décrocher
quand on est pas breton.
Fernand l'écoute, affalé dans un fauteuil, en chemise et un cigare
au bec. Du pied, il fait sonner l'un des objets de percussion en
verre qui pendent du plafond.
MONSIEUR FERNAND
Un homme curieux, dîtes-donc !
ANTOINE DELAFOY
Un père... Adolphe-Amédée témoigne en matière d'art de
perversion assez voisine des vôtres, défenseur de Puvis de
Chavannes et de Reynaldo Hahn...
MONSIEUR FERNAND
Connais pas.
ANTOINE DELAFOY
Lui, si ! A part ça, ce qu'il est convenu d'appeler un
grand honnête homme. Porté sur la morale et les soubrettes,
la religion et les jetons de présence... Vous connaissez sa
dernière ? Il vient de se faire bombarder vice-président du
Fond Monétaire International.
MONSIEUR FERNAND
Oh ?
Fernand semble soudain très intéressé. Il se met à téter son
cigare d'un air pensif. Derrière lui, Patricia, toujours occupé à
débarrasser la table, le regarde avec attention.
PATRICIA
A quoi penses-tu ?
MONSIEUR FERNAND
Fond Monétaire...
Il fait un clin d'oeil à Patricia.
MONSIEUR FERNAND
... pas bête, ça, tu sais !
MANOIR DU MEXICAIN - EXTÉRIEUR JOUR
Dans le parc du manoir, Théo est debout près d'un petit kiosque en
bois.
Un peu plus loin, son ami, caché par un arbre, observe le manoir,
et plus particulièrement la chambre de Fernand.
MANOIR DU MEXICAIN - CHAMBRE DE FERNAND - INTÉRIEUR JOUR
Jean ouvre les rideaux et laisse entrer la lumière dans la pièce.
Puis il tourne la poignée de la fenêtre.
JEAN, MAÎTRE FOLACE ET PATRICIA (voix off)
Happy birthday to you, happy birthday to you...
Fernand, allongé en pyjama dans son lit, ouvre les yeux, et
regarde ce qui se passe au pied de son lit.
Debout devant le pied du lit, Folace, en robe de chambre sombre,
tient un petit paquet à la main. A côté de lui, Patricia, déjà
habillée d'une robe claire, avec un collier de perles autour du
cou, tient un paquet plus grand derrière son dos. Jean revient de
la fenêtre, qu'il vient d'ouvrir, et se positionne à côté de
Patricia. Lui aussi est déjà habillé en veste blanche, et tient un
petit paquet à la main. Ils chantent tous trois, avec beaucoup de
conviction... mais un peu faux !
JEAN, MAÎTRE FOLACE ET PATRICIA
... happy birthday, Fernand... happy birthday to you !
Patricia s'approche du lit.
PATRICIA
Bon anniversaire, mon Oncle !
Elle l'embrasse sur les deux joues et pose son paquet sur le lit.
Maître tend son petit paquet vers le lit avec un grand sourire.
MAITRE FOLACE
Joyeux anniversaire, mon cher.
Quelqu'un, que l'on ne voit pas (peut-être Patricia) lui prend le
paquet des mains.
Fernand ouvre le paquet et en sort un stylo.
Jean, à son tour, offre son cadeau à Fernand.
JEAN
Good health and happiness, Sir !... Santé et prospérité,
Sir !
(Traduction exacte : Bonne santé et bonheur, monsieur)
Gros plan sur le cadeau de Jean : une pipe. Fernand la retourne
dans sa main.
Il la porte à sa bouche, et aspire un peu pour vérifier le tirage.
Il sourit.
MONSIEUR FERNAND
C'est vraiment trop gentil.
Patricia ramasse un autre paquet, posé sur la table à côté du
plateau du petit-déjeuner.
PATRICIA
On m'a apporté celui-là tout à l'heure.
Elle s'approche du lit, tout en lisant ce qui est écrit sur le
paquet.
PATRICIA
Expéditeur : Volfoni frères.
Fernand tourne vers lui le paquet, que Patricia tient toujours
dans ses mains. A son tour, il lit ce qui est écrit sur le paquet.
MONSIEUR FERNAND
On a beau avoir fait la paix, ça fait quand même quelque
chose.
Il regarde Folace, dont on ne voit pas le visage, mais qui doit
sembler dubitatif, car Fernand ajoute :
MONSIEUR FERNAND
Oh si... Je dois dire que le geste est délicat.
Patricia porte le paquet à son oreille.
PATRICIA
C'est sûrement une pendule, écoute !
On entend un tic-tac provenant du paquet.
Patricia met le paquet contre l'oreille de Fernand. D'un seul
coup, le visage de Fernand s'assombrit. Il arrache le paquet des
mains de Patricia, puis il se redresse vivement sur son lit, et
lance le paquet sur la pelouse par la fenêtre ouverte.
Par la fenêtre, on voit le paquet qui explose sur la pelouse,
envoyant valdinguer les chaises de jardin, dont certaines se
cassent en plusieurs morceaux.
MANOIR DU MEXICAIN - EXTÉRIEUR JOUR
L'ami de Fernand s'éloigne de sa cachette, revenant vers Théo.
Derrière lui, près du manoir, on voit la fumée de l'explosion qui
se dissipe lentement.
Fondu enchaîné.
PÉNICHE - BUREAU - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché sur le verrou de la porte, qui est ouvert. On
frappe, puis on ouvre la porte. Fernand est debout dans
l'encadrement, le visage menaçant. Derrière lui, on voit le bar de
la salle de jeu, et devant le bar, un homme qui nettoie le tapis
de jeu. Fernand chante, les dents serrées.
MONSIEUR FERNAND
Happy birthday to you...
Raoul regarde Fernand d'un oeil surpris et interrogateur.
MONSIEUR FERNAND (voix off)
... Happy birthday to you...
Retour sur Fernand qui continue à chanter.
MONSIEUR FERNAND
... Happy birthday to you-ou-ou, Happy birthday to you...
Le poing de Fernand se détend, et frappe Raoul.
Raoul part à reculons en titubant, et s'écroule contre le mur d'en
face.
Paul, assis au bureau, ferme précipitamment le coffre-fort. Puis
il regarde son frère assis par terre. Il se lève, et marche
lentement vers lui. Il regarde par la porte, qui est restée
ouverte, la ferme rapidement et tourne le verrou. Il revient
ensuite vers son frère, toujours assis par terre contre le mur.
PAUL VOLFONI
Il est parti.
Raoul ouvre les yeux et regarde son frère.
RAOUL VOLFONI
Non mais, t'a déjà vu ça ? En pleine paix, il chante, et
puis crac ! un bourre-pif ! Mais il est complètement fou,
ce mec.
Il se lève. Paul se précipite pour l'aider.
RAOUL VOLFONI
Mais moi, les dingues, je les soigne.
Il se dirige vers un secrétaire, suivi par Paul, qui le soutient.
Il relève la porte du secrétaire, et la coulisse dans la partie
supérieur du meuble pour la maintenir ouverte.
RAOUL VOLFONI
Je vais lui faire une ordonnance... et une sévère...
Il s'assoit sur une chaise, et du secrétaire, il sort un paquet de
bâtons de dynamite liés ensembles. Sur les bâtons de dynamite, est
fixé une grenade.
RAOUL VOLFONI
Je vais lui montrer qui c'est Raoul.
Il prend un tournevis dans le secrétaire.
RAOUL VOLFONI
Aux quatre coins de Paris qu'on va le retrouver, éparpillé
par petits bouts, façon puzzle.
Il visse plusieurs vis sur la bombe.
RAOUL VOLFONI
Moi, quand on m'en fait trop, je « correctionne » plus, je
dynamite, je disperse, je ventile.
Il jette le tournevis à l'intérieur du secrétaire. Il prend deux
fils électrique qui sortent de la bombe pour les relier ensemble.
Une étincelle jaillit. Raoul se recule précipitamment dans les
bras de son frère
MANOIR DU MEXICAIN - CHAMBRE DE FERNAND - INTÉRIEUR NUIT
Gros plan sur la porte de l'armoire, que la main de Fernand est en
train d'ouvrir. Les mains de Fernand fouille dans une pile de
linge, et en sortent un revolver.
Fernand est en robe de chambre sombre. Il referme lentement la
porte de son armoire, et, tout aussi lentement, se dirige vers la
porte ouverte de sa chambre, le revolver en main. Avant de sortir,
il s'arrête et écoute longuement. Il met le revolver dans la poche
de sa robe de chambre, puis sort de la pièce.
MANOIR DU MEXICAIN - EXTÉRIEUR NUIT
Façade arrière de la maison. Une petite terrasse étroite court le
long de la façade. L'éclairage extérieur s'allume.
Fernand sort lentement par une porte-fenêtre, puis il marche le
long de la terrasse. Au bout de la terrasse, un petit escalier de
quelques marches descend vers le parc.
MANOIR DU MEXICAIN - GARAGE - INTÉRIEUR NUIT
Par la baie vitrée du garage, on voit Fernand qui marche le long
de la terrasse.
Devant la baie vitrée, une étagère encombrée d'objets aussi divers
qu'hétéroclites, comme on en trouve dans ce genre de local
(bouteilles de produits d'entretien, outils, etc.)
Paul, en pardessus, et casquette sur la tête, est caché dans un
coin sombre. Par la baie vitrée, on voit Fernand rentrer dans la
maison et fermer la porte-fenêtre. La lumière extérieure du manoir
s'éteint. Paul se tourne vers son frère. Il soupire, puis
CHUCHOTE :
PAUL VOLFONI
On n'aurait pas dû venir.
RAOUL VOLFONI
Ta gueule !...
Derrière Paul, dans la pénombre, Raoul prépare son matériel. Il
prend une grosse lampe électrique, la pose sur une table et
l'allume. Il chuchote :
RAOUL VOLFONI
Assure-toi qu'il s'est recouché !...
Paul hausse les sourcils, et se dirige vers la porte d'accès
piétons du garage, qu'il ouvre pour sortir.
Le capot de la 404 de Fernand est ouvert, et Raoul, penché sur le
moteur, a sorti sa bombe d'une sacoche en cuir. Il pose la sacoche
par terre et commence à positionner la bombe dans le moteur. On
entend un chat qui miaule. Raoul se méprend sur le bruit et pense
que c'est son frère qui revient.
RAOUL VOLFONI
Alors, y dort, le gros con ? Ben y dormira encore mieux
quand il aura pris ça dans la gueule !
Le chat continue à miauler. Appuyé sur les étagères, Fernand
écoute Raoul tout en se tapotant nerveusement le bras.
RAOUL VOLFONI (voix off)
Il entendra chanter les anges, le gugus de Montauban. Je
vais le renvoyer tout droit à la maison mère, au terminus
des prétentieux...
CLINIQUE DUGOINEAU - CHAMBRE DE RAOUL - INTÉRIEUR JOUR
Raoul est allongé, en pyjama, sur un lit d'hôpital. Il a un
pansement sur le nez, une mèche dans une narine, et un coquard sur
l'oeil. Il maintient en place un linge humide sur son front. Il
sent une présence dans la pièce et tourne la tête.
RAOUL VOLFONI
Fumier va !
Paul, en costume gris, est debout près de la fenêtre, un petit
paquet de gâteaux de pâtissier à la main. Il semble un peu mal à
son aise.
PAUL VOLFONI
Ben...
Il sourit niaisement.
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur un journal. En titre de première page : « Énigme
dans l'affaire du camion incendié ». Et en dessous : « Parmi les
bouteilles de pastis clandestin, transportées par les fraudeurs,
certaines contenaient de l'essence » Et en-dessous, une photo du
camion en train de flamber. A côté de la photo, on voit une partie
d'un autre titre : « Ben Bella, maître absolu en Algérie », titre
qui rappelle l'époque au cours de laquelle se déroule le film.
MONSIEUR FERNAND (lisant le journal en voix off)
« Énigme dans l'affaire du camion incendié. Parmi les
bouteilles de pastis clandestin transportées par les
fraudeurs, certaines contenaient de l'essence ».
Fernand, en robe de chambre de couleur claire, une cigarette à la
main, est assis derrière un bureau. Il replie le journal, et le
pose sur le bureau.
MONSIEUR FERNAND
Évidemment, ça brûle mieux.
Pascal est assis, en face de lui, sur le bord du bureau, et
Bastien est debout à côté de Pascal.
PASCAL
Oui, mais... Monsieur Fernand, ce que vous avez fait aux
Volfoni, c'est pas bien !
BASTIEN
C'est surtout pas juste !
Fernand croise les bras.
MONSIEUR FERNAND
Elle est bien belle, celle-là ! Comment ? Ils me flinguent
à vue, ils me butent Henri...
PASCAL
Justement pas !
Il fait signe à Bastien de s'expliquer.
BASTIEN
Euh...
Il ne trouve visiblement pas ses mots, et se tourne vers Pascal.
BASTIEN
Ah ! Tiens, explique, toi !
PASCAL
Monsieur Fernand... Si les Volfoni vous avaient seringué,
vous et Henri, qui aurait été aux commandes, hein ?
D'un doigt autoritaire, il désigne Bastien.
BASTIEN
Moi, première gâchette !
Fernand semble songeur.
MONSIEUR FERNAND
Et c'était pas toi !...
Il pose les mains à plat sur le bureau.
MONSIEUR FERNAND
Dites-donc...
Il se lève et contourne le bureau.
MONSIEUR FERNAND
Théo, l'ami Fritz là, question mentalité, quelle cote vous
lui donnez ?
PASCAL
Ben, c'est pas du blanc-bleu.
Fernand marche de long en large dans la pièce.
MONSIEUR FERNAND
Ça vous ennuierait de faire une petite commission pour
moi ?
PASCAL
Nous, si les Volfoni sont plus dans le tourbillon !
BASTIEN
Présenté comme ça, la chose peut nous séduire !
MONSIEUR FERNAND
Et ben alors, vous pourriez peut être passer voir Théo à sa
campagne. Il a sans doute besoin de parler... de causer...
et à vous qu'il connaît bien, il se confierait peut
être ?... Hmm ?...
Fernand est revenu derrière le bureau, sur lequel il récupère sa
grande tasse de café.
PASCAL
Je ne vois pas de raisons pour qu'il nous fasse des
cachotteries.
BASTIEN
Je vois pas non plus...
PASCAL
Ou alors, ce serait vraiment le goût de taquiner !
Fondu enchaîné.
UNE CABINE TÉLÉPHONIQUE - INTÉRIEUR JOUR
Pascal et Bastien sont, tous les deux, dans une cabine
téléphonique, devant un « Taxiphone » à l'ancienne, fonctionnant
avec des jetons. C'est Pascal qui tient le combiné.
PASCAL
Alors voilà, Monsieur Fernand, on est passé à la
distillerie. Théo était pas là, on est tombé sur Tomate...
curieux non ?
MONSIEUR FERNAND (voix off dans le téléphone)
Qu'est ce qu'il faisait là ?
PASCAL
Mais détendez-vous, Monsieur Fernand, il nous l'a dit ce
qu'il faisait là.
Pascal et Bastien éclatent de rire.
Fondu enchaîné.
DISTILLERIE - REZ DE CHAUSSÉE - INTÉRIEUR JOUR
Devant le gros alambic industriel, entouré de vapeur, Tomate est
allongé par terre.
THÉO (voix off)
Pauvre Tomate ! Je le voyais pas s'en aller si vite.
Théo et son ami sont debout au milieu des étagères de bouteilles
vides. Ils regardent le cadavre de Tomate.
L'AMI DE THÉO
Comme ça, on aura pas à le faire, puisque c'est par lui
qu'on devait clôturer.
Théo saisit brutalement son ami par le col de sa veste et le
secoue.
THÉO
C'est tout ce que t'as trouvé ? Tu comprends que si Tomate
est descendu, c'est que l'autre branque a compris et que ça
sera bientôt notre tour.
Il repousse violemment son ami, qui percute une étagère à
bouteilles. Les bouteilles tombent et éclatent par terre.
Théo réfléchit un peu et dit, d'une voix plus calme :
THÉO
Seulement maintenant, on a le droit pour nous.
L'AMI DE THÉO
Le droit ?
Théo sourit.
THÉO
Légitime défense. Avec moi, ça ne pardonne pas.
Fondu au noir.
MANOIR DU MEXICAIN - EXTÉRIEUR JOUR
Folace est debout derrière une porte fenêtre. Il regarde dans le
parc.
MAITRE FOLACE
Mon cher, nous avons de la visite !
Fernand, debout derrière lui, sort de la pièce. Folace lève le
pistolet, qu'il tenait à la main, et tire dans le parc.
Dans le parc, Freddy, qui était visé par Folace, court se cacher.
Il tient aussi un pistolet à la main.
Il rejoint Théo, caché derrière un arbre.
FREDDY
Comme effet de surprise, c'est réussi ! Voilà qu'on se fait
flinguer...
Deux coups de feu retentissent. Freddy s'accroupit. Théo lève son
arme, un pistolet avec un canon très long. Il tire en direction du
manoir.
Folace est caché derrière une fenêtre, en train de visser un
silencieux sur son pistolet. La balle, tirée par Théo, troue l'un
des carreaux de la fenêtre.
Dans le parc, Théo tire de nouveau.
Folace, derrière la fenêtre, tire en direction du parc. Son
pistolet, maintenant muni d'un silencieux, fait le « plop »
caractéristique des silencieux.
Caché derrière un arbre, Théo ajuste son tire en reposant le canon
de son arme sur son avant-bras.
Folace se cache derrière la fenêtre pour éviter la balle de Théo.
MANOIR DU MEXICAIN - UN SALON - INTÉRIEUR JOUR
Une statue sur un socle vole en éclats.
La statue était posé sur un coffre-fort.
Jean est accroupi devant le coffre-fort, dont il tourne les
boutons de combinaison.
A côté de lui, Fernand brosse, de la main, les débris de plâtre
sur son veston.
MONSIEUR FERNAND
Je te demande pas si tu sais les ouvrir !
Jean ouvre le coffre. On y voit des liasses de billets de banque
sur l'étagère supérieure, mais aussi, sur l'étagère centrale, deux
pistolets. Jean en tend un à Fernand.
JEAN
Je ne demande pas à Monsieur si Monsieur sait s'en servir !
Pendant que Fernand arme son pistolet, Jean en sort un autre du
coffre.
MANOIR DU MEXICAIN - PARC - EXTÉRIEUR JOUR
Toutes les armes, sauf celle de Théo, étant munies de silencieux,
elles font toutes le « plop » caractéristique.
Toujours derrière sa fenêtre, Folace tire dans le parc.
Jean entr'ouvre la porte d'entrée, et inspecte le parc.
Folace, derrière sa fenêtre, tire à nouveau.
Jean tire depuis la porte d'entrée.
Caché derrière un arbre, à côté du petit kiosque en bois, Théo
tire en direction du manoir
Caché derrière le kiosque, l'ami de Théo tire lui aussi.
Caché derrière un buisson, Freddy tire deux fois.
Théo, derrière son arbre, tire à nouveau. Il se retourne, et
semble très surpris par ce qu'il voit. Il cache son arme derrière
son dos.
Marchand calmement dans une allée du parc, canne à la main, Amédée
Delafoy, le père d'Antoine, se dirige vers le manoir.
Théo l'observe derrière son arbre.
Amédée le voit, et lève son chapeau pour le saluer. Il est très
élégamment vêtu en sombre, avec noeud papillon.
Théo s'incline vers Amédée en souriant.
Amédée remet son chapeau et reprend sa marche.
Théo hausse les épaules, ne comprenant visiblement pas qui peut
être cet étrange personnage.
Amédée arrive près du manoir.
Jean, derrière une fenêtre, le regarde avec surprise.
JEAN
Monsieur attendait quelqu'un ?
Derrière une autre fenêtre, Fernand regarde aussi Amédée avec
surprise.
MONSIEUR FERNAND
Non...
Derrière une autre fenêtre, au carreau brisé, Folace aussi observe
l'arrivant.
MAITRE FOLACE
D'après Monsieur, serait-ce une feinte de l'ennemi ?
Amédée monte l'escalier qui mène au perron du manoir. Arrivé à la
porte d'entrée, il appuie sur le bouton de la sonnette.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché sur la boîte métallique cylindrique, qui sert de
porte-parapluie. Jean y dépose deux pistolets.
Jean va vers la porte d'entrée, qu'il ouvre. Il pousse Amédée vers
l'intérieur du manoir, puis claque la porte. Amédée donne sa canne
à Jean, et commence à enlever son manteau..
AMÉDÉE DELAFOY
Voulez-vous m'annoncer auprès de Monsieur Fernand Naudin,
je vous prie.
JEAN
De la part de qui ?...
Jean, comprenant que Amédée doit être sourd, hausse la voix.
JEAN
De la part de qui, monsieur ?
Amédée donne son manteau à Jean.
AMÉDÉE DELAFOY
Quoi, qu'est ce qu'il y a mon ami ? Articulez !
C'est presque en hurlant que Jean lui demande :
JEAN
De la part de qui, monsieur ?
Amédée enlève ses gants.
AMÉDÉE DELAFOY
Ah !... De la part du président Delafoy, le père d'Antoine
Delafoy.
Il donne son chapeau à Jean, qui sort rapidement du vestibule.
Amédée, les gants à la main, reste là à contempler le décor, qui
semble lui plaire.
MANOIR DU MEXICAIN - UN SALON - INTÉRIEUR JOUR
Jean entre dans la pièce, portant toujours le manteau, le chapeau
et la canne d'Amédée. Il entend un coup de feu, et se dirige vers
la fenêtre.
MANOIR DU MEXICAIN - EXTÉRIEUR JOUR
Freddy court dans le parc, jusqu'à un piédestal portant une
vasque, et derrière lequel il se cache.
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR JOUR
Jean fait un signe de tête vers le vestibule.
JEAN
Le président Delafoy !
Puis il regarde de nouveau par la fenêtre. Derrière lui, Amédée
entre dans la pièce.
AMÉDÉE DELAFOY
Puisqu'on ne m'annonce pas, je le fais moi-même...
Il s'avance dans la pièce, la main tendue. Les coups de feu, qu'il
n'entend visiblement pas, continuent à retentir.
AMÉDÉE DELAFOY
Président Delafoy...
Fernand saisit Amédée à bras le corps et l'entraîne dans un coin
de la pièce. Jean sort de la pièce. Un vase, posé sur une commode,
éclate sous l'impact d'une balle.
Fernand et Amédée sont maintenant dans un coin de la pièce près de
la fenêtre. Fernand tape amicalement sur le bras d'Amédée.
AMÉDÉE DELAFOY
Moi aussi, je suis... je suis absolument ravi de faire
votre connaissance...
Fernand le pousse à travers la pièce en lui baissant la tête. Des
balles traversent le carreau de la fenêtre devant laquelle ils
viennent de passer.
Ils arrivent dans un autre coin de la pièce. Fernand éclate d'un
rire un peu forcé.
AMÉDÉE DELAFOY
Je vois que vous êtes habitué à mener les choses rondement.
Ce n'est pas pour me déplaire d'ailleurs, j'aime l'action,
l'initiative. Quand j'étais jeune, je jouais au hockey sur
gazon...
Alors qu'Amédée n'entend aucun des coups de feu qui retentissent
autour de lui, il entend sonner une horloge !
AMÉDÉE DELAFOY
Ohhh !... Grand Dieu...
Il s'approche de l'horloge ancienne, posée sur le marbre d'un
meuble. Il l'examine et la caresse, pendant que, derrière lui,
Jean est entré dans la pièce et tire par la fenêtre.
AMÉDÉE DELAFOY
Fin XVIII°, de Ferdinand Berthoud.
Fernand s'approche doucement de lui. On entend les « plop » du
pistolet de Jean.
AMÉDÉE DELAFOY
A moins que ma future belle-fille n'y tienne vraiment, je
l'échangerais bien contre autre chose. Ohhh !...
Fernand le prend par les épaules pour l'éloigner de la zone
dangereuse.
AMÉDÉE DELAFOY
Hein ?...
Ils arrivent dans un autre coin de la pièce, plus éloigné de la
fenêtre, d'où retentissent toujours les coups de feu.
AMÉDÉE DELAFOY
Oui... oui, pardonnez-moi, j'anticipe.
Dans la glace située à côté d'eux, on voit Folace, qui, à son
tour, tire par la fenêtre. Amédée, lui, a remis ses gants pour
faire sa demande officielle.
AMÉDÉE DELAFOY
Et bien, Monsieur, j'ai l'honneur de vous demander la main
de votre nièce Patricia pour mon fils Antoine...
Il s'incline profondément. Dans la glace, on voit Folace qui fait
signe à Fernand de se cacher. Fernand fait « oui » de la tête.
Amédée, qui relève la tête à ce moment-là, prend ce signe comme un
acquiescement à sa requête.
AMÉDÉE DELAFOY
Ah !... Ce oui est un cri du coeur, je n'en attendais pas
moins.
Il prend Fernand dans ses bras. Ils s'éloignent tous les deux,
serrés l'un contre l'autre, donnant presque l'impression qu'ils
sont en train de danser ensemble !
Ils ont atteint un coin apparemment un peu plus tranquille. Amédée
semble d'humeur joyeuse et Fernand lui sourit.
AMÉDÉE DELAFOY
Hé !... Hé !... Et bien voilà !...
MANOIR DU MEXICAIN - EXTÉRIEUR JOUR
Debout près d'une fenêtre, Folace est en train de tirer dans le
parc.
Jean en fait autant à partir de la porte d'entrée entr'ouverte.
Théo tire, caché derrière son arbre.
Son ami tire aussi, caché derrière le kiosque.
Freddy tire aussi, caché dans un buisson. Il s'aperçoit qu'il n'a
plus de munition et s'accroupit derrière le buisson pour recharger
son arme.
MANOIR DU MEXICAIN - UN SALON - INTÉRIEUR JOUR
Amédée contemple les meubles et objets anciens qui l'entourent.
AMÉDÉE DELAFOY
Cette maison est un ravissement.
Il s'approche d'une haute plante verte en pot.
AMÉDÉE DELAFOY
Ah... cette verdure, ce calme.
Il se dirige vers un porte ouverte et s'incline.
MANOIR DU MEXICAIN - UN AUTRE SALON - INTÉRIEUR JOUR
Folace, debout près d'une fenêtre, cache son arme sous sa veste,
et s'incline pour répondre au salut d'Amédée.
MANOIR DU MEXICAIN - UN SALON - INTÉRIEUR JOUR
Amédée admire les objets napoléoniens dans la vitrine de la pièce
voisine. Fernand ferme la porte pour permettre à Folace de
reprendre son « activité ».
MANOIR DU MEXICAIN - UN AUTRE SALON - INTÉRIEUR JOUR
Folace tire le pistolet de sous sa veste, et recommence à tirer.
MANOIR DU MEXICAIN - UN SALON - INTÉRIEUR JOUR
Fernand est adossé sur la porte qu'il vient de fermer.
AMÉDÉE DELAFOY
Et puis voyez-vous, mon cher Monsieur, rien ne vaut ces
vieilles demeures de familles...
Amédée enlève ses gants.
MANOIR DU MEXICAIN - UN AUTRE SALON - INTÉRIEUR JOUR
Folace continue à tirer par la fenêtre.
MANOIR DU MEXICAIN - EXTÉRIEUR JOUR
AMÉDÉE DELAFOY (voix off)
... ces greniers...
Jean tire depuis la porte d'entrée entrebâillée.
Freddy tire, caché derrière le piédestal.
AMÉDÉE DELAFOY (voix off)
... où nous avons joué enfants.
Jean rentre dans la maison.
Théo tire depuis le kiosque.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR JOUR
Jean, caché derrière le radiateur, tire avec deux pistolets vers
la porte d'entrée, qui est restée ouverte. Un tableau,
représentant un homme portant une fraise, lui tombe presque sur la
tête.
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR JOUR
On entend la chute du tableau résonner dans la maison. Amédée tend
l'oreille.
AMÉDÉE DELAFOY
Il me semble avoir entendu...
Fernand bafouille un peu.
MONSIEUR FERNAND
Oui, c'est... c'est le jardinier qui... tue les taupes !...
Jean !
Jean apparaît à la porte.
JEAN
Monsieur ?...
MONSIEUR FERNAND
Euh... Voulez-vous lui dire de faire un peu moins de bruit
s'il vous plaît ?
JEAN
Je vais essayer de lui faire comprendre, Monsieur.
Jean ressort.
Amédée regarde quelque chose situé juste derrière Fernand.
AMÉDÉE DELAFOY
Dîtes moi que c'est un héritage, un cadeau, un objet de
famille, mais ne me dites pas que vous l'avez trouvée à
Paris, vous me tueriez !
Fernand, qui n'a pas vu la direction du regard d'Amédée, affiche
un air un peu ahuri.
MONSIEUR FERNAND
Quoi ?
AMÉDÉE DELAFOY
Ça !...
Il montre un étrange vase monté sur un trépied.
Une balle heurte le plafond et fait tomber une partie du plâtre de
la moulure.
Amédée reçoit une pluie de plâtre sur la tête.
AMÉDÉE DELAFOY
Ouh !
Amédée regarde, avec surprise, son costume sombre couvert de
plâtre.
AMÉDÉE DELAFOY
Oh ! Mais qu'est-ce que c'est ?
Fernand et lui lèvent tous les deux les yeux vers le plafond.
MONSIEUR FERNAND
Des termites.
AMÉDÉE DELAFOY
Hein ?
Fernand lui parle, d'une voix forte, directement dans l'oreille,
tout en lui brossant la veste de la main.
MONSIEUR FERNAND
Des termites ! Ça bouffe tout, les termites ! L'ennui de
ces vieilles demeures où nous avons joué enfants.
D'autres balles heurtent le plafond.
Fernand et Amédée se trouvent couverts par un déluge de plâtre.
AMÉDÉE DELAFOY
Ouh !
Fernand lève les yeux vers le plafond, puis les baisse et regarde
Amédée avec un sourire un peu crispé.
MONSIEUR FERNAND
Sales bêtes !
Il se passe la main dans les cheveux.
MANOIR DU MEXICAIN - EXTÉRIEUR JOUR
Une voiture se gare devant le perron du manoir. Bastien sort du
côté conducteur, et Pascal du côté passager. Ils se dirigent vers
le perron.
Théo sort de sa cachette derrière son arbre et court vers le
kiosque.
Pascal et Bastien escalade l'escalier du perron d'un pas souple et
rapide. Ils sonnent à la porte.
Théo contourne le kiosque en courant. Il se cache derrière Freddy.
FREDDY
Les horribles !
Il se tourne vers Théo.
FREDDY
Séparément, ils sont déjà pas drôles, je suis pas pressé de
connaître leur numéro de siamois.
Théo ricane.
Son ami est toujours caché derrière un arbre, le pistolet à la
main.
Théo siffle dans ses doigts.
Bastien et Pascal, qui sont toujours devant la porte du manoir,
entendent le sifflet de Théo, et glissent immédiatement la main à
l'intérieur de leurs vestes.
L'ami de Théo court vers le kiosque.
Pascal et Bastien regardent dans la direction d'où venaient le
sifflet, et retirent lentement leurs mains de l'intérieur de leurs
vestes. Ils réajustent ensemble leurs cravates, et entrent dans le
manoir.
Théo regarde Freddy.
THÉO
Il faut bien admettre qu'exceptionnellement, Dieu n'est pas
avec nous ! Mais il ne sera pas dit que nous avons sorti le
matériel pour rien...
CLINIQUE DUGOINEAU - ENTRÉE PRINCIPALE - EXTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur une pancarte au-dessus de la porte de la clinique.
Il y est écrit : « Clinique Dugoineau ».
Raoul et Paul sortent de la clinique, manteau sur le bras.
Une Citroën DS s'approche d'eux. A l'arrière, par la vitre
ouverte, Théo tire sur eux à la mitraillette. La voiture
s'éloigne.
VOITURE DE THÉO - INTÉRIEUR JOUR
Freddy est au volant de la DS.
THÉO (voix off venant du siège arrière)
Je te dis pas que c'est pas injuste...
Freddy tourne, en souriant, la tête vers l'arrière du véhicule,
puis reporte son regard vers la route. L'ami de Théo, assis sur le
siège passager avant, garde la tête tournée vers l'arrière.
Théo s'est enfoncé dans son siège. Il semble satisfait de ce qu'il
vient de faire.
THÉO
... je t'ai dis que ça soulage !
CLINIQUE DUGOINEAU - CHAMBRE DE PAUL ET RAOUL - INTÉRIEUR JOUR
Raoul et Paul sont allongés sur deux lits voisins, couverts de
bandages. Raoul a une jambe plâtrée, maintenu en position élevée
par une poulie fixée au plafond. Paul, lui, a une sorte de tente
au-dessus du corps, pour éviter tout frottement avec les draps.
Gros plan sur le visage de Raoul, qui regarde son frère d'un oeil
mauvais.
Paul, un thermomètre dans la bouche fait un signe d'impuissance.
Il retire le thermomètre et s'essuie le nez. Puis il remet le
thermomètre dans sa bouche.
Fondu au noir.
MANOIR DU MEXICAIN - SALON - INTÉRIEUR JOUR
Fernand est en grand habit de cérémonie, prêt à assumer son rôle
de « père de la mariée ». Il porte un col cassé, un gilet gris et
une cravate lavallière gris clair avec une perle piquée dedans. Le
tailleur tourne autour de lui.
LE TAILLEUR
Ah parfait, absolument parfait, et pourtant, une jaquette
c'est difficile à porter !
Il réajuste la veste sur les épaules de Fernand.
LE TAILLEUR
Et Monsieur la porte à ravir. Monsieur a une morphologie de
diplomate.
Le tailleur continue à ajuster la veste sur Fernand, qui semble un
peu agacé par tous ces tripotages.
MONSIEUR FERNAND
Très bien, très bien... soyez assez gentil de m'envoyer
votre facture le plus vite possible, parce que moi, je
repars en province après-demain... hein ?
Il sort du salon, suivi par le tailleur, qui lui brosse la veste
de la main.
MANOIR DU MEXICAIN - UN AUTRE SALON - INTÉRIEUR JOUR
Antoine, aussi élégant que Fernand, avec en plus un oeillet à la
boutonnière et une paire de gants à la main, prend la pose à côté
de Patricia, portant une superbe robe de mariée. Devant eux, un
petit garçon et une petite fille, eux aussi habillés pour la
circonstance.
Le photographe introduit une nouvelle plaque dans un appareil à
soufflet posé sur un trépied.
LE PHOTOGRAPHE
S'il vous plait... Ne bougeons plus !
Un flash de lumière jaillit. Le photographe met une autre plaque
dans son appareil.
LE PHOTOGRAPHE
C'est fini.
Patricia relève sa robe et se précipite vers Fernand, qui vient
d'entrer dans la pièce.
PATRICIA
Mon oncle, c'est merveilleux...
Fernand, toujours en habit, est en train de regarder Jean qui
dispose les cadeaux sur une table.
PATRICIA
... je n'aurais jamais pensé que nous avions autant d'amis.
Elle l'embrasse. Fernand sourit.
MONSIEUR FERNAND
Et nous en avons encore beaucoup plus que tu ne le penses !
Le photographe vient chercher Patricia.
LE PHOTOGRAPHE
Mademoiselle... S'il vous plait.
Le photographe entraîne Patricia pour d'autres photos d'elle
seule, et Antoine rejoint Fernand.
ANTOINE DELAFOY
Vous avez l'air exceptionnellement détendu, Oncle Fernand,
heureux de vivre !
MONSIEUR FERNAND
Ah oui, ça, vous pouvez le dire. Et puis, maintenant que ma
mission de tuteur est terminée, et croyez moi...
Il secoue la main pour expliquer sa pensée, puis il entraîne
Antoine à marcher de long en large dans la pièce. Dans le fond de
la pièce, on voit Patricia avec les deux enfants, et derrière
Antoine, le photographe qui la cadre.
MONSIEUR FERNAND
Et puis... quant aux diverses affaires constituant la dot
de notre petite Patricia, votre cher papa a accepté de les
prendre en charge.
Fernand hésite un peu avant de poursuivre. On le sent sur un sujet
plutôt épineux.
MONSIEUR FERNAND
Elles sont sans doute un petit peu... particulières, mais
enfin... avec un vice-président du fond monétaire à leurs
têtes, et ben moi, je pense que tout ira bien !
ANTOINE DELAFOY
Oui, surtout avec papa, il ne comprend rien au passé, rien
au présent, rien à l'avenir, enfin, rien à la France, rien
à l'Europe, enfin rien à rien. Mais il comprendrait
l'incompréhensible... dés qu'il s'agit d'argent.
Ils rient tous deux de cette boutade.
Folace, en chemise, la veste à la main, entre dans la pièce, l'air
soucieux, puis ressort.
Jean est en train d'examiner les cadeaux de mariage à la loupe.
Fernand se penche sur lui. Puis il lui donne un coup d'épaule.
MONSIEUR FERNAND
C'est pas du toc,non ?
JEAN
Monsieur Fernand... du vieux Paris.
Il semble rassuré par cet avis d'un « expert » !
MONSIEUR FERNAND
Ah !...
On entend la voix de Pascal qui chuchote :
PASCAL (voix off)
Monsieur Fernand...
Jean et Fernand relève la tête.
Pascal vient d'apparaître derrière la porte de la pièce. Il fait
signe à Fernand de venir, tout en chuchotant :
PASCAL
Monsieur Fernand.
Folace, toujours en chemise, apparaît derrière lui. Il pousse
Pascal hors de la pièce.
Jean et Fernand se regardent. Fernand se dirige vers la porte.
Il sort après un dernier regard à Jean.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR JOUR
Fernand sort du salon, et referme la porte derrière lui. Il
regarde Folace et Pascal, qui ont le regard soucieux.
MONSIEUR FERNAND
Qu'est-ce qu'y a ?...
MAITRE FOLACE
Y a du nouveau : Théo est réapparu, il est à la distillerie
avec tout son petit monde.
MONSIEUR FERNAND
Quoi ?
PASCAL
Ils démontent le matériel. On dirait qu'ils vont se faire
la malle.
MONSIEUR FERNAND
Et t'es là ?
Il se dirige vers la porte du salon, qu'il ouvre.
MANOIR DU MEXICAIN - UN SALON - INTÉRIEUR JOUR
Fernand passe la tête derrière la porte.
MONSIEUR FERNAND
Jean ?
Il lui fait signe de venir.
Jean a, lui aussi, le regard soucieux. Il se dirige vers la porte.
MANOIR DU MEXICAIN - VESTIBULE - INTÉRIEUR JOUR
Fernand s'approche de Pascal.
MONSIEUR FERNAND
Ah bravo !
PASCAL
Mais Bastien monte la garde.
Fernand lui fait signe de baisser la voix.
MONSIEUR FERNAND
Chhht !...
Il jette un rapide regard vers le salon.
PASCAL
On aurait pu les flinguer sans douleur...
Jean les rejoint.
PASCAL
... mais on a pensé que Théo vous revenait de droit. On a
déjà vu des patrons se vexer.
MONSIEUR FERNAND
Bon ben... Jean ! Dîtes à mademoiselle que j'ai une course
urgente à faire et que... et que je rejoindrai le... le
cortège à l'église... Voilà ! Hein ! Voilà !
JEAN
Pour ce genre de courses, je conseille à Monsieur, si
Monsieur me permet, de ne pas partir la musette vide.
Pascal s'énerve un peu.
PASCAL
Oh dis donc, tu m'as déjà vu pas emporter ce qu'il faut, où
il faut et quand il faut ?
JEAN
Oh excusez-moi, Monsieur Pascal, mais des jours comme
aujourd'hui, on a plus sa tête.
MONSIEUR FERNAND
Bon, bon, bon, bon...
MAITRE FOLACE
On y va, allez !...
Il se dirige vers la porte d'entrée, mais Fernand le retient.
MONSIEUR FERNAND
Non, non, non, non. Vous !... vous, à l'église ! Hein ?
Là !
Il repousse Folace vers le centre de la pièce, prend ses gants et
met son haut-de-forme gris sur sa tête. Il ouvre la porte et sort,
suivi de Pascal. Il claque la porte derrière lui. Folace les
regarde partir, visiblement très déçu de ne pas participer à cette
« petite fête » ! Il hausse les épaules.
Fondu enchaîné.
DISTILLERIE - COUR - EXTÉRIEUR JOUR
Bastien explique la situation à ses complices.
BASTIEN
Ils sont là, j'en ai déjà repéré trois ! Y en a peut-être
d'autres ?
Le coffre de la 404 de Fernand est ouvert, et Pascal, un pied sur
le pare-choc, est en train de préparer les armes. Fernand enlève
SA VESTE
PASCAL
Qu'est ce qu'on fait, monsieur Fernand ? On attend qu'ils
sortent ? On fait un fermé ou un rabat ?
MONSIEUR FERNAND
J'ai pas le temps d'attendre, moi, je suis de cérémonie à
dix heures !
Il dépose délicatement sa veste sur le siège arrière de la
voiture, et commence à déboutonner son gilet.
MONSIEUR FERNAND
Allez, allons y. Allez.
PASCAL
Bon !
Il prend un pistolet et se dirige vers les bâtiments. Derrière
lui, Fernand enlève son gilet, le brosse et le pose sur la
banquette arrière.
DISTILLERIE - PREMIER ÉTAGE - INTÉRIEUR JOUR
Dans la partie du premier étage transformée en « salon », Théo
étudie des papiers étalés sur un secrétaire, Freddy d'autres
papiers sur une table. L'ami de Théo entre en courant.
L'AMI DE THÉO
Ils arrivent, ils arrivent !
Théo lui fait signe d'y aller. Puis il fait le même signe à
Freddy, qui prend un fusil posé sur la table. Théo remplit une
sacoche de papiers, la ferme, la met sous son bras, prend une
mitraillette sur un fauteuil et sort du « salon ». Il court vers
l'escalier, qu'il descend rapidement.
DISTILLERIE - COUR - EXTÉRIEUR JOUR
Fernand, qui a toujours son chapeau haut-de-forme sur la tête,
choisit une arme dans le coffre de la voiture.
PASCAL (voix off)
Qu'est ce que je vois là ?
Bastien a une mitraillette, d'un modèle assez ancien, à la main,
ce qui n'a pas l'air de plaire à Pascal, qui pointe le doigt sur
l'arme.
PASCAL
Ça ?
BASTIEN
Hé !... Je l'avais pris en cas qu'il aurait fallu tirer en
rafale, des fois qu'ils seraient tous sortis d'un coup,
tatatatata... Hop !
Il fait mine de mitrailler un groupe de personnes. Pascal lui
tapote sur la nuque
PASCAL
C'est marrant que t'aies gardé ce côté maquisard...
Fernand vient de se choisir une arme. Il se tourne vers ses deux
complices. Il a toujours son chapeau sur la tête.
PASCAL (voix off)
... t'es pas en âge d'arrêter tes momeries ?
MONSIEUR FERNAND
Bon alors, c'est fini, oui ? Puisque je vous dis que je
suis pressé ! Hein !
Il va pour s'éloigner, mais il s'aperçoit - enfin ! - qu'il a
toujours son chapeau sur la tête. Il l'enlève et le pose dans le
coffre de la voiture.
DISTILLERIE - REZ DE CHAUSSÉE - INTÉRIEUR JOUR
L'ami de Théo se faufile entre les casiers à bouteilles, l'arme au
poing et l'oeil aux aguets. Un coup de feu retentit et une
bouteille vole en éclats. L'ami de Théo se cache sous une voûte.
D'autres coups de feu cassent d'autres bouteilles.
L'ami de Théo se cache dans un couloir voûté.
Bastien se faufile entre les rangées de bouteilles vides, la
mitraillette à la main.
Dans le couloir voûté, l'ami de Théo continue à progresser avec
précaution.
Bastien montre, du doigt, à ses complices, où se trouve l'ami de
Théo.
L'ami de Théo est accroupi dans le couloir voûté. Il se cache dans
un coin.
Caché dans un recoin, Bastien passe la tête dans le couloir voûté.
IL CHUCHOTE :
BASTIEN
Pascal ! Hé !
La tête de Pascal apparaît par une autre ouverture dans le
couloir. Il tire.
L'ami de Théo se cache derrière un casier à bouteilles.
Pascal regarde où il vient de tirer.
Il a percé un jerrycan d'essence, juste au-dessus de la tête de
l'ami de Théo. L'essence jaillit par les deux trous percés par les
impacts de balle.
Pascal fait signe à Bastien.
Bastien lance sa cigarette allumée vers l'ami de Théo, puis il se
cache rapidement.
Des gerbes de flammes apparaissent dans le couloir, juste à
l'endroit où était caché l'ami de Théo.
DISTILLERIE - PREMIER ÉTAGE - INTÉRIEUR JOUR
Freddy, positionné dans une galerie située au-dessus de la cour,
tire au fusil par les fenêtres de la galerie, alternativement d'un
côté puis de l'autre de la galerie. Lorsqu'une balle lui siffle
aux oreilles, il sort de la galerie, et se met à courir. D'un seul
coup, il s'arrête net.
Fernand vient d'apparaitre en haut d'un escalier.
Freddy lance son fusil en direction de Fernand.
Fernand se penche pour éviter le projectile.
Freddy se précipite sur Fernand. Les deux hommes commencent à se
battre. Freddy donne un violent coup de poing à Fernand, qui
titube un peu. Freddy attrape Fernand par la chemise, qui se
déchire dans le dos, puis il essaie de lui enfoncer les doigts
dans les yeux. Fernand envoie un violent coup de poing dans la
figure de Freddy, qui titube et s'écroule sur une cloison de
planches ajourées, qui cède sous son poids. Il tombe, et se relève
immédiatement, mais Fernand l'attrape, et lui colle un autre coup
de poing. Freddy titube le long de la galerie, et finit par faire
voler en éclats la cloison située à l'autre extrémité de la
galerie. Il tombe par terre.
Fernand se précipite à sa poursuite dans la galerie, mais
lorsqu'il arrive dans la pièce où Freddy est tombé, celui-ci
l'accueille d'un coup de poing. Fernand titube un peu. Freddy va
pour lui mettre un autre coup de poing, mais Fernand est plus
rapide, et lui assène un coup de poing très puissant, qui envoie
Freddy valdinguer contre une cloison de brique qui bouche une
ancienne ouverture dans le mur de la bâtisse. La cloison cède sous
le poids de Freddy.
DISTILLERIE - COUR - EXTÉRIEUR JOUR
On voit la cloison qui explose au premier étage, Freddy qui passe
à travers, puis qui tombe en contrebas. Fernand se penche par
l'ouverture béante.
Plus loin, Théo court le long d'une rampe, couvrant sa fuite de
coups de mitraillette. Il tient toujours sa sacoche sous le bras.
Il saute de la rampe et se cache derrière un mur. Il pose sa
sacoche par terre et ramasse une brique. Il lance la brique loin
de lui.
Bastien tire à la mitraillette dans la direction de la chute de la
brique.
Théo, qui a ramassé sa sacoche, profite de la diversion pour se
précipiter vers sa DS.
Pascal apparaît à côté de la rampe et tire au pistolet.
La DS démarre en trombe.
Bastien tire à la mitraillette sur la DS, mais la rate.
Fernand descend le long de la rampe, et saute pour rejoindre
Pascal. Il semble prêt à courir après Théo, mais Pascal l'arrête.
Il vient de sortir sa montre-gousset de sa poche, et il la montre
à Fernand.
PASCAL
Patron !
Fernand regarde la montre.
MONSIEUR FERNAND
Oh ! Merde !
Fernand jette un dernier coup d'oeil vers la DS qui s'éloigne, puis
commence à brosser son pantalon avec la main. Dans son dos, Pascal
essaie de camoufler la déchirure de la chemise avec les bretelles.
Bastien s'approche d'eux.
PASCAL
Avec la jaquette, ça ira.
Bastien réajuste la cravate de Fernand, qui les regarde tous les
deux.
MONSIEUR FERNAND
Ça va ?
Pascal, de la main, fait signe que tout est parfait.
EGLISE - EXTÉRIEUR JOUR
Sur le perron de l'église, les deux petits enfants, qui avaient
pris des photos avec Patricia, sont assis sur une marche, et
rigolent entre eux.
Antoine est appuyé sur une balustrade et sourit à Patricia, qui
lui rend son sourire.
Folace, entouré des frères Volfoni, regarde sa montre.
Plan d'ensemble du parvis de l'église. Tous les invités discutent
en attendant patiemment l'oncle de la mariée.
Jean, pour la première fois sans sa veste blanche, mais en costume
gris, scrute l'horizon, et semble satisfait.
La 404 de Fernand arrive devant l'église.
Jean se détache d'Amédée Delafoy, avec qui il était en grande
conversation, et se dirige vers la voiture.
Folace et les Volfoni regardent la voiture. Les cloches sonnent.
Les trois hommes se dirigent vers l'église.
Fernand, de nouveau déguisé en « père de la mariée » descend du
siège passager avant de la voiture. Pascal est au volant, et
Bastien à l'arrière. Il met son chapeau et rejoint Jean, qui
venait à sa rencontre. Il lui tape sur l'épaule.
MONSIEUR FERNAND
J'ai eu chaud.
Sur le chemin de l'église, Fernand croise « le Monocle »,
autrement dit l'acteur Paul Meurisse, héros d'une célèbre trilogie
de Georges Lautner, le réalisateur du présent film. Meurisse
ajuste son monocle et s'incline devant Fernand. Puis il le salue
et s'éloigne.
Fernand porte la main à son chapeau pour lui rendre son salut. Il
se tourne vers Jean, qui, comme lui, semble ne pas comprendre. Les
deux hommes se dirigent vers l'église.
La 404 de Fernand, avec Pascal au volant, s'éloigne du parvis de
l'église.
EGLISE - INTÉRIEUR JOUR
Musique d'orgue.
Deux enfants de choeur entrent dans l'église, suivi d'un prêtre,
puis de Paticia, qui tient le bras de Fernand. Derrière, les deux
enfants portent la traîne de la robe de Patricia. Derrière eux,
tous les invités de la noce, avec en tête, Antoine, qui donne le
bras à une dame de sa famille.
Le cortège remonte la nef de l'église.
Dans le cortège, derrière Amédée Delafoy, viennent Folace à côté
de Jean, et derrière eux, les frères Volfoni.
Les deux mariés s'agenouillent sur les prie-dieu qui leurs sont
réservés.
EGLISE - EXTÉRIEUR JOUR
La DS de Théo arrive devant l'église et s'arrête.
A l'intérieur de la DS, Théo s'installe sur le siège passager
avant, et prend sa mitraillette en main. Il ouvre la boîte à
gants, et prend un chargeur neuf qu'il met dans l'arme. Il
enclenche la première balle dans la chambre de tir.
EGLISE - INTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur le visage de Patricia, perdue dans ses pensées. Une
cantatrice commence à chanter un « Gloria ».
Au premier rang de l'église, agenouillés sur leurs prie-dieu, de
gauche à droite, Fernand, Folace, Jean, Raoul et Paul. D'un seul
coup retentit une explosion. Les cinq hommes sursautent. Toute
l'assemblée des invités de la noce se tourne vers la porte de
l'église restée ouverte.
Par cette porte ouverte, on voit Pascal et Bastien courir vers
l'église. Une deuxième explosion retentit. On aperçoit de la fumée
près du trottoir du parvis de l'église. En entrant dans l'église,
les deux hommes ralentissent le pas. Pascal met une pochette
blanche dans sa poche pectorale, puis il prend de l'eau bénite
dans la vasque fixée sur le mur de l'église. Il touche la main de
Bastien pour lui donner de l'eau bénite. Les deux hommes font le
signe de la croix, puis ils restent respectueusement debout au
fond de l'église.
Les cinq « tontons flingueurs » reprennent une contenance sur
leurs prie-dieu.
EGLISE - EXTÉRIEUR JOUR
Devant le parvis de l'église, la voiture de Théo est enveloppée de
flammes. Elle finit de brûler lentement après l'explosion qui l'a
détruite... avec Théo à l'intérieur !
La caméra remonte vers le clocher de l'église, où les cloches
sonnent à toute volée. On entend la sirène des pompiers.
Le générique de fin commence à défiler en lettres blanche sur le
clocher de l'église, devant lequel monte la fumée noire de la
voiture en flammes.
Fondu au noir. Le générique se poursuit sur un écran noir.
FIN
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